• De la corruption à la guerre au Yémen, l’histoire secrète des chars français
    Fabrice Arfi, Médiapart
    28 septembre 2018

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    Un char Leclerc vendu aux Émirats arabes unis par la France. © Nexter
    Des documents obtenus par Wikileaks et partagés avec Mediapart, Der Spiegel et La Repubblica lèvent le voile sur un secret d’État : la corruption cachée derrière la vente de chars français aux Émirats arabes unis. Ce sont les mêmes chars qui sévissent aujourd’hui dans la guerre au Yémen, à l’origine de la pire crise humanitaire du monde, selon l’ONU.
    Les chars français utilisés depuis trois ans par les Émirats arabes unis au Yémen, dans une guerre qui a déjà fait plus de 10 000 morts (majoritairement des civils) et provoqué, selon l’ONU, la pire crise humanitaire du monde, cachent un lourd secret.

    Un secret d’État vieux d’un quart de siècle.

    Sa révélation ouvre aujourd’hui la porte sur les aveux inédits d’une corruption étatique à travers le versement, par une entreprise d’armement gouvernementale française, de 200 millions de dollars d’argent noir sur des comptes situés dans des paradis fiscaux, selon des documents obtenus par Wikileaks et partagés avec Mediapart, Der Spiegel (Allemagne) et La Repubblica (Italie), qui ont pu les authentifier par une enquête indépendante.

    Ces documents offrent une plongée rare dans les arcanes de l’un des plus gros contrats d’armement signés par la France, aujourd’hui troisième pays exportateur d’armes au monde.

    Un char Leclerc vendu par la France aux Émirats arabes unis. © DR
    Les chars Leclerc vendus au début des années 1990 par la France aux Émirats arabes unis (EAU) ont été fabriqués par l’entreprise GIAT (Groupement industriel des armements terrestres, Nexter aujourd’hui), dont l’État français est actionnaire à 100 %. Ils ont commencé à être livrés au début des années 2000, mais n’ont connu leur baptême du feu qu’en 2015, à l’occasion du déclenchement de la guerre au Yémen, comme en témoignent de nombreux écrits spécialisés (voir ici ou là).

    Depuis trois ans, des combats acharnés y opposent une rébellion houthie soutenue par l’Iran à une coalition emmenée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui cherchent à conforter le président yéménite en place, Abdrabbo Mansour Hadi. Selon l’ONU, la coalition, armée notamment par la France, a « causé le plus de victimes civiles directes ». Les Nations unies évoquent de possibles crimes de guerre, rappelant que des « zones résidentielles », des « marchés » et « même des installations médicales » ont été touchées. Et d’après l’ONG Save The Children, cinq millions d’enfants sont aujourd’hui menacés de famine au Yémen à cause de la guerre.

    En son temps, le contrat de vente des chars Leclerc aux Émirats avait été qualifié par la presse française de « contrat du siècle ». Pour cause : le marché, signé le 6 avril 1993, une semaine après la formation du gouvernement Balladur, portait sur la livraison de 388 chars, 46 véhicules armés et quantité de munitions pour 3,6 milliards de dollars, montant revu légèrement à la baisse par la suite (3,2 milliards).

    Mais des négociations secrètes avaient débuté deux ans auparavant, selon les documents récupérés par Wikileaks. En janvier 1991, sous le gouvernement de Michel Rocard, l’État français a missionné, par l’intermédiaire de l’entreprise GIAT, un émissaire très introduit auprès des autorités d’Abou Dabi. Son nom : Abbas Ibrahim Yousef al-Yousef.