• Marchandise éternelle

    L’actualité récente de la lutte contre les PFAS ressemble étrangement au mouvement des agriculteurs du début d’année 2024. D’un côté, la santé des gens malmenée face à la dissémination de produits chimiques dans les corps vivants. De l’autre, la défense des activités économiques, dont l’immense et précieuse productivité dépend de l’utilisation de ces produits. Défense qui conduit à relativiser la pollution, et à demander toujours plus d’études et de « preuves » que ces produits chimiques sont effectivement nocifs - preuves qui n’auront pas, on le sait bien, comme conséquence l’interdiction des dits produits, mais qui y contribueront... un jour.

    De façon spectaculaire, afin de sauvegarder leur activité économique menacée par un projet de loi contre les PFAS, des salariés -auxquels leur patron avait offert un jour de congé- se sont rendus à la capitale pour manifester contre ce projet de loi. On ne saurait toutefois ramener une telle manifestation au pouvoir des dirigeants de cette entreprise. C’est en toute bonne foi que des agents économiques défendent leur gagne-pain, avant toute autre chose. Et quand ils demandent des "solutions", ils ne demandent pas des solutions techniques (pour se passer d’un produit chimique problématique), mais des solutions économiques. Et immédiates.

    Comme dans l’agriculture, face à la pollution, la question n’est pas de savoir s’il est techniquement possible ou non de "moins polluer", toute chose égale par ailleurs. On le sait bien : dans l’absolu, l’humanité peut vivre sans PFAS, sans pesticides.

    Mais dans une société marchande, ce n’est pas possible. Ne pas utiliser ces produits chimiques, c’est ne pas pouvoir produire industriellement les marchandises dont la norme de productivité impose, pour le marché mondial, de les utiliser. Ne pas utiliser d’insecticides c’est, pour un agriculteur, ne pas produire. Ne pas utiliser de PFAS, c’est ne pas pouvoir produire. Ne pas vendre, ne serait-ce que sur une courte période de temps, c’est arrêter de produire, donc détruire les précieux emplois rémunérés (car des besoins non rémunérables et non répondus, il y en a pléthore).

    Le quiproquo est donc permanent et la confusion totale, puisque d’un côté, on fait semblant de débattre pour savoir si un produit chimique est "essentiel" pour tel ou tel usage. Alors qu’en réalité, seul le critère de rentabilité, au principe de toute activité économique, compte véritablement. Quand le député Nicolas Thierry arrive avec sa proposition de restriction des PFAS, il a en amont vérifié, non pas qu’il existe une "alternative" aux PFAS, mais que le tissu industriel a déjà réussi à s’en passer, en restant compétitif sur le marché.

    Autrement dit, la possibilité d’une loi de restriction des polluants ne vient qu’en deuxième, une fois que l’appareil industriel a déjà pu mettre en place une alternative rentable. La manifestation des salariés de l’entreprise SEB utilisant des fluoropolymères, aboutissant à retirer du périmètre d’interdiction l’activité de leur entreprise, n’est qu’une confirmation de cette loi sociale fondamentale des sociétés marchandes mondialisées : aucune norme sociale ne sera plus forte que celle émanent du champ économique.

    Les débats politiques, les "responsables" politiques, n’ont pas d’influence sur cette loi et il est problématique de prétendre le contraire : on ne fait que reculer la prise en compte du blocage profondément marchand qui empêche d’agir efficacement contre les pollutions. Ce que l’on demande à un "responsable" politique c’est avant tout de respecter cette loi et toute tentative de sortir du cadre donnera lieu à une réponse rapide et sans ambiguïté du champ économique. Et ce ne sont pas toujours les grandes figures capitalistes que sont les patrons qui se donnent la peine de s’exprimer quand une ligne rouge est franchie (par une simple tribune dans un journal économique il est possible de décourager un ministre de mener une politique contre des intérêts économiques). Toute la société est impliquée dans le mouvement tautologique de l’argent désormais mondial, puisque c’est lui qui fait travailler les gens et leur donne un revenu, et qu’aucun besoin ne saurait être répondu sans en passer par une activité rémunérée.

    Mais également, c’est tout l’appareil d’Etat et ses services qui sont nécessairement impliqués dans la défense du statut quo marchand, et donc des pollutions, puisque c’est le mouvement de l’argent qui permet à l’Etat de fonctionner, et c’est le développement de l’Etat qui a historiquement imposé aux sociétés de devenir marchandes de bout en bout, c’est-à-dire capitalistes. On ne comprendrait pas, autrement, pourquoi les services de l’Etat chargés de protéger la population et l’environnement sont si peu zélés à intervenir sur les activités industrielles, et minimisent systématiquement l’importance des pollutions induites, qu’il s’agisse des pollutions chroniques pas même prises en compte, que des pollutions bien plus visibles et médiatisées lors d’accidents industriels.

    Sans avoir en tête cette loi sociale fondamentale, il est difficile de comprendre pourquoi l’utilisation de produits toxiques se développe toujours plus, et pourquoi les politiques comme la société en général sont si impuissants à reprendre en main leur destinée - pour avoir confié celle-ci au fétiche monétaire, et son corollaire, le travail humain soumis intégralement à son mouvement.

    Se satisfaire d’une loi minimale qui prétend avoir agi sur la source du problème, en dédouanant totalement l’activité industrielle dans sa nature marchande même, alimente la confusion dans la tête des gens et nous éloigne radicalement de solutions réelles pour stopper net les pollutions chimiques et l’accélération du désastre qu’est la production marchande planétaire.

    S’attaquer par le petit bout de la lorgnette aux pollutions, au cas par cas, sans s’interroger sur les causes globales, en ne traitant les problèmes que sous le prisme de la « volonté politique », c’est au contraire manquer de courage, et participer à la cogestion de la crise du capitalisme dans l’intérêt supérieur de la société marchande et de la poursuite du mouvement tautologique de l’argent, qui impose de mettre en second plan tous les autres aspects de la vie, y compris sa préservation face aux pollutions chimiques contre lesquels ces "responsables" politiques entendaient lutter.

    Toutes les personnes qui luttent contre les PFAS savent que, si il y en a partout, c’est parce que "c’est pratique et pas cher" - et non parce que le personnel politique de tel ou tel pays n’aurait pas fait voter la bonne loi. Mais bien peu sont choqués qu’un tel critère, dans toute son indigence, gouverne tout bonnement la présence des objets qui nous entourent, et pas seulement ceux comportant des PFAS.

    Au lieu de lutter contre chaque pollution séparément, et perdre les gens à cause de l’expertise qu’il faut déployer à chaque fois pour discuter du degré acceptable de toxicité, on ferait mieux d’adopter une toute autre stratégie de lutte. Puisque l’indigence du critère monétaire gouverne également toutes les autres nuisances (du réchauffement climatique à l’accumulation des déchets plastiques), et qu’aucune entente mondiale ne viendra réglementer le commerce mondialisé par le haut, être réellement écologiste implique d’être également post-monétaire afin d’amener l’impensable à être pensé : sortir de la torpeur marchande pour une toute organisation sociale et répondre enfin décemment à nos besoins. Comment le faire ? Puisse le caractère "éternel" de ces polluants être suffisamment choquant pour provoquer cette nécessaire discussion.

    #pfas #écologie #marchandise

    • Puisque l’indigence du critère monétaire gouverne également toutes les autres nuisances (du réchauffement climatique à l’accumulation des déchets plastiques), et qu’aucune entente mondiale ne viendra réglementer le commerce mondialisé par le haut, être réellement écologiste implique d’être également post-monétaire afin d’amener l’impensable à être pensé : sortir de la torpeur marchande pour une toute organisation sociale et répondre enfin décemment à nos besoins. Comment le faire ?

      La torpeur, ce sont les « masses » qui la subissent. Les donneurs d’ordre font plutôt dans l’activisme (marchand). Quant au commerce mondialisé, je serais plutôt pour son abolition plutôt que sa régulation. Mais maintenant, « que faire » ?
      Réfléchir en premier lieu sur des actions qui impacteront durablement l’accumulation de capital financier, patrimonial, et humain en tant que « ressource » et force reproductive de cette accumulation. De ce point de vue, nous avons cependant une pandémie dont on a décrété qu’elle circulerait à bas bruit. Et les effets néfastes sont déjà là, puisque la presse financière s’inquiète des impacts Covid sur la bonne santé de ses forces reproductives. Comment ne pas voir la relation entre cette dégradation de la santé du cheptel (reproductif) et la promotion obstinée des robots qualifiés d’"intelligences artificielles" ? Comment interpréter les solutions à court terme que sont les restrictions sur les arrêts maladie et l’indemnisation du chômage, le démantèlement de la sécurité sociale gérée paritairement entre partenaires dits « sociaux » sinon comme une injonction faite aux masses laborieuse de supporter « quoiqu’il en coûte » son enchaînement à la machine ? Même s’ils mettent des purificateurs d’air dans les lieux où ils organisent leurs sauteries, les membres de la caste dominante n’ont qu’une courte vue sur l’avenir de la planète et du genre humain et leur seule ligne c’est : "après nous le déluge mais que nos héritiers apprennent à bien couper les griffes des « sauvageons » qui pourront encore un temps satisfaire notre désir d’accumulation.
      Le problème est rudement posé : les « élites » nous imposent la guerre. Nous devons leur rendre la pareille.