Réponse du rappeur Kery James à Raphael Enthoven (1)
Vous intitulez votre chronique « Le vrai respect à conquérir en république est l’indifférence de la couleur de la peau » Pourtant dès les premières secondes de cette même chronique vous posez la question suivante : « Que demande Kery James lorsque il demande le respect ? Qu’on le respecte en tant que noir ou qu’on le respecte en tant que citoyen français ».
La question en elle même démontre que l’indifférence à la couleur de la peau n’est pas chose acquise en république. En effet, lorsqu’un homme noir vous demande le respect, il ne vous vient même pas à l’esprit qu’il puisse l’exiger en tant qu’être humain. Vous vous demandez immédiatement, si il l’exige en tant que Noir. Est-ce parce que vous le percevez en tant que Noir avant de le percevoir en tant qu’être humain ?
En effet, je n’ai pas commencé ce texte en disant « J’écris ce texte en tant que noir ». Au contraire, je dis dans la même chanson « Il n’y a pas que les Noirs et les Arabes, ce sont tous les pauvres qu’ils méprisent ». C’est à dire que les pauvres, quelle que soit leur couleur de peau, sont souvent méprisés par ceux qui détiennent le pouvoir économique. Tout comme la couleur de peau de ceux qui sont riches ne dérange jamais ceux qui profitent de leur fortune. Et si je m’étais exprimé au nom d’une classe sociale et non en celui d’une race ? Pourquoi est-ce que cela ne vous a pas effleuré l’esprit ? Il est simple, mais malhonnête de ramener mon discours à des considérations raciales qui sont les vôtres, pas les miennes.
Figurez vous que l’une des chansons les plus emblématiques de ma carrière et l’un de mes plus grands succès s’appelle justement « Y’a pas de couleur ». Cette chanson est un incontournable pour moi si bien que je l’interprète à chacun de mes concert alors qu’elle date de 2001. Je l’ai notamment interprété à Bercy le 21 Novembre 2013 devant près de 15000 personnes. Pour vous dire ô combien cette chanson et son message sont importants pour moi. La dernière fois que je l’ai interprété c’était en banlieue parisienne à saint-denis le 24 Octobre 2015. Si j’étais un raciste anti-Blanc et que ce racisme anti-Blanc avait un écho en banlieue, je n’aurai pas interprété cette chanson en seine saint-denis.
Pour dissiper tout malentendu, si malentendu il y a, plutôt que volonté réfléchie et calculée de biaiser mon discours,laissez moi citer un court extrait de cette chanson : « Y’a pas de couleur pour être stupide, ignorant, raciste et borgne. Pas une couleur attitrée à l’absurdité. Pas une couleur qui prouve ton intelligence. Pas une couleur qui témoigne de ta tolérance ». Est-il nécessaire que je mentionne « Pleure en silence » une autre de mes chansons que j’interprète également à chacun de mes concerts en banlieue et ailleurs et dont voici un autre extrait : « La détresse n’a pas de couleur. Réveille-toi, sous combien de peaux blanches se cache la douleur ».
A la lumière de ces deux extraits, il apparaît clairement que votre tentative de m’accuser de racisme anti-Blanc est infondée voir calomnieuse si cela est volontaire de votre part. Il en est de même pour votre rapprochement très douteux entre mes idées et celles du Front national. Prétendre que c’est ma chanson qui renforce le FN en France est un argument étonnant auquel n’adhéreront jamais ceux qui connaissent ma musique. Et moi qui pensais que c’était la crise économique et l’impuissance des gouvernements successifs à nous en sortir qui expliquait cette montée du FN. Moi qui pensais que cela s’expliquait aussi par la stigmatisation continue d’une certaine partie de la population française par la classe politique et les médias. Je vais même vous avouer un secret, leurs discours m’ont même parfois laissé penser qu’ils voulaient et organisaient la montée du FN .En fait, vous devez comprendre et accepter que quelqu’un puisse être un véritable anti-raciste tout en étant capable de dénoncer des injustices que seuls ceux qui y trouvent leurs intérêts voudraient passer sous silence.
Vous avez également dérapé quand vous avez expliqué que lorsque je dis « J’ai abandonné l’idée qu’ils me perçoivent un jour comme un Français » cela signifie que « j’ai renoncé à l’intégration ». C’est très grave. Je suis né en Guadeloupe et je suis en métropole depuis 1985 et vous pensez encore que je dois « m’intégrer » ? Ce dérapage à lui seul justifie la totalité de mon texte auquel vous avez tenté maladroitement de vous opposer pour des raisons qui me paraissent obscures. En effet, comme vous en faîtes la démonstration, vous ne me considérez pas comme un Français puisque vous pensez que je ne devrais pas renoncer à "l’intégration".
Vous auriez été plus pertinent et plus juste, si vous aviez fais une chronique sur l’action que je mène avec mon association ACES, comme Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir. Dans ma chanson « Banlieusards » dont le leitmotiv est « On est pas condamnés à l’échec » j’écrivais « Une question reste en suspens qu’a t-on fait pour nous mêmes ? ». En effet, je refuse d’être de ceux qui pointent du doigt les problèmes et ne proposent aucune alternative. Comme je crois que la véritable révolution passe par l’éducation j’ai fondé l’ACES en 2008. Son objectif, faire du soutien scolaire et du financement d’études supérieures. Alors depuis près de 2 ans maintenant dans le cadre de l’action menée par mon association, je donne des concerts en France et même dans les départements d’outre-mer comme en Guyane par exemple. A chaque date, je reverse une partie de mon cachet personnel pour financer les études supérieures d’un jeune en difficultés économiques.
Plus d’une dizaine d’étudiants, de toutes les couleurs ,ont bénéficié de cette bourse à ce jour. Pourquoi ne pas avoir fait une chronique sur cette tournée solidaire ? Pas assez sensationnel ? Est-ce parce que cela ne rentre pas dans le projet qui consiste à faire passe les banlieusards comme des terroristes potentiels et des délinquants ? Ou les deux à la fois ? Est-ce que c’est parce que cela contribuerai à montrer les jeunes de banlieue autrement que comme des prétendus paresseux qui ne font que se plaindre et sont incapables de se prendre en main ?
J’essaie en ce moment de monter un documentaire sur les parcours de ces jeunes qui ont bénéficié de la bourse ACES. Ces jeunes qui, partis du plus bas, ne se contentent pas de pleurer sur leur sort. Ces jeunes qui ne s’arrêtent pas au simple constat des difficultés auxquelles ils doivent faire face mais qui se battent au quotidien. Nous avons démarché plusieurs chaînes de télévision et aucune d’entre elles ne souhaite diffuser ce documentaire. Pouvez-vous m’éclairer et me dire pourquoi ? Est-ce que vous pensez honnêtement que les émissions qui montrent une image positive des jeunes de banlieue sont assez nombreuses et que le pays n’en a pas besoin ? Est-ce que ce n’est pas plutôt l’absence de ce genre de documentaires à la télévision qui facilite la montée du FN ? Vous comprendrez peut-être en quelques mots les raisons de ma colère qui n’est pas et qui j’espère ne sera jamais une colère aveugle qui me fera sombrer dans l’idiotie et l’injustice.
Vous ne pouvez pas prendre l’extrait d’une chanson qui n’est même pas terminée d’ailleurs et le brandir en occultant l’ensemble de ce que j’ai écris dans ma carrière discographique qui dure depuis 23 ans maintenant. Vous devez également être vigilant et faire attention à ne pas faire passer les conséquences pour les causes. Ce texte « 10 ans après » est une conséquence et non une cause. Tout comme les révoltes de 2005 étaient une conséquence et non une cause. Et pour information, lorsque j’ai écrit « Toute arrivée à son départ » cela signifiait pour moi que les conséquences ont souvent une cause connue. La phrase n’a jamais eu dans ma bouche le sens que vous lui prêtez. Heureusement, je ne suis pas encore mort et quelle interprétation peut-être plus précise que celle de l’auteur lui même ?
Vous avez demandé sur Twitter à ce qu’on vous apporte des arguments qui vous démontrent que votre analyse est fausse et surtout qu’elle ne s’applique pas à ma personne. Vous avez dis que vous seriez ravi de vous être trompé. Je n’ai aucun doute que cette réponse brève contient non pas les arguments mais les preuves sans ambiguité que ni vous ni aucun autre média ne pourrez jamais m’accuser de racisme anti-blanc si ce n’est en ayant recours au mensonge, à la diffamation, à la déformation de mes propos et à la manipulation.
Dans votre chronique vous nous sommez de choisir entre Malcolm X et Nelson Mandela. Si seulement vous pouviez me laisser choisir par moi même. Je pourrais peut-être me sentir inspiré par la détermination de Malcolm X tout comme par la capacité de Nelson Mandela à pardonner.
Et puisque vous vous réclamez du pacifisme de Nelson Mandela je compte sur vous pour avoir l’honnêteté de lire cette réponse à l’antenne sans la dénaturer et de reconnaître qu’au minimum vous vous êtes hâté dans votre jugement à mon sujet. Si vous le faîtes alors là vous serez très proche du pacifisme de Nelson Mandela et vous démontrerez que le dialogue entre ce que j’appelle malgré moi les deux France est possible et n’est pas voué à l’échec.
Je vous invite même à assister à mon prochain concert solidaire qui aura lieu à Vaux en Velin le 21 Novembre au centre culturel Charlie Chaplin à 20 heures. Concert autour duquel une bourse de 6000 euros sera attribuée à un ou plusieurs étudiants pour les aider à financer leurs études supérieures. Ce sera l’occasion pour vous de découvrir ma musique, de me rencontrer ainsi que de constater la grande diversité de mon public qui est loin, même très loin d’être composé uniquement d’Arabes et de Noirs. Vous pourrez voir par vous même, le bonheur, le courage et la détermination de certains lauréats et peut-être même la fierté et les larmes dans les yeux de leurs parents. Venez donc mettre un pied dans notre réalité et abandonnez le fantasme médiatique d’une banlieue anti-blanche.
Si vous venez et si vous avez le courage de revenir sur vos dires, alors j’aurai la certitude que vous vous êtes simplement trompé à mon sujet et que vous êtes un homme qui sait reconnaître ses erreurs. Si vous ne le faîtes pas,ou pire encore surenchérissez, j’aurai alors la conviction que vous êtes profondément malhonnête et j’en serais peiné pour vous.
Je souhaiterai conclure par une citation de Nelson Mandela que vous semblez chérir :
« Je lisais beaucoup de journaux de toutes les régions, mais ils ne donnent qu’une pauvre image de la réalité, les informations qu’ils donnent sont importantes pour un combattant de la liberté non pas parce qu’elles disent la vérité, mais parce qu’elles révèlent les préjugés de ceux qui écrivent les articles et de ceux qui les lisent »
L’aube est claire pour celui qui a des yeux.
Kery James
(1) ▻http://www.europe1.fr/emissions/la-morale-de-linfo/le-vrai-respect-a-conquerir-en-republique-est-linfference-de-la-couleur-de-l