François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • De la putain à la maman – Poulet Rotique
    https://pouletrotique.com/2017/12/04/de-la-putain-a-la-maman

    Quand elle est tombée enceinte, l’écrivaine nigérienne Chimamanda Ngozi-Adichie a décidé de ne pas rendre la bonne nouvelle publique. “Je trouve que nous vivons une époque où il est attendu des femmes qu’elles performant la grossesse”, a-t-elle plus tard confié. Après neuf mois de grossesse, je suis en mesure de confirmer. Mais à moins de se replier dans sa grotte pendant toute sa gestation et de réserver au seul livreur de pizza la vue de son ventre rond, impossible de garder secrète une nouvelle qu’on porte sur soi de façon aussi visible. Aussi, dans l’espace public, ma nouvelle condition de femme enceinte m’a fait passer de la putain à la maman : de propriété publique sous prétexte de sa supposée disponibilité, mon corps devenait propriété publique sous prétexte, cette fois, qu’il témoignait en chair et en os de l’incroyaaaaaable miracle de la vie. Et les harceleurs étaient, littéralement, à chaque foutu coin de rue pour me le rappeler. A tout moment, un parfait inconnu pouvait débouler de n’importe quelle intersection pour me faire la leçon sur ma silhouette, mon attitude, mon alimentation, mon poids ou mes fringues. Une sorte de version totalement acceptée socialement du harcèlement de rue tel que je me le fadais jusque là.

    • A la caisse du Monop’, des vieilles dames surgissaient de derrière les piles de paniers pour tâter mon ventre en lâchant “je peux ?” après m’avoir tripotée. Dans la rue, des types me barraient la route pour me dire “c’est un garçon/une fille, félicitations” (c’est fou le nombre de médiums qui traînent la savate à Paris) D’autres, se frottant les mains, lançaient “oh, c’est joli, ça !” en s’étonnant que “ça” ne les remercie pas chaleureusement pour le compliment. Des inconnus m’interrompaient pour me dire “C’est pour quand ?, vous êtes énorme”, “ah non mais là c’est des jumeaux, c’est sûr”, “oulalala c’est imminent là !” et autres remarques trahissant leur envie subtilement camouflée de m’indiquer que j’étais un gros tas. D’autres encore venaient me dire que “waouh”, j’avais “rien pris du tout” ou que “c’est super, ça se voit pas de dos” (comme si c’était l’objectif de toute femme enceinte, de passer pour pas enceinte de dos ; non mais c’est quoi l’intérêt, tromper la listériose en entrant dans les restaurants japonais à reculons pour commander ses sashimis incognito ?). Jusqu’à ma table au restaurant, on venait m’indiquer ce que je n’avais “pas le droit” de consommer et ce qui au contraire “devait” figurer dans mon régime alimentaire si je ne voulais pas être une mère indigne avant même d’être une mère.

      @beautefatale #femmes #appropriation