Françoise Verchère : lettre ouverte à madame la ministre de l’éducation nationale
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(...) Un journaliste m’a demandé ce que je pouvais dire, en tant qu’opposante au transfert d’aéroport mais aussi en tant qu’ancienne enseignante aux jeunes en colère. Et cette question à laquelle j’ai probablement mal répondu sur le coup m’a donné à réfléchir depuis.
Et c’est vous que je vais interroger en retour, Madame la Ministre.
J’ai enseigné les lettres classiques du collège à la classe préparatoire. Ai-je eu tort de faire découvrir à mes élèves la révolte d’Antigone dans Sophocle, Jean Anouilh ou Henri Bauchau , ai-je eu tort de leur expliquer la différence entre la légalité et la légitimité d’un combat ? Ai-je eu tort de leur faire lire Émile Zola ou Victor Hugo en lutte permanente contre l’injustice et pour la vérité ? Ai-je eu tort de montrer aux plus jeunes que le Petit Prince a raison de préférer sa rose aux fausses richesses du businessman et de débattre avec les plus âgés sur « le discours sur la servitude volontaire » d’Étienne de la Boëtie ? Ai-je eu tort de lire avec eux Les racines du ciel dont on a dit qu’il était le premier roman écologique, le premier appel au secours de notre biosphère menacée ? Dont le héros avait trouvé la force de résister à la barbarie des camps grâce aux hannetons et aux éléphants, pour lesquels il se battait désormais. « L’espèce humaine (est) entrée en conflit avec l’espace, la terre, l’air même qu’il lui faut pour vivre...comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? », écrit Romain Gary. Lorsqu’il a reçu pour ce livre le prix Goncourt en 1956, le ministre de la culture l’a probablement félicité n’est-ce pas ...
Dois-je multiplier les exemples ? Faut-il vraiment lire Villon ( un délinquant d’ailleurs...), Rabelais, Montaigne, La Fontaine, Beaumarchais, Montesquieu, Voltaire, Bernanos, Camus, Boris Vian ( un dangereux pacifiste, lui !) Malraux et tant d’autres ?
Tous ces auteurs font pourtant partie des programmes, ils sont « consacrés », régulièrement cités et encensés par les grands de ce monde...alors ? Aurais-je dû plutôt choisir, hors programme, des ouvrages qui apprennent l’appât du gain, l’art du mensonge, le refus du doute, le goût du pouvoir, la supériorité de l’oligarchie sur la démocratie ? Aurais-je dû leur dire que la justice, la vérité, le respect du vivant étaient des utopies inutiles, des valeurs ringardes et en total décalage avec le monde réel ? Peut être après tout. Le choc serait moins rude et l’école serait enfin en phase avec la société...
C’est pourquoi, Madame la Ministre, je vous engage vivement à revoir les programmes si
vous voulez que la jeunesse se taise, qu’elle accepte le monde saccagé que nous allons leur laisser, qu’elle n’ait comme idéal que la reproduction des erreurs de ses aînés, qu’elle ne s’indigne pas comme le lui demandait pourtant il n’y a pas si longtemps Stéphane Hessel, sous les applaudissements de tous.(...)