« Cela pourrait même devenir dangereux » : interdire totalement les écrans aux enfants, fausse bonne idée ?

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    "Cela pourrait même devenir dangereux" : interdire totalement les écrans aux enfants, fausse bonne idée ?

    Une commission d’experts a rendu à Emmanuel Macron un rapport sur les écrans et les jeunes. Sont préconisés plusieurs paliers pour l’usage des écrans. Des interdictions en somme.
    Interdire les écrans aux enfants de moins de trois ans est une solution préconisée par un rapport d’experts.
    Interdire les écrans aux enfants de moins de trois ans est une solution préconisée par un rapport d’experts. (©Suzi Media / Adobe Stock)
    Par Maxime T’sjoen Publié le 2 Mai 24 à 11:14
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    29 propositions devant être appréhendées dans un ensemble. Mais une logique implacable revendiquée par la commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans dans un rapport rendu à Emmanuel Macron ce mardi 30 avril 2024 et qu’actu.fr a pu consulter : « organiser une prise en main progressive des téléphones », des paliers donc. Avec des interdits.

    Pas d’écran avant trois ans, déconseillé avant six, pas de téléphone avant 11, pas de smartphone avant 13 et pas de réseaux sociaux « éthiques » avant 15.

    Si ce n’est pas sous le coup de la loi, il s’agit uniquement des recommandations d’une dizaine d’experts, cela interroge. L’interdiction est-elle une solution ? Pourquoi pas.

    En revanche, elle doit être complétée par d’autres mesures, parfois au-delà du numérique et surtout un apprentissage des usages du numérique.

    « On met des digues et des digues »

    « Le choix du rapport est de préconiser des interdictions diverses et variées », insiste Anne Cordier, professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, à l’Université Lorraine, sollicitée par actu.fr.

    Dès lors se pose la question de l’appréhension d’un univers numérique inaccessible. « Si l’enfant n’a pas les codes, il va prendre des risques », abonde Thomas Rohmer, directeur et fondateur de l’Observatoire de la Parentalité & de l’Éducation Numérique (Open).

    Interdire (quasi) tous les usages, c’est prendre le risque d’avoir un enfant sans « compétence », ni « culture », pour « maîtriser les usages » du numérique, détaille Anne Cordier. « On met des digues, des digues et des digues, où cela va se relâcher. Le risque, c’est le far-west. »

    Et là, cela peut être « dangereux », notamment pour les adolescents qui vont chercher « le risque dans leur construction », décrit Thomas Rohmer. Violences, pornographie, etc. Des contenus inadaptés, en somme, pourront alors être consommés par des jeunes utilisateurs en manque de repères.

    De plus, selon Anne Cordier, interdire les écrans serait « inapplicable ».

    Les écrans entraînent-ils des comportements dangereux ?

    Emmanuel Macron a demandé ce rapport le 16 janvier dernier, afin de « déterminer le bon usage des écrans ».

    Il estimait d’ailleurs que « les écrans ont eu un rôle » dans les émeutes de l’été, survenues après la mort du jeune Nahel et « ayant suscité une forme de mimétisme ».

    Dans son introduction, le rapport estime que « l’hyperconnexion subie des enfants » peut avoir « des conséquences » sur l’avenir de « notre société, notre civilisation ».

    La question de départ est mal posée. Il n’y a pas de causalité entre l’usage des écrans et la hausse de la violence chez les jeunes.
    Anne Cordier
    Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, à l’Université Lorraine

    Le rapport reconnait d’ailleurs qu’il « existe peu de données probantes ». « Il y a des choses que l’on sait et d’autres que l’on ne sait pas », rappelle le fondateur de l’Open, Thomas Rohmer.

    Aider les parents démunis

    Si le risque en interdisant tous les usages est connu, les deux experts contactés pour le bien de cet article ont aussi des solutions.

    Il faut un accompagnement éducatif bien formalisé et de façon gradué [...] en aidant les adultes démunis.
    Anne Cordier
    Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, à l’Université Lorraine

    C’est d’ailleurs une des préconisations du rapport de la commission « Écrans » qui appelle à « déployer une véritable politique d’aide et de soutien à la parentalité en matière d’écrans et de numérique ».

    « Toutes les propositions sont liées. Il ne faut pas sortir l’une du contexte, ce serait contre-productif, il faut avoir une approche systémique », se défend Amine Benaymina, co-président du rapport.

    Réglementer l’accès

    La question de l’accès aux contenus se pose alors forcément dans cette logique. D’autant que Servane Mouton, l’autre co-présidente du rapport, appelle à ne pas « faire porter la responsabilité uniquement aux enfants et aux parents » en pointant du doigt les industriels du secteur.

    « On a l’arsenal juridique pour réglementer l’accès », constate Anne Cordier. « Il faut obliger les plateformes à respecter les lois. » On pense au fait d’avoir 18 ans pour consulter un site pornographique, par exemple.

    Un problème de société ?

    Avec les préconisations d’interdictions, Thomas Rohmer, directeur et fondateur de l’Open voit un mal plus profond à notre société. « C’est plus simple de taper sur les écrans que de s’attaquer aux vrais problèmes », déplore-t-il.

    Globalement, on a l’impression que les réseaux sociaux sont responsables de tous les maux de notre société. [...] On ne parle que du mal, quitte à stigmatiser les plus jeunes. Mais on ne parle jamais des actions caricatives ou pour le climat.
    Thomas Rohmer
    Fondateur de l’observatoire de la Parentalité & de l’Éducation Numérique

    Il n’hésite pas à pointer du doigt les hommes politiques : « Ils disent que les réseaux sociaux, c’est mal, mais ils ne parlent aux jeunes que de cette manière. » Un paradoxe.

    « Les écrans, c’est souvent l’arbre qui cache la forêt »

    Selon Thomas Rohmer, « les écrans, c’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Les loisirs sont moins accessibles, il y a de plus en plus de familles monoparentales ».

    « Des fois, certaines familles n’ont pas le choix de mettre les enfants devant Netflix. C’est moins cher qu’un club de foot. »

    Celui qui appelle à une aide financière pour la parentalité, estime aussi qu’il faut « prendre de la hauteur » par rapport aux écrans.

    Au final, le postulat de base fait consensus : « Bien sûr qu’il faut éviter que les petits soient soumis à des écrans. Tout cela nécessite une régulation », conclut Thomas Rohmer. « Mais une fois cela dit, quelles solutions réelles ? »

    #Anne_Cordier #Enfants #Ecrans