J’ai lu avec beaucoup de plaisir et d’intérêt "Sanglier. Géographies d’un animal politique" de R. Mathevet et R. Bondon.
Je partage quelques points saillants et extraits de ce livre qui propose une géographie du point de vue sanglier.
Qu’avons-nous fait aux sangliers ? Et que nous font-ils ? D’après les auteurs, les sangliers ont été « cynégétiquement appropriés », c’est-à-dire que nous les appréhendons par la pratique de la chasse et pour la pérennité de cette dernière.
Les auteurs ont choisi de se mettre à hauteur de sanglier en explorant d’une part, ce qu’il vit depuis son corps en mouvement, ce qui peut composer le quotidien de l’un d’entre eux dans un environnement désormais "trop humain" ; d’autre part, en observant le monde à travers les yeux des sangliers, tout en gardant des yeux humains, et ainsi en se demandant comment un sanglier explore son territoire, interagit avec ses congénères, communique et fait ses choix. Les auteurs essaient de ne pas séparer deux versants qui le sont bien souvent, entre une approche individualisée, proche des éthiques animales, et une approche collective, écosystémique, proche des éthiques environnementales.
Les sangliers font des dégâts, ils ne dévient pas leur course lorsqu’un véhicule les rencontre. Mais que vivent-ils vraiment ? Comment existent-ils dans ces paysages si totalement anthropisés ? Il n’est pas facile de répondre à ces questions tant le discours sur les sangliers est façonné par les chasseurs, vétérinaires, épidémiologistes, gestionnaires d’espaces protégés, personnalités politiques. Les auteurs s’emploient, pour leur part, à regarder les sangliers, et à les dire autrement. Ils constituent donc une géographie du point de vue sanglier.
L’espèce, jugée proliférante, ne pourrait, selon les chasseurs, gestionnaires d’espaces protégés, etc, être contrôlée autrement que par la chasse. Toutefois, les raisons de l’accroissement des sangliers laissent songeur et l’argumentaire cynégétique, peine à convaincre.
Pourquoi ? Parce que les chasseurs nourrissent très souvent d’une main… Et régulent de l’autre ! Bien que l’agrainage soit encadré par la loi et seulement autorisé sous certaines conditions, il reste, dans les faits, une technique très répandue et étonnamment mal documentée. On atteint, comme bien souvent dans les relations anthropozoologiques, un paradoxe dont l’espèce humaine est responsable. Ici, les chasseurs, historiquement responsables, se retrouvent aussi les principaux gestionnaires d’une espèce qu’ils ont contribué à faire proliférer.
Aujourd’hui, seulement 1,6 % de la population française pratique la chasse, contre 4,3 % en 1984. Plus urbains et plus âgés, les chasseurs résident de moins en moins sur leurs lieux de chasse. Ils sont plus souvent retraités, inactifs, cadres moyens ou supérieurs.
« Pour beaucoup d’observateurs critiques, les solutions les plus évidentes consisteraient à revenir au plus près de conditions identifiées comme naturelles : ne plus nourrir, ni abreuver les animaux, ne plus réaliser de lâchers, encore moins d’effectuer des croisements entre les espèces sauvages et domestiques. »
« la politisation du sanglier permet d’en faire un enjeu public, au-delà des instances du monde cynégétique. Cela donne aussi la possibilité d’envisager les dimensions éthiques, sociales, éthologiques de l’espèce, autant d’éléments souvent éclipsés par le discours biologique, technique, gestionnaire et, surtout, cynégétique. »
« Le sanglier... est un animal dont l’altérité s’est dissoute, dont l’identité s’est réduite à une dimension cynégétique, laquelle a fait de l’assistance et de la violence de la battue des horizons indépassables. Politiser autrement les animaux est plus simple qu’il n’y paraît
Lorsqu’on parle du sanglier comme une composante de la biodiversité et non plus comme un gibier ou nuisible, on crée du désordre dans l’ordre cynégétique établi. Lorsqu’on narre le parcours d’un individu, on dérange le discours porté par la biologie de la conservation. »
Les auteurs concluent de façon critique, sur l’idée que le modèle économique dominant, qui ne cesse de fragiliser et de menacer les milieux que nous habitons et partageons, ne pourra être contré qu’en comprenant mieux les rapports humains/non-humains, de manière zoopolitique, et en considérant un faisceau de dominations que subissent conjointement les êtres humains, les autres animaux et la nature.