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  • L’Ariège, l’anti-Start-Up Nation - Les Echos
    https://weekend.lesechos.fr/business-story/enquetes/0600936642295-lariege-lanti-start-up-nation-2254529.php

    Le paradis pyrénéen des randonneurs est l’enfer des entrepreneurs macronistes. Avec ses deux députés La France insoumise, ses communautés alternatives perchées dans les montagnes, et malgré 12% de chômage, ce département rejette le développement économique au nom du bien vivre. Une enquête sociologique.

    Si la voix de l’Elysée a du mal à porter jusqu’en Ariège, ce n’est pas à cause des quelque 800 km qui séparent Foix, sa préfecture, de Paris. C’est plutôt la doxa sociale libérale d’Emmanuel Macron qui passe mal dans la partie la plus sauvage et certainement la plus belle des Pyrénées. Ici, le ruissellement et les premiers de cordées chers au président de la République évoquent les sources, les rivières et les randonnées en montagne,...

    Ah ... ça consonne avec des impressions ressenties sur place, beaucoup de personnes ordinaires, ni fans de possession de bagneules distinctives, ni affolées par l’esprit de lucre et la concurrence, je l’aurais bien lu. #paywall #Ariège_terre_d'asile

    • Quant à la start-up nation, elle n’a aucun sens : la fibre commence à peine à être installée dans le département. Le discours volontariste présidentiel n’y est pas seulement inaudible, il est même à l’opposé de l’esprit ariégeois. L’Ariège, sobre et rurale, c’est tout simplement l’anti-start-up nation.

      Aux deux-tiers montagnard, le petit département de 150 000 habitants, terre d’élection des ours et des loups au sud, dans les hauteurs du Couserans ; bastion industriel de l’aéronautique au nord, dans la plaine d’Ariège, a été socialiste pendant plus de cent ans, depuis la IIIe République. « Et pas socialiste rose pâle : ici, nous sommes d’un rose vif franc et courageux », précise Alain Duran, l’unique sénateur (PS) qui se situe lui-même « à gauche de la gauche ». En 2017, le département rompt brutalement avec cette tradition : Jean-Luc Mélenchon y réalise son meilleur score au premier tour de l’élection présidentielle, avec plus de 26% des voix - six points devant Emmanuel Macron -, 18,5 points devant Benoît Hamon qui culmine à... 7 300 voix. Un mois plus tard, aux législatives, les deux circonscriptions ariégeoises choisissent de nouveau La France insoumise, faisant de l’Ariège le seul département 100% LFI. « L’Ariège a fait le choix du dégagisme humaniste, s’enorgueillit Michel Larive, le député de la deuxième circonscription, à l’ouest. Nous construisons ici une société qui n’est pas fondée sur la consommation. Comment cela serait-il possible : plus on monte dans les montagnes, moins il y a de magasins... »

      Bordallo, Trigano, deux visions

      Ce jour-là, installé dans la minuscule mairie de Loubaut, 31 habitants, le quinquagénaire est venu faire la connaissance du maire du village, Ramon Bordallo, un libertaire qui s’est battu devant le tribunal administratif pour éteindre la nuit les deux lampadaires de sa commune et a barricadé le compteur électrique de la mairie pour empêcher l’installation de Linky. Les deux hommes s’entendent bien, mais le député ne convainc pas : « La France insoumise est trop productiviste, soupire Ramon Bordallo, je crois en la résilience par la solidarité humaine, pas à la croissance ni à la surexploitation des mers et des terres. » Pourtant, le département vit mal, avec 18,5% de sa population sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee. Ne faudrait-il pas créer de l’emploi, attirer des cadres, des entreprises ? « Vous avez envie d’être riche, vous ? » demande Michel Larive à Ramon Bordallo. L’autre rigole franchement. La mairie, située sur une butte face aux Pyrénées enneigées, offre un panorama spectaculaire. Aux alentours, des vallons, des arbres, quelques maisons tranquilles. Le silence total est brisé par ce seul rire.

      À 40 km de là, il y a leur exact opposé, André Trigano, maire de Pamiers, la plus grosse ville du département, 16 000 habitants, 35 000 si l’on compte l’aire urbaine. Frère de Gilbert (Club Med), oncle de Serge (Mama Shelter), fondateur de Campeole (Campings), c’est un entrepreneur, un capitaliste fier de l’être. Ils ne sont pas nombreux dans le département, mais il a réussi à en fédérer bon nombre sur son territoire, de loin le plus dynamique du coin. À 93 ans, le jeune homme en costume trois-pièces affiche « 75 ans de vie professionnelle et 49 ans de vie publique ». Il prévient qu’il ne se représentera pas aux prochaines municipales... « Sauf s’il faut barrer la route au Rassemblement national. » André Trigano a d’abord été élu maire de Mazères en 1971. La petite ville, au nord du département et au sud de Toulouse, n’a alors plus un seul emploi salarié : il ne reste plus que des fonctionnaires et quelques artisans. Tout le reste a disparu, les habitants partent en continu s’installer ailleurs.

      Trigano se fait élire sur une seule promesse : créer 100 emplois salariés. Il va en créer 200 dès son premier mandat, en attirant Ruggieri, l’entreprise marseillaise de feux d’artifice et d’explosifs qui cherche une usine plus grande et a besoin d’un site Seveso gigantesque en raison des dangers d’explosion - l’usine explosera d’ailleurs en partie en 1993, sans faire de victime car c’était un dimanche. « Vingt ans plus tard, j’étais toujours maire, j’avais créé 700 emplois salariés et Mazères comptait 7 000 habitants, contre 1 800 au départ. »

      André Trigano prend goût à la politique. Il est élu député, siège au conseil départemental, à la Région, finit par être élu à Pamiers : « J’y ai créé 5 700 emplois, attiré 220 entreprises, toujours avec la même méthode : des entreprises diversifiées, un bon équipement, des permis de construire rapides, une aide efficace pour monter les dossiers, un financement grâce à nos relations. » Mais Trigano, paisiblement positionné au centre droit, se sent bien isolé au milieu des socialistes ariégeois qui le décrivent comme un libéral endurci. Il sourit avec une bienveillance très bien jouée et assène, faussement désolé : « Ils ne connaissent rien à l’entreprise, les pauvres. Ce sont des fonctionnaires, vous savez. »

      Le fait est que d’entreprise privée, de carrière, on ne parle pas beaucoup ici. L’enrichissement personnel, la réussite professionnelle, tout cela est beaucoup moins valorisé que l’épanouissement de l’humain et l’harmonie avec la nature - le parc naturel couvre 40% de la superficie du département. « Ici, on préfère la qualité de vie au stress des transports en commun bondés, on mange sainement, on respire un air pur », assure Bénédicte Taurine, députée de la première circonscription du département. C’est vrai, la qualité de l’air ariégeois est l’une des meilleures de France et sa densité l’une des plus faibles, avec 31 habitants au kilomètre carré, contre 21 000 à Paris, soit 700 fois plus. Bénédicte Taurine, elle-même, n’avait pas du tout prévu de faire carrière. La syndicaliste de toujours était persuadée de n’avoir aucune chance d’être élue quand, toute jeune quadra, elle a accepté en 2017 d’être tête de liste de La France insoumise... Pour elle, l’entreprise s’apparente plus à un risque qu’à une promesse. Elle a vécu au sortir de l’adolescence la catastrophe de l’arrêt de l’usine Pechiney (1 000 emplois supprimés à Tarascon, qui comptait alors 8 000 habitants) et la disparition progressive de l’industrie textile qui faisait vivre Lavelanet, en pays cathare. Alors le privé et ses incertitudes, elle ne leur fait pas confiance : « Je crois qu’il faut de nouvelles activités, mais pas forcément une industrie de masse. »

      Le public et l’associatif avant tout

      Cette idée - ignorante de toute réalité économique- que le salut ne viendra pas du privé, mais du public et de l’associatif, est partagée par la plupart des cadres politiques locaux. Norbert Meler, maire de Foix, élevé dans un milieu libertaire par des parents anarchistes, donne priorité à la réparation des inégalités du système plutôt qu’au développement économique. Dans une ville où le taux de pauvreté est élevé - 30% des élèves paient la cantine 1,30 euro (soit une réduction de 50%, sous conditions de ressources) -, il mise sur la cohésion sociale par le sport : piscine dernière génération, vélodrome rénové en 2017, stade d’athlétisme, dojo, aires multisports, boulodrome, aire de skate, terrains de volley, espaces de streetball, stade d’eaux vives... Pour une ville de moins de 10 000 habitants. « Nous concentrons l’offre sportive pour tous les environs, défend Norbert Meler. Et puis c’est ainsi que nous pouvons identifier les enfants les plus démunis et les aider. Très peu passent entre les mailles du filet, nous avons un système associatif très performant. »

      Le tourisme, lui, a été un peu négligé. Pourtant, la petite cité est une merveille médiévale, avec des rues entières conservées quasiment intactes depuis l’époque du puissant comté de Foix. Elle est surplombée par un spectaculaire château fort millénaire, orné de deux tours quadrangulaires et d’une tour ronde entourés par une enceinte fortifiée. On le visitait naguère en moins d’une heure. Des travaux pour revaloriser l’endroit se termineront en juin, moyennant quoi « les touristes pourront désormais rester une bonne demi-journée sur les lieux. Nous espérons passer de 80 000 visiteurs par an à 120 000 », assure le maire.
      Solidarité et vaste plan fibre

      À l’hôtel du département, peu après la mairie, le discours est tout aussi ferme quand il s’agit de solidarité et tout aussi étrangement indifférent au développement économique. Henri Nayrou, le président du conseil général, issu d’une grande famille de cadres socialistes locaux, fait partie des 13 présidents de département prêts à expérimenter le revenu universel : « J’avais proposé revenu décent, c’était plus parlant. » Le projet a été bloqué par le Parlement à la fin du mois de janvier. Engagé en politique depuis des décennies, il sait de quoi il parle en matière de solidarité : le département y consacre 67% de son budget, soit 116 millions d’euros. Une bonne partie de l’enveloppe va au RSA, passé de 19 millions en 2006 à 37 millions en 2017. L’Etat ne compense pas tout, contrairement aux promesses faites. Malgré des finances très serrées, un plan colossal a tout de même été lancé pour installer la fibre partout d’ici à 2025 et désenclaver ceux qui vivent dans les coins les plus reculés. En revanche, aucune réflexion n’a véritablement été menée pour identifier les entreprises qui pourraient venir s’installer grâce à la fibre. « On a mis le terreau, tranche Henri Nayrou, ce n’est pas notre rôle de faire du business. »

      Un état d’esprit qui s’exprime de manière encore plus radicale dans les montagnes du Couserans, au sud du département. La nature y est sauvage, les montagnes s’y élèvent jusqu’à 3 000 m. C’est là qu’ont été relâchés les ours slovènes, qui seraient environ 50 aujourd’hui, que des loups ont été aperçus cet hiver. Là que les derniers bergers luttent pour le pastoralisme malgré la présence des deux espèces de prédateurs qui égorgent des dizaines de brebis chaque année. Là encore que se sont fixées des populations qui ont choisi de vivre autrement, dans des yourtes, des cabanes, des granges retapées. Discrets, voire invisibles, il est difficile de les trouver si l’on ne sait pas exactement où les chercher. Ils veulent rester « les pieds dans l’herbe », « à l’air libre », « hors les cadres », « sans pollution, ni sonore ni visuelle », comme ils le disent au hasard des rencontres, toujours sous couvert d’anonymat. Le confort est assuré par des panneaux solaires, des branchements sur des sources, un poêle à bois. On trouve ici le plus grand nombre d’enfants non scolarisés - 300 en Ariège au total -, et les trois seules écoles hors contrat du département. Dans des épiceries solidaires, ouvertes 24h/24, on prend ce dont on a besoin et on place soi-même l’argent dans la caisse.

      Combien sont-ils ces néoruraux qui, tout en travaillant (certains sont même salariés à Paris), ont choisi de créer une société d’« autonomie collective » ? « Nous sommes des centaines », assurent-ils. Dans cette atmosphère à la fois frondeuse et militante, précaire et vulnérable, certains se sentent très seuls. « L’attractivité économique, ici, c’est secondaire », enrage Jérôme Azéma, candidat malheureux pour LREM aux législatives, qui a des idées à la douzaine pour relancer le tourisme avec des hôtels, un parc d’attractions médiéval, un nouveau portail interactif pour proposer séjours à thème et parcours fléchés... « L’autoroute entre Toulouse et Barcelone ? Elle ne se fera jamais », se désole de son côté Paul-Louis Maurat, président de la CCI, qui sait bien que jamais des usines exportatrices ne s’installeront si les infrastructures ne sont pas performantes. Et ne se fait aucune illusion : les associations de protection de la nature ne laisseront pas un seul engin de chantier approcher de la montagne. L’Ariège restera une terre de lutte. Mais après tout, « vous voulez devenir riche, vous ? »

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      Villégiature pour caciques

      Terre socialiste, l’Ariège a longtemps attiré les grands noms du PS, qui s’y sont retrouvés... en toute discrétion. Laurent Fabius a acheté en 2003 dans le village du Carla-Bayle une résidence avec vue panoramique sur les Pyrénées qu’il a évaluée à 680 000 euros dans sa déclaration de patrimoine de 2013, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Le ministre a financé, sur sa réserve parlementaire, des rénovations nécessaires dans le petit village dont les ressources financières sont limitées.

      Tony Blair a, pendant près de dix ans, passé tous ses mois d’août dans le village circulaire de Saint-Martin-d’Oydes, où il était devenu une célébrité locale.

      Jean-Pierre Bel, président du Sénat pendant le quinquenat de François Hollande, s’est retiré depuis 2014 vers Lavelanet, dans le pays d’Olmes, pour préparer les élections municipales de 2020 à Toulouse.

      Enfin, non loin de l’Ariège, mais en Haute-Garonne, se trouve Cintegabelle, l’ancien fief rural de Lionel Jospin...

      Allégorique tungstène

      La possible réouverture d’une mine en sommeil depuis trente-deux ans, sur la rivière Salat, divise profondément les Ariégeois. La société australienne Apollo Minerals souhaite exploiter à nouveau son tungstène, un métal extrêmement dur et résistant aux plus hautes températures, utilisé pour fabriquer des pales de turbine ou des foreuses, qui intéresse particulièrement l’industrie spatiale et l’armement. La Chine, qui dans les années 80 a inondé le marché mondial de son tungstène bon marché, a provoqué la fermeture de nombreux sites et assure aujourd’hui 85% de la production mondiale. L’augmentation de la demande et des prix a rendu l’exploitation en France de nouveau intéressante. L’Etat a encore trois ans avant de se prononcer sur la réouverture. Le maire de Couflens est vent debout contre le projet.

    • merci @lyco ! Le brevet décerné par Les Échos enjolive les positions des édiles radsocs et PS quant à leur rapport à l’économie et à la morale du travail (ils n’ont pas hésité à faire la #chasse_aux_pauvres). Leur enquête « sociologique » (attention, expliquer c’est justifier !) néglige une autre histoire tout juste lisible entre les lignes : des néo ruraux il y en a des générations successives depuis le début des années 60 ; de plus l’exode rural des Ariégeois s’est beaucoup fait vers Toulouse et alentour, avec le maintien de liens locaux autour de maisons et terres familiales.

  • Les États-Unis doivent lever les sanctions économiques contre Cuba, déclare le Président du Sénat Français

    Conversations avec Jean-Pierre Bel, Président du Sénat français

    Salim Lamrani
    Opera Mundi

    Président du Sénat depuis 2011, Jean-Pierre Bel est le deuxième personnage de l’Etat français selon la Constitution. Ce proche du Président de la République François Hollande est devenu le premier socialiste à occuper ce poste à la Chambre haute du Parlement sous la Ve République. Parlant couramment espagnol, c’est un fin connaisseur de l’Amérique latine et notamment de Cuba.
    Né en 1951 au sein d’une famille de résistants communistes du sud de la France, Jean-Pierre Bel s’est engagé dès les années 1970 dans les réseaux de solidarité avec l’opposition espagnole en lutte contre la dictature de Francisco Franco, accueillant les réfugiés et fournissant de l’aide matérielle aux antifascistes. Lors de l’une de ces opérations, il sera même arrêté par la police franquiste et passera plusieurs mois dans les geôles espagnoles.
    Elu maire en 1983 et sénateur en 1998, Jean-Pierre Bel a présidé le groupe socialiste du Sénat de 2004 à 2011 et a siégé pendant plus de dix ans au bureau national du Parti socialiste, avant d’être élu numéro deux de la Nation. Jean-Pierre Bel est un fervent partisan d’un rapprochement entre la France et l’Amérique latine – notamment avec Cuba, pour des raisons non seulement politiques mais également affectives. En effet, admirateur de la Révolution cubaine depuis son adolescence, charmé par l’intelligence remarquable du peuple de José Martí, le Président du Sénat a épousé une Cubaine et de cette union est née une fille.
    Au cours de ces conversations réalisées dans l’île, le Président du Sénat aborde les relations entre Cuba et la France, la politique de l’Union européenne vis-à-vis du gouvernement de Raúl Castro, le conflit bilatéral entre Washington et La Havane ainsi que les perspectives de sa normalisation sous le second mandat de Barack Obama. Il évoque également la distinction octroyée à Eusebio Leal, historien de La Havane, qui a reçu au nom du Président de la République la Croix de Commandeur de la Légion d’Honneur. Enfin, ce dialogue s’achève sur une réflexion autour de la figure de Maximilien Robespierre, Héros de la Révolution française.


    Salim Lamrani : Monsieur le Président, dans quel état se trouvent les relations entre Cuba et la France ?

    Jean-Pierre Bel : Les relations entre nos deux pays se trouvent à une étape charnière. Il y a eu récemment, à la fin du mois de janvier, la rencontre entre l’Union européenne et la Communauté des Etats latino-américains et caribéens à Santiago du Chili, où les dirigeants des deux continents ont pu échanger des points de vue et des idées sur l’avenir de notre monde et sur le modèle de société que nous voulons construire. Cuba a pris la présidence de cette institution, la CELAC, qui regroupe les 33 nations d’Amérique latine et de la Caraïbe et il s’agit là d’un événement majeur. Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, était à Santiago et je puis vous affirmer qu’il y a une volonté très forte de la part de notre pays, la France, d’approfondir les relations avec Cuba. J’en ai personnellement parlé avec le Président de la République, François Hollande, et il y a une réelle résolution à renforcer nos liens avec La Havane.

    SL : Quels sont les liens entre les deux nations ?

    JPB : Les liens sont multiples et ils sont d’ordre historique et culturel. La Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avaient beaucoup influencé les plus grands penseurs cubains, en particulier l’Apôtre et Héros national cubain José Martí. La Révolution française a également marqué la Révolution cubaine dans sa lutte pour l’indépendance. L’hymne national cubain, La Bayamesa, est directement inspiré de La Marseillaise et il y a une grande similitude entre nos drapeaux. De grands personnages français ont participé à l’organisation de ce pays. Pour La Havane, par exemple, c’est un architecte français qui a réalisé les grandes infrastructures autour de la capitale. La ville de Cienfuegos a été fondée par des Français de Bordeaux. Cuba est un pays qui a beaucoup fasciné les Français. Ma génération a beaucoup été marquée par l’épopée révolutionnaire de Fidel Castro. Nous avions tous le portrait de Che Guevara dans nos chambres.
    Plus qu’un symbole, la France et Cuba partagent une histoire commune. Nous avons donc la responsabilité, nous, générations d’aujourd’hui, de reprendre cette histoire et de faire en sorte que nos deux pays, nos deux peuples, puissent retrouver une amitié solide et fraternelle.

    SL : Qu’en est-il aujourd’hui ?

    JPB : Aujourd’hui, l’époque est différente et je souhaite, compte-tenu des mes liens particuliers avec Cuba, contribuer à retrouver cette voie de l’amitié et à partager nos points de vue. La France a un rôle à jouer à Cuba et de grandes sociétés françaises y sont présentes, comme par exemple l’entreprise Bouygues qui construit plusieurs complexes hôteliers et qui a de nombreux projets sur cette île. Il y a également le magnifique mariage entre Cuba et la France avec la marque Havana Club et l’entreprise Pernod-Ricard qui permet de porter à travers le monde l’excellence cubaine en matière de rhum. Air France a également une place particulière à Cuba. Nous voulons tous approfondir nos liens avec Cuba et développer notre coopération, et pour cela nous devons respecter ce qu’est ce pays, son identité, son système et sa manière de fonctionner. Nous avons une grande marge de progression devant nous.

    SL : Que représente ce voyage à Cuba pour vous ?

    JPB : Je suis chargé de porter cette parole d’amitié et de fraternité de la France à Cuba, et ce voyage a une dimension émotive particulière pour moi car ma seconde famille se trouve dans ce pays. Mon épouse est cubaine et j’ai ce pays au cœur. Mais je suis ici en tant que Président du Sénat français, c’est-à-dire en tant que deuxième personnage de la République pour témoigner de l’importance que mon pays accorde aux relations et au dialogue avec Cuba.

    SL : L’Union européenne impose depuis 1996 une Position commune à Cuba, officiellement en raison de la situation des droits de l’homme, faisant de l’île la seule nation du continent à être stigmatisée de la sorte. Loin de constituer une politique constructive, elle s’est révélée être le principal obstacle à la normalisation des relations entre La Havane et Bruxelles. Ne serait-il pas judicieux pour l’UE de modifier son approche vis-à-vis des autorités cubaines ?

    JPB : L’Union européenne doit certainement évoluer et elle est d’ailleurs en train de modifier son approche vis-à-vis de Cuba. La Position commune est une politique révolue et la France souhaiterait se faire l’interlocuteur de cette réalité et convaincre le reste de l’Europe que le dialogue est nécessaire avec Cuba. Nous sommes conscients des difficultés car nous n’avons pas la même vision des choses. Nos systèmes politiques sont différents. Néanmoins, nous sommes lucides et nous savons tout ce qu’a pu endurer ce pays au cours des dernières années. Pour le peuple cubain, la réalité a été difficile. Il m’arrive de vivre avec le peuple cubain et de partager sa vie quotidienne et je suis toujours frappé par sa capacité à faire face aux difficultés, pour bien vivre, pour mieux manger, pour avoir un meilleur confort. Mais il s’agit surtout d’une lutte pour la dignité. Pour nous, Français, Cuba, terre d’esprits libres, est synonyme d’intelligence, de dignité et de beauté. De ce point de vue, nous nous sentons très proches de ce peuple et de ces valeurs que nous portons ensemble.

    SL : Les Etats-Unis imposent des sanctions économiques à Cuba depuis plus d’un demi-siècle. Elles affectent les catégories les plus fragiles de la société. L’immense majorité de la communauté internationale – 186 pays en 2012 – se prononce pour leur levée immédiate. Le moment n’est-il pas venu pour Washington de normaliser ses relations avec Cuba ?

    JPB : Loin de moi l’idée de m’ingérer dans les relations entre deux pays, mais si je dois donner mon sentiment, je dirais que le moment est arrivé, plus que jamais, de retrouver le sens des réalités. Il n’y a que 170 kilomètres de distance entre ces deux nations qui, au cours de l’histoire, se sont toujours regardées face à face. Il est temps que les deux peuples marchent ensemble, l’un à côté de l’autre. Ce serait dans l’intérêt de tous de mettre de côté les différends et de regarder collectivement l’avenir d’un œil paisible. Il est temps d’en finir avec les sanctions économiques qui durent depuis cinquante ans et qui font souffrir le peuple cubain.

    SL : Au nom du Président de la République française, François Hollande, vous venez de décorer Eusebio Leal, historien de la ville de La Havane, de la Croix de Commandeur de la Légion d’Honneur. Il s’agit de la plus haute et plus ancienne distinction que décerne notre nation. Quels critères ont motivé cette décision ?

    JPB : Eusebio Leal est pour nous un grand personnage. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises à Paris et à La Havane et nous sommes liés par une amitié et une admiration fortes. J’ai toujours été frappé par son immense talent, sa culture incroyable et son insatiable curiosité. Eusebio Leal a la particularité de connaître notre propre histoire mieux que nous. Il l’a étudiée avec beaucoup de passion, en particulier la période napoléonienne. Je me souviendrai toujours de notre rencontre au Palais du Luxembourg, siège du Sénat de la République. Nous nous trouvions devant le siège où l’Empereur Napoléon avait été couronné et nous écoutions les explications de plusieurs spécialistes de l’époque. Eusebio Leal, historien de La Havane, Cubain, à notre grande surprise, avait complété les propos de ces historiens et avait éclairé des détails et des aspects que nous ignorions tous. D’ailleurs, à Cuba, à La Havane, se trouve l’un des plus grands musées au monde sur Napoléon, œuvre de Leal, et il est d’une richesse extraordinaire. Il a été inauguré en 2011, en présence de la Princesse Napoléon.

    SL : Quelles valeurs représente Eusebio Leal à vos yeux ?

    Eusebio Leal est porteur des valeurs de la France, des principes de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il partage le combat de la France pour la liberté et l’émancipation du genre humain, par la conquête de nouveaux droits sociaux. Il partage notre esprit de résistance et de solidarité vis-à-vis des plus faibles. Il est le lien entre la France de Victor Hugo et d’Aimé Césaire et la Cuba de José Martí. Il est le lien entre nos deux cultures convergentes. Leal est en même temps le symbole de cette extraordinaire culture cubaine, si proche de nous. Eusebio Leal est un très grand ambassadeur de Cuba en France et à l’étranger et je crois que cette distinction particulièrement importante est amplement méritée. Il y a très peu de personnalités étrangères qui ont été décorés de la Croix de Commandeur de la Légion d’Honneur, établie par Napoléon Bonaparte le 19 mai 1802. A ma connaissance, hormis Nelson Mandela, personne d’autre n’a reçu une telle distinction.

    SL : Maximilien Robespierre, notre Libérateur, le défenseur de la souveraineté populaire, était sans doute le plus fidèle représentant des aspirations du peuple français lors de la Révolution. Quand lui érigerons-nous une statue à Paris ?

    JPB : Beaucoup de Français sont attentifs à l’histoire de Robespierre et, comme à Cuba, nous avons en France nos grands débats. La façon dont Robespierre a porté notre Révolution et les raisons pour lesquelles il a été guillotiné en pleine période de Terreur sont l’objet de controverses. Il est vrai qu’il y a également eu la terreur blanche des royalistes. Je viens d’un département dont le président de la Cour de Sureté Générale, au moment de la Terreur, a fait tomber Robespierre et lui a coupé la tête.

    SL : Défendre l’héritage de Robespierre ne revient-il pas à défendre la Démocratie ?

    JPB : Il y a un regard historique qu’il convient de porter sur ces événements. Les idées de la Révolution sont les miennes. L’idéal de Robespierre est le mien. Sans doute ne partagerais-je pas aujourd’hui la manière dont le pouvoir a été exercé à l’époque. Mais aujourd’hui est un autre jour, une autre époque et il est difficile de porter des jugements a posteriori car nous n’avons pas vécu l’épopée révolutionnaire, et qui sait comment aurions-nous agi si nous avions été au pouvoir et si nous avions dû faire face à une guerre civile et à l’assaut de toutes les monarchies européennes coalisées contre notre Patrie et notre Révolution. Je puis porter un jugement historique, certes, mais pas un jugement politique.


    Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de la Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
    Son dernier ouvrage s’intitule État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).
    Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
    Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

  • Ariège, le conseil général socialiste supprime le RSA à des centaines de personnes, et le revendique (CIP-IDF)
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6332

    Le changement à une drôle d’allure... Celle d’une gauche rose pâle qui n’augmente guère le SMIC, n’a concédé aux salariés qu’une hausse de l’allocation de rentrée scolaire, la création d’emploi aidés et des embauches dans l’éducation, celle d’une gauche bleu marine qui persécute les Roms ; l’allure d’une entreprise France désormais dirigée par un ancien de la haute école de commerce et qui ne voudrait revenir ni sur l’interdiction du revenu minimum aux moins de 25 ans, ni sur la diminution du « pouvoir d’achat » de qui dépend d’allocs chômage, de minima sociaux ou de pensions de retraite toujours plus difficiles à obtenir en raison des durées d’emploi exigées [1]. On nous annonce 30 milliards d’économies et, on le verra ci-dessous, alors que cette modalité de la gestion punitive des pauvres était jusqu’alors occultée par les conseils généraux majoritairement dirigés par la gauche qui en sont chargés, pour la première fois, un conseil général PS revendique haut et fort de supprimer le RSA à des centaines de personnes [2]. Source : CIP-IDF

    • Vivre de rien

      Ils ont 400, 700, 1 000 euros (pour une famille avec 3 enfants) par mois pour vivre. Certains sont en marge de la société ; d’autres, victimes de la désindustrialisation, du manque de #travail, de l’#isolement ; certains enfin s’inscrivent dans un processus de « décroissance ». Pierre Hybre les a rencontrés au printemps et en mai derniers, en #Ariège. Situé tout en bas de la France, ce département est l’un des moins peuplés, l’un des plus #pauvres. « Une autre particularité de ce coin reculé, raconte Pierre Hybre, est son degré d’acceptation de la différence, assez exceptionnel. La marginalité est ici largement tolérée par la population. » Ce reportage présente, en dyptique, les personnes rencontrées dans leur cadre de vie, et s’accompagne d’un extrait sonore. Il s’inscrit dans la série les « Oubliés de nos campagnes », commandée par le Secours catholique à l’agence photo M.Y.O.P. Deux autres reportages sont visibles ici et là.

      http://www.mediapart.fr/portfolios/vivre-de-rien

      « Je ne voterai plus socialiste »

      Mediapart s’est installé une semaine dans l’Ariège, un des départements les plus socialistes de France. Dans cette terre industrielle et rurale violentée par la #crise, les électeurs de gauche oscillent entre gros doutes et colère. Ici la droite est quasi inexistante. Le Front national est en embuscade. Premier volet d’une série de trois reportages.

      Dans l’annuaire téléphonique, bien des noms sont d’origine espagnole, avec des “ez” et des “o” à la fin. Lors de la guerre civile espagnole (1936-39), Lavelanet, prospère cité textile au pied des Pyrénées, fut un refuge pour beaucoup de républicains. Fuyant le franquisme, ils rejoignirent certains de leurs compatriotes arrivés des décennies plus tôt. Aujourd’hui, cette terre d’immigration (après les Espagnols, il y eut les Maghrébins) fait partie des villes convoitées par le Front national.

      Ici, comme dans le reste de l’Ariège, on a presque toujours voté à gauche. Dans ce département pauvre, rural et industriel, marqué par un #socialisme laïque et républicain, le PS reste hégémonique, le PCF conserve quelques beaux restes. À chaque élection nationale, l’Ariège est un des départements les plus socialistes de France. Lors de la dernière présidentielle, certains villages ont voté Hollande au premier tour à 50, 60,voire plus de 70 %.

      À Lavelanet, le baron local s’appelle Jean-Pierre Bel. C’est ici que l’actuel président socialiste du Sénat, très proche de François Hollande, a entamé sa carrière politique. En 2001, il reprend la ville, brièvement conquise par la droite. Il en fera son marche-pied vers les hautes sphères de l’État.

      Mais pour les habitants, hormis la fierté passagère de voir l’un des leurs intégrer le cercle des puissants, l’ascension de Jean-Pierre Bel n’a pas changé grand-chose. En trente ans, Lavelanet a perdu des milliers d’emplois et 3 500 habitants. Le centre-ville, ses vastes allées, la grande esplanade bétonnée au-dessus de la rivière : c’est le décor tout entier qui est devenu trop grand. Un actif sur quatre est au #chômage. Le textile a disparu. La mécanique de pointe, elle, se porte très bien. Mais elle n’emploie pas la main-d’œuvre locale, pas assez qualifiée.

      Ici, François Hollande a réuni 33,76 % au premier tour de la présidentielle, loin devant Marine Le Pen, puis Nicolas Sarkozy. Le chef de l’État a toujours des partisans. Comme Ariel Nunez, patron d’une petite entreprise de vente d’articles de pêche par correspondance, aficionado du “Che” et vieil ami de Jean-Pierre Bel, qu’il voit le week-end. « Hollande, c’est un super mec, moi je me régale… Bon, c’est vrai qu’il a un problème : cette image qui lui colle à la peau depuis les Guignols de l’Info (qui présentent Hollande en personnage jovial mais un peu demeuré, ndlr). Il fait le max. Il suffit que le chômage baisse et il va remonter… »

      Ancienne déléguée CGT de la grande usine Roudière, fermée au début des années 1990, aujourd’hui à la retraite après des années de petits boulots, Maria n’est pas transportée, mais elle excuse le chef de l’État. « Hollande hérite de ce qui s’est passé avant lui. Vraiment, je le plains… »

      Parmi ceux qui ont glissé un bulletin Hollande dans l’urne, beaucoup commencent tout de même à perdre patience. Pierre, restaurateur au look rocker (le prénom a été changé), a voté Mélenchon au premier tour, Hollande au second. « Le changement, on l’attend… Il faudrait une révolution, il n’y a que ça… », tonne-t-il, en colère derrière son comptoir.

      Geneviève Lagarde, infirmière à domicile de 53 ans (Hollande au second tour, « plus à gauche au premier »), ne cache pas son désarroi. « Il y a eu un moment d’espoir, mais là, c’est le statu quo. Je ne vois pas ce qui a changé. » Elle peste contre les « dissonances au gouvernement », l’abandon de l’écotaxe (« une bonne chose, il ne fallait pas reculer même si c’est mal perçu »), « les grosses fortunes dans lesquelles on ne tape pas alors qu’on rogne les revenus des petits salaires et des retraités ». « En voulant ménager la chèvre et le chou, on n’arrive à rien ! À force de reculer, à chaque fois, ils se discréditent. Ça me fait de la peine. Les gens de gauche comme moi, on est désorientés. » Aux européennes, Geneviève ne votera pas PS : « Pas contre eux, mais pas pour eux non plus », résume-t-elle.

      « Je cherche juste un boulot, moi, n’importe quoi », peste Mourad, 27 ans, qui traîne au PMU près de l’agence Pôle emploi et n’aime pas beaucoup parler politique. « Mais c’est pas facile avec ma tête et ma barbe. Hollande dit que le chômage s’est inversé, mais c’est parce que tout le monde est au #RSA. »

      Sur le vaste parking du centre-ville, je croise Marie-France, 37 ans, mère seule avec deux enfants, vendeuse en pointillé. Dans le passé, elle a voté Mitterrand, elle sèche les urnes depuis. « En fait, on n’a jamais autant parlé politique avec la famille et les amis depuis que Hollande a été élu. » Avec ses proches, Marie-France ne commente pas la politique du président (ni mieux ni pire que Sarkozy, dit-elle). Ce qui l’obsède, c’est le style de ce chef de l’État qu’elle ne voit qu’à la télé. « Il ne fait pas président… il n’est pas rassurant… quand on parle de lui, on rigole » :

      « Ici tout le monde est socialiste, mais c’est drôle : plus personne ne l’a voté ! » s’amuse une mamie « de droite ». « Il y a une grande déception, admet le maire de Lavelanet, Marc Sanchez, qui a succédé à Jean-Pierre Bel à la mairie. Les gens attendent d’abord du travail. La courbe du chômage s’est peut-être inversée, mais nous on ne voit rien. À la rentrée, j’ai croisé beaucoup de #retraités mécontents de devoir payer pour la première fois plusieurs centaines d’euros d’impôt. Les nouveaux rythmes scolaires, on y est passé, mais ce n’est pas simple, et encore plus difficile pour les petites communes. En fait, c’est assez dur d’expliquer ce que fait le pouvoir. »

      « Les gens ont voté Hollande d’abord pour se débarrasser de Sarkozy », abonde l’ancien député européen PS Michel Teychenné, actuel chef de l’opposition municipale à Pamiers, la capitale économique de l’Ariège, une des rares communes aux mains de la droite dans le département. « Il y a une très forte attente sur les retraites, le pouvoir d’achat, le chômage.

      Aujourd’hui, l’impression domine que la politique économique menée est à peu près la même que celle du gouvernement précédent. Nos concitoyens trouvent qu’on leur dit un peu trop « paie, paysan » ! Ils ne voient pas le bout du tunnel », analyse ce proche du ministre de l’éducation Vincent Peillon.

      Près de Pamiers, dans cette basse Ariège devenue la grande périphérie de Toulouse, les #lotissements sortent de terre les uns après les autres. La Tour-du-Crieu (photo) est un de ces villages champignons au bord de l’autoroute entre Toulouse et Foix. Il attire la petite classe moyenne en quête d’un pavillon.

      Il est midi ce vendredi de décembre et Émilie, aide-soignante de 30 ans, rentre du travail. Avec son compagnon, elle habite un petit pavillon blanc tout neuf, entouré d’une mince langue de gazon. « Hollande ? No comment. » Émilie a voté pour lui aux deux tours. En 2007, elle avait choisi Sarkozy. « J’y avais un peu cru. Ça fait deux fois que je me penche sérieusement sur le truc, et deux fois que ça me déçoit. » La politique ne l’intéresse plus vraiment, elle « coupe » souvent la télé. « Tout ça donne vraiment envie de faire juste son petit bout de chemin, chacun de son côté. » « Ce ne sera pas mon cas, mais je comprends que les gens aient envie de se faire entendre en votant FN. Le manque de travail pour les jeunes, ces retraités dont je m’occupe qui vivent parfois dans la misère… c’est honteux. »

      « Je ne voterai plus socialiste, c’est clair », dit Jean, ex-cadre à La Poste, aujourd’hui retraité. Jean, famille de gauche, a milité au PS. Il en est revenu. « Je suis déçu depuis de nombreuses années mais là… il y a beaucoup de promesses non tenues, ça entraînera de nombreuses déceptions. On nous avait dit par exemple que la TVA, promis juré, on ne ferait pas ça… Ce qu’ils disent est contredit dans les jours qui suivent. Je ne crois plus en rien de leur part. »

      « Hollande est beaucoup plus réactif sur les problèmes militaires que sur les problèmes qui concernent les Français, le chômage, la crise. Veut-il faire diversion ? Je ne sais pas », poursuit Jean.

      « Gauche de droite »

      À Lavelanet, le Front national est très peu visible. Thérèse Aliot, la secrétaire départementale (qui est aussi la mère du vice-président du Front national et compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot), s’y est déjà présentée aux cantonales de 2011. À la presse locale, elle affirme pouvoir monter une liste aux municipales dans la « ville du futur ex-président du Sénat, cela aurait valeur de symbole », même si trouver une trentaine de personnes prêtes à s’afficher sur une liste FN va être compliqué. À Pamiers, le FN, qui a fait fort aux cantonales, présentera aussi une liste. Le score du parti d’extrême droite aux européennes inquiète les socialistes locaux. « Le FN va flamber », s’inquiète Michel Teychenné.

      Guillaume Eychenne, 33 ans, patron du “CaféIn”, un des rares bars du centre-ville de Lavelanet, prédit lui aussi un printemps compliqué pour la gauche. « Les socialistes, ça va leur faire bizarre : les gens vont voter « ailleurs ». Il y a plus de racisme. Et pourtant, ici pas grand-monde n’est réellement français ! Des électeurs habituels de la gauche sont en train de basculer à l’extrême droite. Même des gens dont les parents sont espagnols ! Et puis les Portugais sont entre eux, les Arabes sont entre eux… »

      Guillaume Eychenne, patron du « CaféIn » de Lavelanet © M.M.
      Carolyne, 32 ans, est le cas type de ces électeurs perdus par la gauche. Tous les jours, cette brune aux faux airs de Valérie Lemercier vient voir les offres « au Pôle emploi ». Elle traîne avec elle un épais dossier jaune : elle est sérieuse, veut le montrer, pas comme ceux « qui se contentent de 400 euros par mois ». « Je ne veux pas être… comment ça s’appelle… dépendant, accroché à la société, ceux qui ont les bons alimentaires, la mutuelle payée, les docteurs gratuits, les bons pour l’essence, les œuvres humanitaires. Quand je travaille je suis la plus heureuse du monde. Moi je dis « Si tu veux bouffer, travaille » ! » En ce moment, pourtant, elle galère. Ancienne agent de sécurité reconvertie dans les ambulances, Carolyne vivait à Toulouse, s’est séparée de son petit ami, vit désormais chez sa mère pour économiser la garde de ses trois enfants.« Pour que je trouve du travail, faudrait aller à Toulouse, dans l’Aude… mais faut mettre les sous dans l’essence. »

      La politique ? À l’origine, Carolyne était « PS, de gauche ». Des années après, elle n’a toujours pas compris que Ségolène Royal, une fois la présidentielle de 2007 perdue, explique qu’elle ne croyait pas à une partie de son programme (le Smic à 1 500 euros brut, la généralisation des 35 heures). En 2007, elle avait voté Sarkozy. Puis elle a voulu s’en débarrasser : Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle, Hollande au second. Elle regrette. « Ce président, c’est un clown. Il a une mauvaise présentation. C’est un pauvre type, ce mec », dit-elle en tordant la bouche. Désormais, elle vote Front national. « 

      Maintenant je suis assez définie sur ma politique. » Elle baisse la voix, regarde autour. « Ça ne se dit pas ici. » Elle se pose tout de même plein de questions. « Je n’ai pas toujours voté pour le Front national parce que je suis quand même humaine. Faut penser au passé, les immigrés, on était bien contents de les avoir… »

      Sur la route entre Lavelanet et Foix, perché à 600 mètres de haut, le village de Nalzen (123 habitants) fait partie des 19 communes de l’Ariège (sur 332) à avoir placé Marine Le Pen en tête de la présidentielle. « J’ai été surprise, raconte Régine Authié, la maire (sans étiquette). Nous n’avons eu ici qu’une famille de Marocains, c’était il y a longtemps et ça s’est très bien passé avec eux. » Selon elle, le vote FN dans son village est d’abord « l’expression d’un ras-le-bol général, des politiques de droite comme de gauche ».

      Pour les européennes, elle prévoit un « ras-le-bol « plus » ». « La gauche, ce n’est plus ce que c’était… c’est une gauche de droite ! On nous serre la vis de partout, et pour aider les communes, c’est de plus en plus serré. » Aux municipales de mars, la maire ne se représentera pas, histoire de profiter de la retraite. « Je ne sais même pas si mon successeur va arriver à faire une liste de onze personnes. Les gens sont démotivés. Ils se désintéressent de la chose publique. »

      MATHIEU MAGNAUDEIX - mediapart.fr
      http://www.mediapart.fr/journal/france/020114/je-ne-voterai-plus-socialiste

      En Ariège, au pays du socialisme « congelé »
      06 JANVIER 2014 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX

      Archicentralisation du pouvoir, cumul des mandats locaux, fonctions transmises de façon héréditaire, entre-soi... l’Ariège, un des départements les plus socialistes de France, offre une surprenante panoplie de pratiques politiques contestables. Sans compter les affaires.

      À Foix, chef-lieu de l’Ariège, deux citadelles dominent le centre-ville : le château fort médiéval, haut lieu du #tourisme local, et l’hôtel du conseil général, planté en haut d’une colline. C’est là que règne Augustin #Bonrepaux. Sur la scène nationale, le président socialiste du conseil général de l’Ariège, 76 ans dont 47 années de politique, surtout connu pour son inlassable combat contre la réintroduction des ours dans les Pyrénées, n’est pas vraiment un politique de premier plan. Mais dans ce département de 160 000 habitants (un des moins peuplés et des plus pauvres de France), M. Bonrepaux père est une sommité, crainte et incontournable. Ici, lui et ses alliés font la pluie et le beau temps.

      Fin 2013, l’homme fort du département a disparu de la circulation pendant trois bonnes semaines.« Blessure à la jambe », a écrit la presse locale, laconique. Certains responsables socialistes évoquaient en aparté un accident plus grave. Pendant trois semaines, l’état de santé du président du conseil général fut un secret d’État. Quelques-uns affirmaient qu’il ne reviendrait jamais. Jeudi 19 décembre, à la faveur d’une réunion du puissant syndicat des eaux, Augustin Bonrepaux a fait son retour, appuyé sur une canne. « Je chasse l’isard (une sorte de chamois, ndlr) : cette bestiole se cache dans les roches difficiles, explique Bonrepaux, joint par Mediapart le jour de soncome-back. Mon fusil a accroché la roche, j’ai eu le fémur brisé en trois endroits, ai dégringolé de 40 mètres, par miracle je ne suis pas mort. » A-t-il fait un accident vasculaire cérébral, comme l’affirment certains ? Pirouette : « Je n’ai pas perdu la mémoire. »

      Au pied des Pyrénées, l’Ariège rurale et montagnarde est un des départements qui votent le plus socialiste lors des scrutins nationaux, avec des poussées au premier tour à plus de 60 % dans certains villages. « Ici, ça résiste bien. On est le village normand des socialistes ! » s’amuse Marc Carballido, vice-président de la région Midi-Pyrénées, ancien premier fédéral du PS. Le résultat d’une « tradition républicaine et laïque » dans cette terre de culture paysanne et ouvrière.

      Le PS local compte 1 200 adhérents, jolie performance pour ce petit département. Il détient 19 des 22 sièges au conseil général, les trois mandats de parlementaires (dont le président du Sénat, Jean-Pierre Bel), de nombreuses communes et intercommunalités, les villes de Foix et de Lavelanet – Pamiers est le fief du centriste André Trigano (à 88 ans, celui-ci est candidat à sa réélection aux municipales de 2014).

      Dans cette petite principauté socialiste, les 332 communes, dont certaines ne comptent que quelques habitants, sont très dépendantes de la manne financière du département (47 millions d’investissement, dont un tiers va à l’aide directe aux projets communaux, sans compter les aides aux associations et les prestations sociales).

      L’intervention de la puissance publique permet certes de réduire les inégalités mais elle crée aussi un vaste réseaux d’affidés, ou au moins d’élus qui ne font pas trop de vagues pour ne pas risquer de déplaire. « On est encore sur un système IIIe République, radical-socialiste, très fermé, avec une hégémonie PS sur des territoires ruraux où la puissance publique est très présente », commente Gérald Sgobbo, maire (divers droite) de Villeneuve-d’Olmes, une ville proche de Lavelanet, le "fief" de Jean-Pierre Bel.

      « Le système politique de l’Ariège, fondé sur un #clientélisme qui s’appuie sur le maillage des petites communes, ouvrier de gauche, est congelé. Ici, c’est plus la RDA que le PS », ajoute, lapidaire, Michel Teychenné. Ancien fédéral du PS local, chef de file de l’opposition de gauche à Pamiers, cet ancien conseiller de Lionel Jospin accusa en 2010 le parti socialiste ariégeois de l’avoir écarté des listes aux régionales pour cause d’homophobie. Il fut alors frappé, traité de « sale pédé » par de« faux militants » – Augustin Bonrepaux l’a toutefois fait condamner pour complicité de diffamation.

      Teychenné, proche de Vincent Peillon et qui fut chargé dans la campagne de François Hollande des questions LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), ferraille depuis des années contre « la PME qui dirige le département en défendant les intérêts de ses actionnaires et de ses héritiers ».

      Si de telles pratiques existent ailleurs, l’Ariège offre de fait un surprenant condensé de pratiques politiques contestables : archicentralisation du pouvoir, cumul des mandats locaux, fonctions politiques transmises de façon héréditaire, faible renouvellement du personnel politique, etc.

      Dynasties

      Le patron, c’est donc Augustin Bonrepaux, incarnation du baron local cumulant mandats et influences. Conseiller général depuis 1976, député de 1981 à 2007 (il fut un bref président de la commission des finances de l’Assemblée nationale), Augustin Bonrepaux est président du conseil général depuis 2001.

      Il est aussi maire adjoint d’Ax-les-Thermes (après en avoir été maire), vice-président de la communauté de communes. Et encore président du syndicat départemental des eaux (SMDEA, une régie qu’il a créée en 2005) et vice-président du SDCEA, le syndicat d’électrification : deux structures intercommunales dont les interventions sont cruciales pour les petites communes. « Je ne perçois que mon indemnité de président du conseil général, 3 675 euros net par mois », assure Bonrepaux, qui dit renoncer aux autres. Mais l’empilage des mandats lui permet d’avoir un œil sur tout. Ce type de cumul des mandats locaux n’est pas limité par la future loi sur le cumul des mandats qui entrera en vigueur en 2017.

      Augustin Bonrepaux affirme qu’il passera la main aux cantonales de 2015. « Je n’ai pas l’intention de me représenter », dit-il. Prudence : il a déjà fait le coup, s’amusent les connaisseurs de la vie politique locale. D’ailleurs, ne va-t-il pas rempiler en 2014 sur la liste municipale PS à Ax-les-Thermes ?

      Bonrepaux père a donc la politique dans le sang, et il a transmis la passion de l’intérêt général à ses fils : Jean-Christophe Bonrepaux, maire de Saint-Paul-de-Jarrat et président de la communauté de communes de Foix, est l’actuel premier fédéral du PS ariégeois. « Il s’intéresse à la chose publique, a été désigné par les militants… il n’a pas le droit ? C’est inscrit où dans la Constitution ? », s’agace le père.

      Le bureau fédéral du PS ariégeois compte d’ailleurs plusieurs « proches du Château », dixit un élu local : outre Jean-Christophe Bonrepaux, le directeur du développement économique du conseil général, par ailleurs trésorier du PS départemental ; la secrétaire générale de la mairie de Foix ; un assistant parlementaire de député ; le secrétaire général d’une mairie, etc.

      Bonrepaux fils est souvent cité pour remplacer son père – lui nie farouchement : « Je ne pense pas me présenter aux cantonales, et pas du tout à la présidence du conseil général », dit-il. L’autre fils, Philippe, est directeur de l’éclairage public et de l’énergie du SDCEA, dont le vice-président est... son père. « Il est ingénieur... Il aurait pu être recruté en Haute-Garonne, dans le Tarn, il a préféré l’Ariège. Il a le droit ou pas ? », demande à nouveau Augustin Bonrepaux.

      Évidemment, il a le droit. Mais on a aussi le droit de constater que la famille est si sacrée dans le département que places et mandats semblent se transmettre par hérédité.

      Prenez Frédérique Massat, conseillère générale et députée de Foix. Elle a pris en 2002 la circonscription législative d’Augustin Bonrepaux. Son père, René Massat, ex-vice-président du conseil général, a été député de l’autre circonscription de l’Ariège (1985-1986, puis 1988-1993). Avec son compère Bonrepaux, Massat tire toujours, à 79 ans, les ficelles de la politique locale. Il reste (notamment) vice-président du syndicat des eaux et préside depuis des lustres le syndicat d’électrification (SDCEA)… où sa fille Frédérique, adjointe au maire PS de Foix depuis 1989 (elle avait alors 25 ans), a été embauchée en 1993.

      L’autre député, Alain Fauré, était jusqu’en 2012 le suppléant d’Henri Nayrou, conseiller général (socialiste) depuis trente ans, qui représenta l’Ariège à l’Assemblée nationale de 1997 à 2012. Nayrou s’était lancé en politique en 1983, à la mort de son père Jean, sénateur de l’Ariège de 1955 à 1980. Henri Nayrou devrait quitter la vie politique l’an prochain.

      Quant au sénateur Jean-Pierre Bel, un proche de François Hollande devenu président du Sénat en 2011, il a gravi un à un les échelons de la vie politique locale (conseiller régional, premier fédéral du PS, conseiller général, maire de Lavelanet en 2001, sénateur en 2008) et nationale. Grâce à ses qualités personnelles, sans doute, son amitié avec Lionel Jospin à coup sûr. Mais aussi grâce à l’aide précieuse de son beau-père, Robert Naudi, qui fut président du conseil général de 1985 à 2001.

      Faut-il donc être un héritier pour faire de la politique dans l’Ariège ? Jean-Pierre Bel n’apprécie pas la question : « C’est un petit département, les gens se connaissent mieux, c’est comme ça. Mais c’est un problème qui ne concerne pas que l’Ariège : regardez la famille Debré ! D’ailleurs les commentaires sont souvent injustes : les gens concernés s’investissent beaucoup. » Jean-Christophe Bonrepaux jure que le PS local fait des efforts pour « se renouveler », mais admet aussi que la « reproduction sociale » joue à plein : « La société n’offre pas la possibilité à des gens qui ne sont pas bercés par une certaine culture politique de s’impliquer. » « Dans ce département, on a longtemps considéré que les positions se donnaient par héritage », concède Kamel Chibli, conseiller municipal de Lavelanet qui travaille aujourd’hui avec Bel au Sénat.

      En réalité, seuls de rares élus s’érigent contre ces pratiques politiques. Toujours un peu les mêmes d’ailleurs, au risque de passer pour des aigris ou des énervés. « Massat, Bonrepaux et leurs apôtres cadenassent tout le département. Tout le monde leur doit quelque chose », s’indigne Michel Barre,maire UDI d’Ignaux, ancien militant socialiste devenu l’opposant local d’Augustin Bonrepaux à d’Ax-les-Thermes.

      Affaires

      En aparté, on entend les traditionnelles petites histoires de piston, sans savoir quelle est l’ampleur exacte du phénomène : telle fille de maire recrutée à la communauté de communes puis au conseil général, telle personne embauchée dans un syndicat « parce qu’elle a la carte » du PS, etc.

      Certains racontent aussi l’unanimisme des assemblées générales des syndicats de l’eau (SMDEA) ou d’électrification (SDCEA), tenus par le duo Bonrepaux-Massat. « Si vous n’êtes pas d’accord, vous avez 200 regards qui se tournent vers vous… il faudrait au moins des votes à bulletins secrets », dit Benoît Alvarez, maire (divers gauche) de Montgaillard, dans l’opposition au conseil général.

      « Le SMDEA est le bras séculier du conseil général », assure Michel Teychenné. Quant au SDCEA,« c’est l’éclairage public, l’enterrement des réseaux… il tient tous les maires. Dès que vous êtes affilié, vous êtes obligé de passer par eux », soutient Michel Barre. Le maire d’Ignaux est en conflit depuis des mois avec le SMDEA, qui lui réclame une facture impayée. « Il a transféré sa compétence mais veut garder le pouvoir, ce n’est pas compatible », rétorque un dirigeant du syndicat. Barre assure qu’il s’agit d’une vengeance. « Ils ont tout fait pour me trouver un problème. »

      Michel Barre affirme aussi que sa commune ne touche plus un euro de subventions du conseil général depuis qu’il est entré en dissidence. « Évidemment, on ne vous le dit pas comme ça... mais le fait est qu’on ne prend pas en considération les projets de ma commune », assure aussi Benoît Alvarez. Son crime à lui ? Avoir battu aux cantonales de 2008 une figure du PS ariégeois, Guy Destrem, après l’avoir surpris en train de bourrer une urne. Destrem est mort en 2011 : depuis, la fédération ariégeoise du PS a inauguré dans ses locaux une salle à son nom.

      « Ceux qui vous disent qu’ils sont privés de #subventions ont le droit de le dire, mais qu’ils fassent des réclamations ! Je n’en ai reçu aucune. D’ailleurs, je constate qu’ils ne sont pas très nombreux », rétorque Bonrepaux père.

      En aparté, plusieurs élus l’assurent pourtant : le vent est en train de tourner. Et le « système » est en train de perdre de sa vigueur. Avec la montée en puissance de la région Midi-Pyrénées, le département perd peu à peu de ses prérogatives et les crédits du conseil général s’amenuisent. La partie nord du département, insérée à la quatrième couronne toulousaine, est par ailleurs en train de se normaliser politiquement, avec la confirmation de bastions de droite et des poussées du Front national.

      Et puis il y a ce PS local qui se divise. À Lavelanet, les héritiers de Jean-Pierre Bel se déchirent. Son successeur, Marc Sanchez, a été condamné à 2 500 euros d’amende pour prise illégale d’intérêts. Depuis, il a quitté le PS, mais sera à nouveau candidat à la mairie en mars. Sans aucun socialiste face à lui. Jean-Pierre Bel a mis tout le monde d’accord : « Il y a quelques semaines, j’ai vu les uns et les autres. Il y aura une seule liste à Lavelanet, elle sera menée par Marc Sanchez et toute la gauche y sera », assure-t-il. Pas question que le président du Sénat prenne le risque de perdre son fief – Bel n’aime pas ce mot. Il dit : « C’est féodal. »

      À Pamiers, Michel Teychenné vient de quitter le PS avec fracas après une primaire interne qu’il conteste. Il conduira en mars 2014 une liste municipale dissidente, peut-être avec les écologistes et le Front de gauche. À Foix, le chef-lieu du département, la gauche part elle aussi divisée.

      Les nouvelles règles d’élection du conseil général à partir de 2015 pourraient aussi bouleverser le paysage politique. Jusqu’en 2011, le conseil général était uniquement masculin. Aujourd’hui, il n’y a que trois élues sur 22 (voir ci-dessous), et de nombreux conseillers, élus parfois depuis des décennies, cumulent avec un mandat de maire et de président d’intercommunalité.

      En 2015, conséquence d’une loi votée l’an dernier, le nombre des cantons sera réduit à 13 et les électeurs voteront pour un binôme homme-femme. « Le renouvellement du conseil général, qui modèle la structure des baronnies locales, va apporter une bonne dose de sang neuf et donner une meilleure image à nos électeurs », espère Kamel Chibli. À condition que les futures conseillères générales ne soient pas toutes issues du sérail.

      « J’ai failli me tuer il y a quelques semaines, alors vous comprenez que je sois serein... »

      Les affaires pourraient aussi précipiter la fin de l’ère Bonrepaux. En octobre 2012, le patron du département et deux de ses proches, Pierre Peyronne et Christian Loubet, ont été mis en examen par un juge d’instruction de Toulouse. En cause, des soupçons de favoritisme sur un marché public de 40 000 euros attribué par la communauté de communes d’Ax-les-Thermes à CRP Consulting, société alors dirigée par Pierre Peyronne, actuel maire d’Ax-les-Thermes. Selon un rapport de la chambre régionale des comptes, le marché a été passé « dans des conditions de publicité et d’analyse des offres très différentes et très insuffisantes ». Les magistrats évoquent un « traitement particulier », un marché « pas conforme aux intérêts de la communauté de communes ».

      Augustin Bonrepaux a par ailleurs été mis en examen dans le cadre d’un autre marché, un audit d’environ 36 000 euros passé par le syndicat des eaux départemental qu’il préside, lui aussi attribué à CRP. Le SMDEA fait actuellement l’objet d’un rapport de la cour des comptes régionale. D’après nos informations, le prérapport, qui a été communiqué au syndicat le 19 novembre, met en avant des problèmes de gestion et pointe la situation financière périlleuse de la régie. « Je ne connais pas précisément les dossiers, mais j’ai une confiance personnelle en Augustin Bonrepaux, insiste Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas parce qu’il y a une instruction qu’il faut décapiter les gens. Quand on est élu, on prend quelquefois des risques qui vous exposent mais ce n’est pas de la malhonnêteté. »

      À la presse locale (qui ne le contredit guère), Augustin Bonrepaux affirme souvent que le juge toulousain chargé du dossier ne lui a pas signifié le motif de sa mise en examen. Étrange : le président du conseil général est bien soupçonné par le juge toulousain Philippe Guichard d’avoir « procuré ou tenté de procurer à la SA CRP Consulting un avantage injustifié (...), en l’espèce l’octroi de deux marchés publics ». L’article 432-14 du code pénal relatif au délit de favoritisme est bien cité dans le courrier signé de la main du juge où Augustin Bonrepeaux s’est vu signifier sa mise en examen :

      Selon nos informations, la chambre régionale des comptes vient par ailleurs de lancer un rapport sur le conseil général lui-même. Au cours de leur enquête, les magistrats vont s’intéresser tout particulièrement à la rocambolesque affaire du Capi, le "Club ariégeois Pyrénées investissement", une structure de lobbying créée dans l’orbite du conseil général, dont l’ancien responsable financier a déjà publiquement pointé les multiples dérives : dessous-de-table, réceptions fastueuses aux frais du contribuable ariégeois, transferts de fonds douteux, etc. Le Capi, qui fut dirigé par Alain Juillet, un ancien directeur du renseignement à la DGSE, a été dissous en 2012.

      « Au sujet du Capi, je ne crains rien. Nous l’avons financé, et quand nous avons vu que ça tournait mal, nous l’avons supprimé, rétorque Augustin Bonrepaux. J’ai failli me tuer il y a quelques semaines, alors vous comprenez que je sois serein... »

      Dans cette affaire, une plainte contre X... a été déposée par le Cercle Lakanal, animé par l’ancien journaliste Michel Naudy (décédé en 2012). Pour l’instant, elle n’a pas eu de suite judiciaire. Le rapport de la chambre régionale des comptes sur le conseil général, lui, est attendu fin 2014. Juste avant les prochaines cantonales.

      Après une dizaine de jours et plusieurs relances, Augustin Bonrepaux a fini par me transmettre par courriel sa mise en examen, datée du 23 octobre 2012. Il y est fait explicitement référence au délit de favoritisme, prévu par l’article 432-14 du code pénal, passible de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

      À Lavelanet, petite ville ariégeoise en crise depuis des décennies, paupérisation, disparition des services publics et hausse de la délinquance alimentent un sentiment d’abandon et de colère. Une rumeur assure (faussement) que le maire fait venir des étrangers pour repeupler la ville. Dans cette ville déclassée, certains habitants ont peur de tout.

      L’Ariège, « ça devient Chicago
      http://cercletibetverite.unblog.fr/2014/01/07/13-reportage-mediapart-lariege-ca-devient-chicago

  • Affaire Merah : le gouvernement refuse que le Sénat entende les chefs du renseignement (via @rezo)
    http://www.liberation.fr/societe/01012399452-le-senat-n-entendra-pas-les-chefs-du-renseignement-apres-l-af

    Le gouvernement a refusé vendredi l’audition des chefs des services du renseignement prévue par la majorité PS du Sénat après les tueries de Mohamed Merah, suscitant l’indignation du président de cette assemblée, Jean-Pierre Bel (PS).

    La commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, présidée par David Assouline (PS), souhaitait notamment entendre le mardi 3 avril Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), et le mercredi 4 avril Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur (DCRI).

    Les ministres de la Défense, Gérard Longuet, et de l’Intérieur, Claude Guéant, « ont décidé de ne pas donner de suite favorable à cette demande, les fonctionnaires concernés n’ayant pas de responsabilité en matière d’évaluation des lois, et étant par ailleurs, en cette période pré-électorale, tenus à un strict devoir de réserve ».