person:marc dutroux

  • En dix ans, le nombre de personnes condamnées pour viol a chuté de 40 %
    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/09/14/en-dix-ans-le-nombre-de-personnes-condamnees-pour-viol-a-chute-de-40_5354839

    Le nombre de plaintes pour viol et agression sexuelle augmente, mais, depuis l’affaire d’Outreau, les exigences en matière de preuves sont plus fortes

    Le constat a de quoi surprendre. Le nombre de condamnations pour viol par la justice française a chuté de quelque 40 % en dix ans, selon le service statistiques de la chancellerie. De 1 652 condamnations par les cours d’assises pour ce crime en 2007, dont 1 350 pour viol aggravé, on est tombé à 1 003 condamnations en 2016, dont 851 pour viol aggravé, selon des données publiées le 6 septembre, sans la moindre explication.

    La libération de la parole sur ces infractions, alors que la police estime pourtant que seule une victime de viol sur dix porte plainte, serait-elle une vue de l’esprit ? Ou la justice serait-elle sourde aux appels des gardes des sceaux successifs à une répression plus sévère de ce fléau ?

    Le contraste apparaît saisissant comparé avec l’évolution rigoureusement inverse du nombre de plaintes pour viol enregistrées par la police ou la gendarmerie : 14 130 personnes se sont déclarées victimes de tels faits en 2016, soit 40 % de plus en dix ans (un pourcentage calculé par nos soins à prendre avec précaution puisque la méthode de comptage du ministère de l’intérieur a changé au cours de la période).

    Aucun des magistrats contactés, au siège comme au parquet, pour réagir à ces chiffres-chocs ne semblait avoir conscience d’une baisse nationale du nombre de sanctions pour ce crime, et encore moins de son ampleur. Cette tendance n’a rien d’un accident statistique, elle frappe par sa régularité sur la période. Le phénomène aurait une origine multifactorielle.

    Tendance contre-intuitive

    Il serait tentant d’y voir la marque de la « correctionnalisation » dont les parquets et les juges d’instruction usent depuis quelques années. En déqualifiant des faits de viols – un crime – en agression sexuelle – un délit –, les magistrats orientent la procédure vers les juges professionnels du tribunal correctionnel, réputés moins sensibles au doute que les jurés d’assises, lorsque le dossier ou la personnalité de la victime comporte des fragilités. Ce circuit est parfois aussi choisi pour accélérer tout simplement la survenue du procès, en évitant les cours d’assises totalement débordées.

    LA PEINE PRONONCÉE POUR UN VIOL EST EN MOYENNE DE 9,6 ANNÉES DE PRISON FERME

    Or, le nombre de condamnations judiciaires pour agressions sexuelles, y compris, donc, les viols « correctionnalisés », a lui aussi chuté en dix ans, certes dans une proportion moindre : moins 20 %, à 4 602 condamnations. Cette tendance concerne également les atteintes sexuelles sur mineurs, dont on relève 332 condamnations en 2016, soit 24 % de moins en une décennie.

    Pour autant, on ne peut pas parler d’un accès de clémence de la justice puisque, dans le même temps, « on constate un alourdissement des peines prononcées au cours du temps, qui concerne aussi bien les viols que les agressions sexuelles », notent les statisticiens de la chancellerie. La peine prononcée pour un viol est en moyenne de 9,6 années de prison ferme. Dans les cas de récidive, relativement peu nombreux puisque seuls 6 % des condamnés avaient déjà un casier judiciaire avec une condamnation pour violences sexuelles, le quantum moyen de la peine est de 15,7 ans ferme.

    Au ministère de la justice, on invoque plusieurs facteurs pour expliquer cette tendance contre-intuitive. D’abord l’engorgement de la justice. En bout de chaîne, les dossiers de viols en attente de procès devant les cours d’assises s’accumuleraient (mais aucun chiffre n’est disponible), avec autant d’éventuelles condamnations reportées dans le temps. En amont, la durée des informations judiciaires s’allonge, sous le double effet de l’encombrement des cabinets de juges d’instruction et du recours croissant aux techniques scientifiques d’enquête, comme les analyses ADN.

    Enfin, l’allongement, en 2004, du délai de prescription des viols et agressions sexuelles sur mineurs à vingt ans, à compter de leur majorité de la victime, a sans doute contribué à faire émerger des plaintes pour des faits anciens, que la justice met davantage de temps à démêler.

    « L’aveu survalorisé »

    Mais Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie, observe un « effet Outreau » : les années 1990 et le début des années 2000 avaient été marquées par une forte progression du nombre de condamnations. L’opinion publique, elle, était sidérée par le nombre de victimes dans l’affaire du « violeur et tueur de l’Est parisien », Guy Georges, dans le scandale Marc Dutroux en Belgique, et surtout dans l’affaire d’Outreau, dans laquelle dix personnes seront condamnées en première instance à de la prison ferme pour pédophilie. Mais en décembre 2005, l’acquittement général en appel avait clos cinq années de feuilleton médiatico-judiciaire.

    A partir de 2005, la chancellerie constate une diminution du nombre d’affaires nouvelles pour infractions sexuelles sur mineurs, alors que celles sur les majeurs augmentent, mais surtout une augmentation importante du nombre d’affaires non poursuivables concernant les mineurs. Les magistrats seraient ainsi sensibles aux émotions du moment, de l’opinion et des médias. Finalement, il y a moins de condamnations pour viol en 2016 qu’en 1994 !

    Selon M. Badr, l’affaire d’Outreau a « contribué à renforcer les exigences probatoires dans les enquêtes dans lesquelles les paroles de la victime et de l’auteur s’opposent. Cet effet s’est ressenti sur les infractions de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles sur mineurs, avec un plus grand nombre d’acquittements et de relaxes ».

    L’échec de la justice à appréhender de façon sereine ce type de criminalité qui, souvent, a lieu dans le huis clos familial est « sans doute lié à la tradition judiciaire et policière française qui a survalorisé l’aveu », explique un magistrat chercheur qui préfère rester anonyme. « Et quand il n’y a plus d’aveu, il n’y a plus rien dans le dossier ! »

    Déperdition statistique

    D’une manière générale, le décalage entre le nombre de plaintes et le nombre de condamnations s’explique par l’importance des classements sans suite décidés par les parquets. Selon une étude publiée en mars par le ministère de la justice sur les « décisions du parquet et de l’instruction », 73 % des personnes mises en cause dans des affaires de violences sexuelles (viols, agressions sexuelles, harcèlement) bénéficient d’un classement sans suite. Le plus souvent, en raison de preuves insuffisantes pour caractériser l’infraction, de la question du consentement difficile à dénouer dans les affaires conjugales, etc.

    Le classement sans suite est parfois justifié par les souvenirs imprécis de la victime en raison de son état au moment des faits. Un motif qui inquiète les parquets, alors que les agressions à l’égard de personnes alcoolisées ou droguées semblent constituer un phénomène en développement. La déperdition statistique se poursuit au fil de la procédure. Un tiers des auteurs présumés qui ont franchi le premier tamis du parquet et ont été mis en examen par un juge d’instruction bénéficient d’un non-lieu total à l’issue de l’information judiciaire.

    Il est trop tôt pour savoir si l’affaire Weinstein et l’émotion provoquée par l’ampleur du mouvement #metoo et #balancetonporc de fin 2017 se traduiront par une nouvelle inversion de la courbe des condamnations à partir de 2018.

    Les chiffres de la violence sexuelle en France

    Près de neuf personnes sont violées chaque heure en France, soit 206 viols par jour.

    Le nombre de viols serait ainsi de 75 000 par an, dont seulement 16 400 ont été déclarés en 2017 (+ 12% par rapport à 2016). Une hausse notable liée à l’affaire Weinstein et à la campagne de dénonciation des violences sexuelles qui a suivi.

    78 197 personnes étaient inscrites au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) au 31 mars 2018.

    Il y a eu 5,6% de récidives des crimes sexuels en 2016, contre 5,3% en 2015.

    1 012 personnes ont été condamnées pour viol en 2017.

    7 249 personnes étaient détenues pour viol ou délit sexuel au 1er janvier 2015 (soit 12,8% des détenus condamnés).

    90 % des violeurs ne présentent aucune pathologie mentale et 90 % des condamnés sont issus de classes populaires, selon Amnesty international.

    Sources : Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP, ministère de la justice) et Collectif féministe contre le viol (CFCV)

  • Chères toutes et tous

    Comme on peut l’apprendre, de temps en temps, en lisant #mon_oiseau_bleu, je travaille en ce moment à un texte intitulé Frôlé par un V1, dont l’une des recherches les plus saillantes est de s’intéresser aux figures de l’invisible. Dit comme cela ça peut paraître un peu mystérieux. Je vous donne un exemple : les standardistes de téléphone qui invariablement se présentent comme Arnaud ou Nathalie (et qui en fait s’appellent Mehdi ou Djemila - ce qui est tellement plus joli ceci dit par ailleurs) et auxquelles on compose des visages fictifs dont on ne saura jamais s’ils ont la moindre part de ressemblance (surtout si on prend pour argent comptant qu’elles s’appellent Nathalie ou Arnaud). Le texte procède beaucoup par petites fiches quand ce n’est pas par petites touches, voici une des fiches.

    Mort de Raymond Samuel Tomlinson (1941 - 2016). Je me souviens que c’est en apprenant sa mort, le 5 avril 2016, que j’ai découvert tout ce que je devais à Raymond Samuel Tomlinson, et ce n’est pas rien quand on y pense, rien moins, en effet, que le courrier électronique, qui est rien moins que ma deuxième drogue de prédilection, après la morphine. Et il faudrait sans doute ici dresser la liste de tant d’illustres dont j’ai paradoxalement appris l’existence le jour de leur mort, des figures de l’invisibilité, des fantômes par excellence.

    Je crois qu’assez nombreuses sont effectivement les personnes dont j’ai découvert l’existence en lisant leur chronique nécrologique. En revanche si je voulais dresser une liste de ces personnes, et bien, je ne me souviens pas d’un seul nom !

    Du coup je me demandais si dans notre belle et riante communuaté d’omniscientes et d’omniscients, il n’y aurait pas quelques-uns de ces fantômes que les unes et les autres pourraient me prêter pour me dépanner dans cet effort de fiction qu’est donc Frôlé par un V1

    D’avance #merci

    • Comme par exemple, ce patron de bar tabac dont une amie m’a annoncé la mort alors que je le connaissais pas. Je l’ai imaginé tout grisouille : la cinquantaine, de taille moyenne, le visage un peu carré, une chevelure courte, légèrement bedonnant, habillé d’une chemise et d’un pantalon gris bleuté. La voix un peu rocailleuse. Sans doute le côté tabac qui ressort :) Je ne connais pas son nom.

    • @james Oui, ça marche à fond. On n’est pas obligé que ce soir la jour-même.

      @odilon Disons que c’est mieux si la personne est effectivement connue d’un panel plus large de personnes, limite célébrité, mais je garde le buraliste en question, qui si cela se trouve était au contraire fort bel homme et gentil comme tout, et avec la chemise parfaitement rentrée dans le pantalon.

    • Je pourrais alors dire « Paul VI ! », mais ce serait un peu hors sujet. Juste que c’est le jour où il est mort que j’ai découvert qu’il y avait un Pape. À l’époque, ça m’a franchement intrigué mais honnêtement, ça ne me hante pas ...

    • @james Je n’en reviens pas. Il se trouve que je fais partie des rares personnes qui l’ont vu vivant une dernière fois alors qu’il tentait d’obtenir du connard de gardien du 22 rue Monsieur le Prince le code pour se réfugier dans la cour intérieure et que nous n’avons pas eu le temps de lui gueuler que c’était le 9573 depuis le fond de la cour, parce qu’il a pris ses jambes à son cou mais pas assez vite puisque les voltigeurs l’ont rattrapé juste après la rue Racine devant le numéro 20 où il y a désormais une plaque à son nom.

    • J’ai vécu un moment, hier, qui se rapproche un peu de ta recherche de fantômes. L’enterrement d’un proche : J-F 1964-2018, dernier oncle maternel de ma fille. J’ai approché ce fantôme que les 12 dernières années de sa vie. (il cumulait une douzaine d’année derrière les barreaux entre entrée et sortie).
      Beaucoup plus que sa mort, c’est son enterrement qui m’a appris la difficulté de se faire enterrer comme indigent. Et fantôme de la bouche de la grand-mère de ses 2 fils, Mehdi & Milhan, qui disait qu’elle avait eue accident, hier, en venant à Rennes (elle a pliée sa voiture, c’est tout) que J-F avait dévié sa trajectoire pour que ses fils ne voient pas son cadavre.
      #bleu_comme_un_cadavre
      Aujourd’hui 4 personnes sur les 9 qui ont assisté et arrosé sa sépulture ont le bruit d’un V1 dans le cerveau.
      J-F lui est une nouvelle fois entre 4 murs et cette fois-ci pour perpète. R.I.P

    • @odilon et @james oui, un chapitre en soi celui des anonymes qui deviennent connus par leur décès qui résulte donc des violences policières. Du coup là je me demande si je ne devrais pas ouvrir une catégorie spécifique.

      Cookie Muller, je ne connaissais pas. Merci @vanderling

      Une fois deplus, et c’est le cas presque à chaque fois que je suscite l’intelligence collective de seenthis, ça débloque pas mal de choses.

    • Ça m’a toujours amusé de me retrouver à habiter des rues portant le nom de total·es inconnu·es : Simone Bigot à Clichy, Louis Vestrepain à Toulouse et maintenant Emile Duployé.

      dans le genre parfaitement inconnu, même mort, sauf quand on doit donner l’adresse !
      et pourtant !

      Duployé wrote a series of books on this subject, whose first edition was named Stenography-Duployé, writing easier, faster and more readable than any other, which applies to all languages (published in Lyon in 1860).

    • Je disais hier que parfois j’ai envie de tuer des gens, les deux filles étaient gênées, j’ai cru que j’allais prendre un couteau. Où est la peur ? le jeu ? J’ai dit qu’au contraire, j’aurais du faire du cinéma, au cinéma on peut mourir pour pas cher, on y tue beaucoup plus que dans la vraie vie, et surtout on ressuscite à chaque fois. Le cinéma est fait par des psychopathes détournés de leur dessein premier, des sortes de gentils dont il faudrait quand même se méfier. Et j’y repense aujourd’hui quand le gars fonce à moitié sur nous avec sa voiture, qu’il crève en enfer me dis-je. Mais bon, il parait que si je questionne pourquoi sa copine était gênée c’est que moi-même je devais connaitre la réponse, qu’elle non plus, jamais de chez grand jamais elle n’a pensé à tuer quelqu’un. Mais penser n’est pas tuer, quand même ? et écrire alors ? Bande d’hypocrites.

    • Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov
      J’ai appris son existence le jour de la fermeture de l’usine qui fabriquait le fameux AK-47.
      Donc pas vraiment le jour de sa mort, quoi que...
      En réalité, dans son cas la (les) mort ça ne (se) compte pas.
      Et le plus sidérant pour moi fut d’apprendre qu’à la fin de sa vie il aurait mis au point ... un piège à taupes !

      « Au total, Mikhaïl Kalachnikov a créé à peu près cent-cinquante armes diverses. »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Kalachnikov

    • Merci à toutes et tous. Même si je vais seulement picorer dans vos suggestions, il n’en est pas moins que vous avez ouvert une brêche pour ce qui est des personnes, notamment militantes, anonymes qui ont accédé regrettablement à la notoriété par leur mort, voilà typiquement des fantômes qui ont leur place dans mon récit décousu des Frôlés par un V1 .

      On n’est décidément jamais déçu quand on suscite l’intelligence collective de seenthis .

      Et surtout que ce mot de remerciement ne dissuade personne de continuer de forer dans cette tempête de cerveaux , je suis encore très éloigné d’une forme fermée de mon texte.

      Encore une fois, #merci

    • Peut-être d’autres brêches

      Les militant·es des droits des peuples autochtones, des terres, de l’environnement ayant un certain renom dans leur pays et qui ont été assassiné·es :
      Berta Cáceres militante écolo assez connue au Honduras
      Rodrigo Tot, leader indigène au Guatemala qui avait reçu le Goldman Environmental Prize
      Isidro Baldenegro López, mexicain, Goldman Prize 2005
      Si tu as besoin d’une liste tu peux faire une recherche #assassinat ou #meurtre, j’en ai référencé quelques uns

      Les femmes assassinées par leur compagnon ou leur ex :
      Zenash Gezmu, marathonienne éthiopienne réfugiée en France

      et aussi
      les victimes d’homophobie
      Hande Kader, l’héroïne de la Gay Pride retrouvée brûlée à Istanbul

    • Alain Kan est un chanteur français né à Paris le 14 septembre 1944 et disparu le 14 avril 1990. Sa carrière, qui s’étend du début des années 1960 au milieu des années 1980, est assez atypique, du fait de son passage d’un style à l’autre : d’abord chanteur de variétés, il passe au glam rock puis au punk, gagnant en originalité artistique tout en se marginalisant. De manière inhabituelle pour l’époque, il affirmait ouvertement son homosexualité, à laquelle il faisait référence dans certaines de ses chansons, mais aussi sa toxicomanie qui a contribué à nuire à sa carrière. Vu une dernière fois dans le métro parisien, il disparaît sans laisser de traces.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Kan#Disparition
      https://www.discogs.com/fr/artist/493333-Alain-Kan
      #Alain_Kan

    • Bon je vous livre, je vous dois bien ça, l’extrait en question écrit, grâce à ce que je qualifie dans cet extrait-même comme l’intelligence collective de Seenthis.

      Extrait donc de Frôlé par un V1, roman en cours

      Mort de Raymond Samuel Tomlinson (1941 – 2016). Je me souviens que c’est en apprenant sa mort, le 5 avril 2016, que j’ai découvert tout ce que je devais à Raymond Samuel Tomlinson, et ce n’est pas rien quand on y pense, rien moins, en effet, que le courrier électronique, qui est rien moins que ma deuxième drogue de prédilection, après la morphine. Et il faudrait sans doute ici dresser la liste de tant d’illustres dont j’ai paradoxalement appris l’existence le jour de leur mort, des figures de l’invisibilité en somme. L’écrivant, je me suis rendu compte que ce paradoxe relevait presque d’une expression du langage courant, Untel ou Unetelle, c’est la première fois que j’en entends parler, dit-on lors de certains décès, de certaines disparitions. Et il faudrait sans doute ici dresser la liste de tant d’illustres dont j’ai pareillement et paradoxalement appris l’existence le jour de leur mort, des fantômes par excellence. Mais alors, je me suis rendu compte que je n’avais pas d’exemples en tête de tels fantômes, de personnes apparaissant dans mon existence littéralement en mourant, et pourtant je jurerais que de telles personnes sont légions. Je tentais par exemple de parcourir les rayonnages désordres de ma bibliothèque tentant de me rappeler quels seraient les auteurs et les auteures que j’aurais lues, ma curiosité intriguée, pour ainsi dire, par l’annonce de leur décès, mais je me rendais bien compte que je regardais au plus mauvais endroit qui soit, ma bibliothèque qui recèle de morts bien vivants dans mon esprit, et celles et ceux que j’aurais adoptés tout juste post mortem et dont j’aurais lu les livres, parfois avidement, auraient rejoints le corpus quasi familial de mes auteurs et auteures avec lesquelles j’entretiens des relations quasi amicales quand ce n’est pas familiales. Je demandais un peu autour de moi, amis et famille, y compris à celles et ceux de mes proches dont justement je me souvenais qu’ils aient un jour proféré cette étrange parole de la naissance d’une personne à sa mort ― je me souvenais assez distinctement par exemple avoir appris la mort de je ne sais plus qui à B. qui me disait ne pas connaître tel auteur ou telle artiste, mais, pareillement, ces proches, B. compris, étaient comme moi, incapables de donner le moindre exemple, la liste de ces fantômes allait donc être très courte : l’ensemble vide, Ø, un ensemble fantôme en soi. Cela m’a vraiment taraudé quelques jours, je ne supportais plus l’idée que ce livre ne compte pas de ces authentiques fantômes, lesquels étaient en train, tels les fantômes qu’ils sont, de me poursuivre dans mes nuits jusqu’à m’en gâter le sommeil ― il m’en faut peu, on l’a vu, une scène d’égorgement nocturne, un octopode imaginaire...―, jusqu’à ce que j’en vienne à utiliser une de mes bottes secrètes, l’intelligence collective de Seenthis. Je m’explique. Seenthis est un réseau social libre, dont on doit, pour beaucoup, la conception, la réalisation, les nombreuses améliorations et l’entretien à un certain @arno ― toutes les personnes dont il va être ici question vont être appelées par leur nom de profil dans ce réseau social, dans lequel je suis moi-même @philippe_de_jonckheere. Il me faudrait sans doute plusieurs douzaines de pages pour décrire à la fois le fonctionnement de cet édifice mais surtout la très intense vie intelligente et cultivée qui y a cours, sans parler de ses très riches débats. Je donne un exemple malgré tout. L’année dernière ma fille Sarah, en préparant ses épreuves de baccalauréat, rencontrait de véritables difficultés avec ses exercices de cartographies, une épreuve, la cartographie, pour laquelle elle se faisait un souci insigne et je n’étais d’aucune aide pour elle, je m’en rendais bien compte, d’une part la géographie n’a jamais été ma matière forte ― ai-je une matière forte ? ― et par ailleurs je suis un très piètre pédagogue. Pour rire, je faisais remarquer à Sarah que c’était d’autant plus idiot que sur Seenthis je suivais, avec grand intérêt, les travaux de quelques cartographes fameux, @reka, @fil, @simplicissimus, @odilon, @visionscarto et leurs discussions passionnantes qui concernaient beaucoup la visualisation de données ― sujet auquel je trouvais une pertinence remarquable, une vieille marotte à moi : les images sont en train de devenir le langage etc… je vous épargne. « Ah Seenthis…, ton Facebook bio », avait répondu pleine de dédain juvénile Sarah, 18 ans. Vexé, évidemment, je décidais de mettre mon Facebook bio à l’épreuve et m’ouvrais, sur mon compte, @philippe_de_jonckheere, à la fois de l’incrédulité de Sarah ― ce qui fit bien rire et même adopter l’expression Facebook bio ― et, à la fois aussi, de la problématique ― la difficile mémorisation d’une carte qu’il faut ensuite restituer depuis un fond de carte, exercice nettement plus difficile qu’il n’y paraît ―, et quelle ne fut pas la richesse des réponses ― il fut même offert à Sarah une possible leçon particulière par visioconférence avec le célèbre @reka ―, et si j’exagérais un peu, ce que je ne fais pas naturellement, je pourrais pousser jusqu’à dire que grâce à Seenthis, mon Facebook bio, Sarah a finalement obtenu un très belle mention à son baccalauréat ― elle a obtenu la note de 15 sur 20 à son épreuve d’histoire-géographie. Il n’empêche, toutes plaisanteries et exagérations mises à part, il règne sur ce réseau de demi-savants une atmosphère d’intelligence collective et de mise en commun remarquable. Je décidais donc de m’ouvrir de ma difficulté du moment dans l’écriture de mon texte en cours, Frôlé par un V1. Je n’ai pas été déçu du résultat, puisque @odilon, @james, @vanderling, @touti, @alexcorp, @vazy ont participé à une conversation longue de quarante-deux messages, laquelle a été suivie, de près, par @marielle, @line_d, @7h36 et @reka et de laquelle est ressortie une figure particulièrement proéminente de fantômes , auxquels je n’avais pas du tout pensé : les victimes anonymes de violences policières, anonymes un jour, fondus et fondues dans la masse en somme, et parce que tués et tuées par les violences policières, ces personnes accédaient à une forme de notoriété étrange, il n’est que de ce citer certains de leurs noms pour vous faire toucher du doigt cette extraction surnaturelle de la masse indifférenciée de la foule, Malik Oussekine (1964 – 1986) ― le premier exemple donné par @james, qui, comme on va le voir, a résonné très étrangement à mes oreilles ―, Rémi Fraisse (1993 – 2014), Adama Traoré (1992 – 2016) et tant d’autres ― lors du printemps 2016, qui a été un véritable déluge de violence policières, s’est tenue une manifestation à Rennes qui a été elle-même violemment réprimée, et pour cause : les manifestants avaient peint au pochoir sur le pavé les noms des très nombreuses victimes de violence policières en France ― depuis 1945, si mes souvenirs sont bons. Mais le nom de Malik Oussekine cela avait une résonnance toute singulière, dont j’ai tenté en plusieurs endroits de mes différents textes ― dans le Jour des Innocents ( http://desordre.net/bloc/ursula/2014/cinquantaine ) notamment, mais aussi dans la longue lettre que j’ai écrite à Adrien Genoudet à propos de son livre l’Étreinte passage qui est devenu un élément saillant de notre spectacle éponyme ― de dire, justement, le frôlement qui a été le nôtre, Malik Oussekine et moi, et qui est, en soi, la figure du fantôme et du frôlement mêlés, fantôme et frôlement qui sont les deux thèmes de ce texte à propos de ce qui est à peine visible, quand ce n’est pas entièrement invisible. Malik Oussekine était un étudiant contestataire, à juste titre, des lois Devaquet-Monory en décembre 1986 ― et comme j’ai été rattrapé par une tristesse boudeuse, précisément en réglant les droits d’inscription élevés pour l’entrée à l’université de Sarah en septembre dernier, et dont je me souvenais que de tels droits, une telle somme, étaient l’une des mesures prévues par ces lois scélérates, et combattues pour cela, et dont je mesurais qu’elles avaient sans doute toutes été plus ou moins adoptées et mises en application, au fil des trente dernières années, en douceur, si j’ose dire, par les différents gouvernements de droite qui se sont succédés, sans discontinuer depuis décembre 1986, hiver au cours duquel, les manifestants avaient fini par obtenir, fort justement et dans la douleur, l’annulation des fameuses lois Devaquet-Monory (1923 – 2009). À ce titre dans la nuit du 6 au 7 décembre 1986 Malik Oussekine a été poursuivi dans la descente de la rue Monsieur de Prince à Paris par une escouade de voltigeurs ― sur une motocyclette, deux gendarmes, l’un pilote l’engin pendant que le second assis derrière, fait usage de sa matraque, notamment en frappant les personnes qui fuient leur charge dans les jambes, mais pas que dans les jambes, sont-ils maladroits ! Malik Oussekine a tenté de trouver refuge dans la très belle cour intérieure du 22 de la rue Monsieur le Prince mais dont l’accès était barré par un digicode ― le 9573 ―, lesquels n’étaient pas aussi fréquents alors, et que le gardien de cette adresse ― un type immonde de bêtise crasse et dont je dois confesser que j’ai souvent rayé, suis-je maladroit ! la carrosserie de cette voiture qu’il entourait de mille soins attentifs, notamment dans la cour intérieure le dimanche matin (Daphna ironisait souvent que sa femme ne devait pas connaître tant de douceur ― Daphna), et on a beau être étudiant aux Arts Déco, il est admirable à quel point on peut manquer d’imagination, et de compétence graphique, finalement, pour ce qui est des représentations obscènes gravées à la clef sur l’acier, des bites donc ― le gros gardien donc, n’a pas voulu lui donner le code, ce qui a condamné Malik Oussekine à prendre la fuite toujours plus bas dans la rue Monsieur le Prince, il a tout juste eu le temps de traverser la rue Racine avant d’être repris par un duo de voltigeurs et donc battu à mort ― je me souviens qu’Élie, le frère de Daphna, et moi, cruels et jeunes, avons tenté de faire valoir, les jours suivants, auprès de cet abruti de gardien qu’il portait la mort de Malik Oussekine sur la conscience, mais j’ai pu constater à quel point de tels concepts pénétraient imparfaitement l’intelligence si rare chez lui, qui nous a répondu, sans surprise, que tel n’était pas son problème à lui, à l’époque le point Godwin n’existait pas, mais je vous laisse imaginer le genre de reducio ad Hitlerum dont Élie et moi, nous sommes rendus coupables, brodant, sans grande imagination, sur des thèmes arendtiens pas spécialement bien maîtrisés par nous, je ne sais pas pour Élie, mais pour ma part il allait encore se passer de nombreuses années avant que je ne lise Hannah Arendt (1906 – 1975), qu’est-ce qu’on peut être péremptoire quand on est jeune ! Ce dont je me souviens surtout c’est que nous avons hurlé, Daphna et moi, depuis le fond de la cour, que le code c’était le 9573 ― pas une fois que je ne passe dans ce quartier sans que je ne tente, vainement depuis, de composer ce code à quatre chiffres au 22 de la rue Monsieur le Prince, rituel morbide, mais dont je ne peux m’empêcher ―, mais que Malik Oussekine dont j’ai le vague souvenir du visage lointain, souvenir qui ne correspond pas du tout à l’unique photographie connue de lui, comme si dans mon souvenir, vieux de plus de trente ans, son visage avait déjà été partiellement happé par la mort, tandis qu’il ne lui restait plus qu’une minute ou deux à vivre, Malik Oussekine ne nous a pas entendus, nos voix sans doute couvertes par le bruit de la rue et justement celui de la motocyclette qui approchait ― et peut-être aussi, je suis en train de m’en souvenir et de m’en rendre compte en l’écrivant, que Daphna et moi, dans notre précipitation, avons dit la même chose, 9573, de deux manières différents et finalement concurrentes, Daphna à l’américaine, neuf-cinq-sept-trois et moi à la française, quatre-vingt-quinze soixante-treize, concourant, presque autant que le gardien abject, finalement, au drame. Ici je dois aussi expliquer, j’imagine, que Daphna et moi résidions, alors, chez le père de Daphna, qui lui-même résidait ailleurs, dans ce qui avait été l’ancien atelier du photographe touche-à-tout pas forcément génial, André Vigneau (1892 – 1968), atelier dont le père de Daphna avait hérité du bail et dans lequel, aux mains justement de cet André Vigneau, Robert Doisneau (1912 – 1994) avait fait ses classes en photographie, ce dont il gardait un souvenir immuable, qu’il avait été content de partager avec moi, nous l’avons vu, lors d’un vernissage au Palais de Tokyo, du temps où ce dernier était le Centre National de la Photographie, avant d’être désamianté et laissé dans cet état assez lamentable qui est celui d’aujourd’hui et qui sert de façon assez décorative, il faut bien le dire, de décor de pseudo friche industrielle et qui permet sans doute à des artistes en manque de sensations révolutionnaires, tels Thomas Hirschhorn, de nous faire croire à leurs vagues intentions anarchistes, parfaitement cadrées par ailleurs, ce n’est pas l’absence de crépi sur les cimaises qui permet d’annuler l’institution. Mais je m’égare. Il y a, malgré tout, dans mon esprit, souvent désordonné, j’en conviens, des liens de sens quasi directs entre Malik Oussekine et Thomas Hirschhorn, les-quels passent étonnamment par le photographe Robert Doisneau. Et il y aura désormais ce genre de liens distendus et capillotractés dans mon esprit entre Raymond Samuel Tomlinson et Malik Oussekine. À la réflexion ce n’est pas le plus inadéquat des hommages si l’on consi-dère que Raymond Samuel Tomlinson a contribué, grandement ― le courrier électronique est la plus belle des fonctionnalités d’Internet ― à la construction et à l’essor d’Internet, qui est le lieu même de la sérendipité, le passage du coq-à-l’âne, grâce, notamment, aux invraisemblables catapultes que sont les liens hypertextes, l’autre merveilleuse fonctionnalité d’Internet. #merci #Raymond_Samuel_Tomlinson_, comme on dit sur _Seenthis. Sur Internet.

    • Je ne connaissais pas le mot sérendipité @philippe_de_jonckheere je regarde dans le dico, rien. un deuxième rien non plus, doivent être trop vieux.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9

      La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d’un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet.

      sans parler de découverte scientifique, ça m’arrive souvent sur le net et sur @seenthis où je dérape souvent, Je sais d’où je pars sans savoir où je vais et bon dieu, j’adore ça. La merveilleuse glissade.

    • Jusque-là, j’associai @davduf à l’histoire de Malik Oussekine, bien que je ne retrouve pas de traces écrites. Je suppose qu’il a fait un travail de mémoire à ce propos, mais je ne me souviens plus :/

      Maintenant vous serez 2 pour me rattacher à lui. Et par lui, à qui j’etais en 1986...

      Bref, ce fil de discussion provoque en moi un vertige que j’ai du mal à exprimer. De l’inventeur du courrier électronique qu’on oubliera à nouveau dans un certain temps et cet étudiant qu’on ne pourra pas oublier... je ne sais pas comment dire... et pourtant j’aimerais bien...

    • @james

      je ne sais pas comment dire... et pourtant j’aimerais bien...

      Ben tu vois moi cela faisait des années que j’essayais d’en dire quelque chose, ce que j’ai donc déjà essayé de faire, et puis je n’y parvenais pas et c’est finalement toi, qui dans ce post de seenthis , a déclenché cet extrait dans une forme que je trouve enfin satisfaisante, ce dont je te suis reconnaissant.

      Si tu veux on peut échanger sur le sujet en dehors de seenthis par mail (pdj arotruc desordre.net), ce qui serait peut-être plus facile, je sens bien que tu es ému, je le suis également.

      Et si tu es francilien, samedi soir, à 20H, à Beaubourg, Adrien Genoudet et moi lisons l’Etreinte et la lettre que j’ai écrite à Adrien que je ne connaissais pas alors, et dans laquelle il est très brièvement question de la génération Malik Oussekine, c’est gratuit, je crois que cela vaut le jus.

      Amicalement

      Phil

    • @vanderling En fait c’est une traduction littérale de serenpidity en anglais et qui est désormais plus ou moins courament admis en Français. C’était même le plaisir par excellence sur Internet il y a vingt ans (@arno portait encore des culottes courtes) notamment parce que les moteurs de recherche alors n’étaient pas du tout pertinents dans les résultats qu’ils fournissaient, on avait coutume de dire qu’on obtenait pas souvent ce qu’on cherchait et presque toujours ce que l’on ne cherchait pas ou plus.

    • J’ai lu hier le très beau texte publié sur médiapart à propos de la disparition de Patrice_Barrat que je ne connaissait pas et ça m’a vraiment donné envie d’en savoir plus sur lui. J’ai cherché vainement et engluée dans ce vide, je n’ai pas eu le reflex de poster cette info sur seenthis.

    • Ma séquence « #vu_de_Gelbique » du coup...

      #Semira_Adamu https://fr.wikipedia.org/wiki/Semira_Adamu dont je découvre que l’ignoble meurtre s’est passé il y a presque 20 ans et dont le fantôme me soutient à chaque discussion avec mes contemporains moins ouverts à l’altérité

      #Julie et Mélissa, victimes de la perversion de Marc Dutroux. Deux fillettes dont la disparition avait semé l’émoi, provoqué bien des fantasmes puis fait découvrir que, si l’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, on peut aussi le regretter durement quand l’incertitude baignée de distance et de pseudo indifférence laisse la place à l’horrible cruauté de la perversion mortelle

      #René_Michaux qui a droit à une brève notice Wikipédia en flamand mais pas en français ! https://nl.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Michaux. Un gendarme passé tout près d’être le héros qui aurait retrouvé les précédentes vivantes et, n’ayant pu l’être, s’est retrouvé anti-héros au coeur des discussions sur la guerre de polices. Il en est mort pendant 13 ans, avant de décéder.

      #Thierry_Lotin, lieutenant de l’armée belge mort au Rwanda avec les 9 membres de son peloton, en 1994 juste au début de ce qui est devenu le génocide.

      #Aaron_Swartz, militant superbe dont le nom m’était vaguement connu jusqu’à ce que la nouvelle de son suicide attire mon projecteur personnel sur son oeuvre militante...

      #Ian_Murdock, créateur et fondateur de Debian et du projet Debian. Un nom connu mais une personne inconnue. Une fiche Wikipedia tellement courte pour une trace tellement grande dans le monde du libre.

      Merci @odilon d’avoir attiré mon regard sur ce fil riche :-)

  • Tueurs du Brabant : après 32 ans de sabotage de l’enquête, enfin une percée ? Solidaire - Herwig Lerouge - 22 Octobre 2017
    http://ptb.be/articles/tueurs-du-brabant-apres-32-ans-de-sabotage-de-l-enquete-enfin-une-percee

    Herwig Lerouge était, dès 1985, l’un des premiers à avancer la piste que, derrière les Tueurs du Brabant, qui semaient la terreur en Belgique à l’époque, se cachait une cellule d’extrême droite au sein du groupe Diane, unité d’élite de la gendarmerie. Aujourd’hui que cette piste semble se confirmer, il fait le point. Après 32 ans de sabotage de l’enquête sur un des plus grands crimes politiques dans l’histoire de la Belgique, va-t-on enfin avoir une percée ?


    Une du journal du PTB, Solidaire, du 20 novembre 1985. Déjà à l’époque, la piste d’un lien avec la gendarmerie était évoquée.

    Il y a 32 ans déjà, le PTB, son journal Solidaire et certains journalistes l’avançaient comme la piste la plus sérieuse : derrière les Tueurs du Brabant se cache une cellule d’extrême droite au sein du groupe Diane, le corps d’élite de la gendarmerie à l’époque. Pour rappel, ce groupe a été responsable de la vague de terreur qui a fait 28 victimes aux abords des grands magasins Delhaize et Colruyt et terrorisé toute la population dans les années 1980.

    Comme l’a révélé la presse durant le week-end des 21 et 22 octobre dernier, un ancien gendarme de cette unité spéciale Groupe Diane, décédé il y a deux ans, aurait avoué à son frère, sur son lit de mort, avoir été « le Géant » de la bande. La haute taille du gendarme correspondrait à celle du « Géant », et une blessure au pied qui lui avait valu une incapacité de travail pendant les tueries du Brabant pourrait correspondre à une caractéristique du Géant observée par des témoins : il boitait lors de la tuerie d’Alost. Les enquêteurs pensent aussi pouvoir identifier maintenant d’autres membres de la bande, tous des gendarmes, ex-membres du groupe Diane.

    Beaucoup d’indices qui pointent dans cette direction
    Or cette piste des gendarmes d’extrême droite a été qualifiée à l’époque par le ministre libéral de la Justice Jean Gol (MR) et par le procureur de Nivelles, Jean Deprêtre, en charge du dossier comme « de la fiction de roman policier ».

    Pourtant, tant la façon de procéder des Tueurs que certaines informations sérieuses disponibles et le contexte politique à ce moment-là pointaient dans cette direction. Les membres de la bande n’étaient pas intéressés par le butin. Les primes de 5 et 10 millions offertes pour obtenir certaines infos auraient dû éveiller la convoitise des indicateurs du milieu. Il n’en était rien…

    Ces bandits semblaient agir à leur aise, comme s’ils n’avaient rien à craindre. Les attaques étaient menées de façon militaire. Des spécialistes sont très vite arrivés à la conclusion que certaines techniques utilisées par les tueurs — entrée et sortie des véhicules, progression déployée de manière à couvrir tous les angles de tir possibles, « tir croisé » — étaient enseignées dans les unités spéciales de plusieurs armées et de certains services policiers d’intervention.

    En outre, après leurs crimes, les Tueurs se plaçaient en embuscade pour attendre les policiers qu’ils prenaient sous un tir croisé. Les crimes semblaient gratuits. Le butin ne les intéressait visiblement pas. La motivation n’est pas de voler mais bien de tuer, de terroriser.

    Stratégie de la tension
    Les Tueurs du Brabant auraient-ils agi dans le cadre de « la stratégie de la tension », comme on l’a vue en Italie et en Allemagne ?


    De nombreux autres éléments sont venus confirmer cette hypothèse : des (ex-)membres du groupe d’élite Diane avaient des liens avec des organisations fascistes belges et des agents américains. On était au milieu des années 1980, au sommet de la Guerre Froide et de la course aux armements. Washington et le monde politique pro-américain en Belgique s’inquiétaient à l’époque de la montée du mouvement contre l’installation en Belgique des missiles nucléaires visant l’Union soviétique. Des centaines de milliers de pacifistes manifestaient pour s’opposer à ce type de menace. Les attaques des Tueurs du Brabant ont semé la panique et préparé le terrain pour un renforcement sans précédent de la gendarmerie. Et les missiles ont été installés.

    Le fait que des forces de répression à l’intérieur des États provoquent sciemment des attentats a été appelé la « stratégie de la tension ». Il a ainsi été prouvé qu’en Italie, dans les années 70 et 80 (voir le terrible attentat de Bologne en 1980), cette stratégie a été utilisée par l’extrême droite liée aux services secrets italiens et américains.

    Même l’Allemagne semble ne pas avoir été à l’abri de bien curieuses menées américaines. Dans un livre publié en septembre 1998, Andreas von Bülow, qui fut secrétaire d’État à la Défense à Bonn (de 1976 à 1980) puis ministre de la Recherche (de 1980 à 1982), affirme que « les services secrets américains ont influencé, sinon dirigé partiellement ou complètement tout le terrorisme européen ». L’Italie, l’Allemagne… pourquoi pas la Belgique ?

    Pas de coupable, mais une gendarmerie renforcée
    En Belgique, aucun des coupables des Tueurs du Brabant n’est aujourd’hui sous les verrous. La plupart des suspects sont morts ou à l’étranger. Dès le début, le procureur Deprêtre de Nivelles a bloqué la piste de l’extrême droite. Le sommet de la gendarmerie a protégé les gendarmes suspects. Deux commissions d’enquête parlementaires n’ont trouvé aucun coupable. Mais ont abouti au renforcement de la gendarmerie.

    Le nom du « Géant » dont il est question aujourd’hui est déjà apparu dans l’enquête en 1999, après la diffusion d’une série d’affiches présentant des portraits-robots des présumés tueurs. Le fait qu’il était un ancien du Groupe Diane était un autre élément interpellant, qui rendait son profil plausible. Il était membre d’un « practical shooting club », une technique utilisée par les Tueurs et apprise dans des stands de tir fréquentée par plusieurs gendarmes d’extrême droite. Selon son dossier médical, il avait pris congé chaque fois pendant les vagues d’attentats de la bande en 1985.

    Pour éviter les oubliettes
    La raison pour laquelle cette potentielle piste n’a pas été poursuivie est un mystère. Ou peut-être pas.

    On devra se demander comment certains, dans la police et ailleurs, ont fait que cette enquête soit systématiquement détournée de la seule piste crédible.

    On pourra, dans les jours qui viennent, dresser la liste de toutes les décisions mystérieuses dans cette enquête, de toutes les interventions politiques pour détourner les enquêteurs de cette piste de la terreur d’extrême droite pro-américaine.

    Suite à ces révélations, on pourra lire avec d’autres yeux les décisions prises suite à ces attentats en faveur du renforcement de la gendarmerie dans le paysage policier. Cette décision a amené, par exemple, à ce qu’une gendarmerie toute puissante monopolise l’enquête sur les enfants disparus, sans transmettre ses infos à la justice. C’est la fameuse opération Othello qui a empêché qu’on arrête Marc Dutroux avant qu’il puisse commettre ses crimes.

    On devra aussi se demander comment certains, dans la police et peut-être la justice, ont pu jusqu’à aujourd’hui faire en sorte que cette enquête soit systématiquement détournée de la seule piste crédible pour enfin découvrir la vérité.

    On devra le faire. Mais, si c’est à travers une troisième commission d’enquête, il faudra que celle-ci soit composée d’une autre façon que les deux précédentes, qui n’ont abouti à rien. Il faudra donner une place aux parents des victimes, qui ont eux-mêmes mené l’enquête contre vents et marées, à des journalistes et des chercheurs qui ont depuis longtemps amassé de nombreux éléments dans cette direction. Il ne faudra pas que les questions qui sont posées, les témoins qui seront invités soient uniquement décidés par les partis politiques traditionnels, qui sont coresponsables de la débâcle que constitue cette enquête. Sinon, une commission d’enquête risque de terminer où de nombreuses commissions de cette sorte ont fini leur vie : dans les oubliettes.

    #espionnage #services_spéciaux #Belgique #police #gendarmerie #judiciaire #attentats #espions #secret #barbouzes #terreur #gladio

  • L’Ire Ensemble – Grey – Épisode 3 | Le blog d’un odieux connard
    https://unodieuxconnard.com/2016/10/01/lire-ensemble-grey-episode-3


    Un peu de bonne humeur pour finir le weekend !

    Je suis formel : Christian Grey s’exprime comme une sorte de pédophile échappé d’un reportage des années 90. Allez viens gamine, si tu acceptes le sexe avec moi, tu auras ta chambre à décorer ! Oui, Christian Grey est très tranquillement en train d’essayer d’acheter Ana, mais pas avec de l’argent, non, ça, c’est pour les prostituées de luxe ; lui, il lui propose l’autorisation de mettre ses posters préférés. Pas sûr que ça chiffre très haut en bourse. Par contre, sur l’échelle du Marc Dutroux, là…

    Anastasia, qui partage avec Christian l’incroyable capacité de parvenir à respirer malgré un cerveau en état de mort clinique, ne s’enfuit donc pas et continue à suivre tranquillement Christian pour aller discuter plus avant devant un petit casse-croûte. L’occasion, tout de même, pour Ana de demander à notre héros ce qui l’a rendu tel qu’il est.

    – Comment devient-on ce qu’on est ? Difficile de répondre.

    Vous vous attendez à la suite façon questionnement sur l’être, l’inné et l’acquis ? Ne bougez pas, je vous mets la phrase qui suit.

    Pourquoi certaines personnes aiment-elles le fromage alors que d’autres le détestent ? Vous aimez le fromage ?

    Cette explication. Bon sang, je vais déposer ça sur le champ à l’INPI et baptiser ça « La Défense Grey« .

  • Frémir plutôt que réfléchir
    La stratégie de l’émotion
    Anne-Cécile Robert

    Illustration : Jean-Baptiste Greuze. - « Une jeune fille, qui pleure son oiseau mort », 1765 Bridgeman Images - Scottish National Gallery, Edinburgh

    Il en est de la démocratie comme des grenouilles. Une grenouille jetée dans une bassine d’eau bouillante s’en extrait d’un bond ; la même, placée dans un bain d’eau froide sous lequel le feu couve, se laisse cuire insensiblement. De multiples phénomènes se conjuguent pour « cuire » insidieusement les démocraties, à rebours de l’effet que produit un coup d’Etat avec ses militaires et ses arrestations d’opposants sur fond de Sambre-et-Meuse tournant en boucle à la radio. Tel l’innocent frémissement d’une eau qui bout, les dégâts occasionnés n’apparaissent jamais qu’au fil d’une juxtaposition dédramatisante. Les combustibles qui alimentent le feu sous la marmite ont été abondamment décrits ici et là (1). On s’est, en revanche, assez peu arrêté sur le rôle que joue l’invasion de l’espace social par l’émotion. Les médias y contribuent abondamment, sans qu’on mesure toujours ce que ce phénomène peut avoir de destructeur pour la démocratie et la capacité de penser.

    Il suffit de taper « l’émotion est grande » sur un moteur de recherche pour voir défiler une infinité de nouvelles, du banal fait divers aux attentats qui ont récemment ensanglanté l’actualité de Beyrouth à Ouagadougou. Ainsi, « l’émotion est grande » dans le monde après les crimes du 13 novembre dans la capitale française ; mais elle l’était aussi quelque temps auparavant à Petit-Palais-et-Cornemps après l’accident de bus qui a coûté la vie à 43 personnes (FranceTV Info, 24 octobre 2015), à Calais lors de la démolition des bâtiments du vieil hôpital (France 3, 20 novembre 2015) ou encore à Epinac, d’où est originaire Mme Claudia Priest, enlevée en Centrafrique début 2015 (Journal de Saône-et-Loire, édition d’Autun, 21 janvier 2015). Elle l’était également en fin d’année « pour Brigitte, enfin locataire d’un appartement, qu’elle a pu meubler grâce aux clubs de services du Mont-Dore » (Les Nouvelles calédoniennes, 6 janvier 2016).

    On pourrait prolonger à l’infini une liste d’exemples qui ne traduit aucune hiérarchie autre que celle du ressenti réel ou supposé des populations et de ceux qui les observent. Les médias ne sont pas seuls à jouer de l’accordéon émotionnel. Les responsables politiques s’y adonnent également, notamment lorsqu’il s’agit de masquer leur impuissance ou de justifier, comme si elles relevaient de la fatalité, les mesures qu’ils s’apprêtent à prendre. Il en est ainsi en matière migratoire, où la précaution compassionnelle est de mise avant de se lancer dans l’explication alambiquée de l’impuissance européenne. De M. François Fillon, député du parti Les Républicains, au premier ministre Manuel Valls, « insoutenable » fut sans doute le mot le plus employé pour qualifier l’image du petit réfugié syrien Aylan Kurdi gisant sans vie sur une plage de Turquie, le 2 septembre 2015, avant qu’on décide de ne rien faire pour tarir les sources du désespoir migratoire. Dans un registre moins tragique, les commentateurs ont souligné l’« émotion » du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius scellant, des larmes dans la voix, un accord pourtant bien fragile à la fin de la 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP21) à Paris (2). Enfin, devant les maires de France, le 18 novembre 2015, le président François Hollande eut un lapsus révélateur : il évoqua « les attentats qui ont ensangloté la France ».

    Foules mutiques des marches blanches

    Paravent de l’impuissance ou de la lâcheté politique, le recours à l’émotion peut avoir des conséquences dramatiques immédiates. Ainsi, l’avocat de M. Loïc Sécher, Me Eric Dupont-Moretti, a qualifié de « fiasco dû à la dictature de l’émotion » l’erreur judiciaire dont a été victime son client. Ouvrier agricole, M. Sécher avait été accusé de viol par une adolescente. Après des années d’emprisonnement, il s’est finalement vu innocenter par le témoignage de celle-ci, devenue majeure, qui a reconnu avoir tout inventé. Comme dans l’affaire d’Outreau, la justice a rencontré les plus grandes difficultés à revenir sur une décision erronée, prise sous l’empire de récits aussi imaginaires que spectaculaires et du souci, bien légitime, de protéger des mineurs de mauvais traitements. Les simplifications médiatiques, le culte du « temps réel », les réseaux sociaux n’encouragent pas la sérénité dans ces affaires délicates.

    Au-delà de la simple sortie de route politico-médiatique, l’émotion devient l’un des ressorts majeurs de l’expression sociale et du décryptage des événements. Même les chefs d’entreprise sont incités à faire de leur « intelligence émotionnelle » un outil de management, tandis que leurs salariés peuvent y recourir pour obtenir une augmentation (3). L’un des symboles les plus visibles de l’invasion de l’espace public par l’émotion est le phénomène grandissant des marches blanches. La plupart du temps spontanées, celles-ci rassemblent, à la suite d’un accident ou d’un crime particulièrement odieux, des foules parfois immenses à l’échelle des villes et des villages où elles se déroulent. La première eut lieu en 1996 en Belgique, lors de l’arrestation du pédophile Marc Dutroux. Elles sont dites « blanches » car elles renvoient à la non-violence et à l’idéal de paix. Elles expriment l’indignation face à des agissements aussi insupportables qu’incompréhensibles.

    Aucun slogan, aucune revendication ne les accompagne. Des foules délibérément mutiques s’ébranlent, plaçant souvent en tête de cortège des enfants, symboles d’innocence et de foi dans l’avenir, portant parfois des bougies. Le philosophe Christophe Godin y voit l’expression d’une « crise de société » caractérisée par l’« empire des émotions » auquel « cette pratique donne un écho considérable » (4). Ces processions des temps nouveaux sont à rapprocher de la valorisation omniprésente de la figure de la victime, parée de toutes les vertus et à laquelle on rend un hommage absolu, sans s’interroger, par un processus d’empathie. « Cela aurait pu être moi », répètent significativement les personnes interrogées sur un fait divers tragique ou criminel. Toute catastrophe s’accompagne ainsi du déploiement théâtral de cellules d’aide psychologique. Les procès de la Cour pénale internationale prévoient désormais des espaces de parole pour les victimes, sans lien avec les nécessités de la manifestation de la vérité dans une affaire donnée, ni interrogation sur les chocs préjudiciables à la sérénité des délibérations que peuvent provoquer ces témoignages souvent aussi sensationnels qu’inutiles.

    Le culte de la victime a trouvé en France une illustration symptomatique dans le projet - finalement abandonné - de transfert au Panthéon des cendres d’Alfred Dreyfus, objet d’une campagne antisémite d’une rare violence dans les années 1890. Ne confond-on pas ici victime et héros ? Le capitaine n’a fait que subir douloureusement les événements ; à aucun moment il n’a agi d’une manière qui le distingue. A l’opposé, le lieutenant-colonel Georges Picquart, congédié du ministère de la guerre et radié de l’armée pour avoir dénoncé le complot ourdi contre Dreyfus, pourrait bénéficier à bon droit de l’attention des panthéonisateurs les moins regardants et rejoindre Emile Zola. Autre exemple de confusion victimaire : le choix de rendre hommage aux victimes des attentats de Paris dans la cour des Invalides, lieu pensé par Louis XIV pour les soldats blessés au front. La cérémonie a accordé une large place à l’émotion, mise en scène devant les caméras. Le psychologue Jacques Cosnier va jusqu’à parler d’une société « pathophile (5) ». La philosophe Catherine Kintzler s’inquiète quant à elle de la « dictature avilissante de l’affectivité (6) ».

    L’émotion pose un redoutable défi à la démocratie, car il s’agit, par nature, d’un phénomène qui place le citoyen en position passive. Il réagit au lieu d’agir. Il s’en remet à son ressenti plus qu’à sa raison. Ce sont les événements qui le motivent, pas sa pensée. Les marches blanches n’ont aucune conséquence pratique : la justice demeure sans moyens, la société continue de se décomposer. D’ailleurs, on n’a encore répertorié aucune marche blanche pour le suicide d’un chômeur ou l’assassinat d’un inspecteur du travail. « L’émotion est subie. On ne peut pas en sortir à son gré, elle s’épuise d’elle-même, mais nous ne pouvons l’arrêter, écrivait Jean-Paul Sartre. Lorsque, toutes voies étant barrées, la conscience se précipite dans le monde magique de l’émotion, elle s’y précipite tout entière en se dégradant (...). La conscience qui s’émeut ressemble assez à la conscience qui s’endort (7). »

    A la « stratégie du choc (8) » décryptée par Naomi Klein, faut-il ajouter une « stratégie de l’émotion » ? La classe dirigeante s’en servirait pour dépolitiser les débats et pour maintenir les citoyens dans la position d’enfants dominés par leurs affects. L’émotion abolit la distance entre le sujet et l’objet ; elle empêche le recul nécessaire à la pensée ; elle prive le citoyen du temps de la réflexion et du débat. « L’émotion s’impose dans l’immédiateté, dans sa totalité, nous explique M. Claude-Jean Lenoir, ancien président du cercle Condorcet-Voltaire. Elle s’impose au point que toute conscience est émotion, est cette émotion. L’émotion demeure l’ennemie radicale de la raison : elle n’essaie pas de comprendre, elle "ressent". On doit cet état de fait contemporain sans doute aussi à l’influence et à l’émergence des réseaux sociaux. De distance, aucune ! On "tweete", on "gazouille" à tour de bras. Se dégradent le sens critique, la culture, la recherche de la vérité. On "balance". »

    La valorisation de l’émotion constitue ainsi un terreau favorable aux embrigadements guerriers des philosophes médiatiques toujours prêts à soutenir une guerre « humanitaire », à l’instar d’un Bernard- Henri Lévy dans l’expédition de Libye en 2011. Mais aussi un terreau plus quotidiennement favorable aux mécaniques du storytelling (9) et aux fausses évidences du populisme. A la veille de l’élection présidentielle de 2002, l’agression du retraité Paul Voise, montée en épingle par les médias, avait suscité un déluge de discours réactionnaires sur la « lutte contre la délinquance ». Dans son fameux discours de Dakar, en 2008, M. Nicolas Sarkozy avait pu affirmer : « Je crois moi-même à ce besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner, d’être en harmonie plutôt que d’être en conquête... »

    Mais la marche blanche vient aussi combler un vide laissé par les formes collectives d’action, comme le syndicalisme ou le militantisme politique. Il n’est sans doute pas anodin, d’ailleurs, que le phénomène soit né en Belgique, aux grandes heures de la décomposition de l’Etat central, et qu’il se soit particulièrement développé dans le nord de la France, où la désindustrialisation a eu des conséquences dévastatrices sur le tissu social. Face aux souffrances et à la crainte de l’avenir, l’émotion réhumanise ; elle s’oppose au cynisme. Elle fait aussi du bien. Elle soulage d’autant plus qu’elle est partagée, comme lors d’une cérémonie aux Invalides. Elle conjure brièvement le sentiment pesant de l’impuissance en permettant une communion, certes un peu primitive, face à la dureté des temps. « Un téléspectateur ému chez lui par un crime ou par le massacre de Charlie Hebdo est seul, explique encore Godin. La marche blanche lui permet de partager son émotion. Le phénomène est évidemment social. Et en même temps très équivoque. » En ce sens, l’émotion ne traduit-elle pas un désir confus de « (re)faire société », de retisser le lien social ?

    Interrogée sur l’absence de processus révolutionnaire dans une France pourtant en pleine régression sociale et politique, l’historienne Sophie Wahnich explique (10) que la révolution de 1789 peut aussi s’analyser comme l’aboutissement d’un long processus de politisation de la société, entamé au sein des assemblées communales de l’Ancien Régime. Les Français avaient pris l’habitude d’y échanger d’abord sur les affaires locales ; ils perpétuèrent cette habitude lors des événements liés à la convocation des états généraux durant l’année 1789. La profondeur de la crise politique actuelle tient aussi au fait que cet espace public a progressivement disparu.

    Si donc la marche blanche est en quelque sorte le stade primaire du ravaudage du tissu politique, la perspective change. Elle est ainsi « implicitement politique », selon Godin ; il y voit une récrimination non dite contre la puissance publique qui « ne protège plus ». On se souvient que la première marche, en Belgique, avait aussi pour but de protester contre l’incurie de la police et de la justice dans la poursuite d’un criminel qui avait échappé à leur vigilance. Pour contribuer à la reconstruction de la démocratie, le processus devrait alors prolonger les liens tissés dans l’émotion et mener à leur politisation progressive.

    La métaphore de la grenouille trouve d’ailleurs un pendant chez Voltaire, qui racontait l’histoire de deux d’entre elles tombées dans une jatte de lait. La première se met à prier sans bouger, finit par s’enfoncer et se noie ; la seconde se débat tant et si bien que le lait devient beurre. Elle n’a plus alors qu’à prendre appui sur cet élément solide pour sauter hors de la jatte.

    Note(s) :

    Jean-Baptiste Greuze. - « Une jeune fille, qui pleure son oiseau mort », 1765 Bridgeman Images - Scottish National Gallery, Edinburgh
    (1) Lire par exemple Jean-Jacques Gandini, « Vers un état d’exception permanent », Le Monde diplomatique, janvier 2016.
    (2) Lire Philippe Descamps, « Le pari ambigu de la coopération climatique », La valise diplomatique, 19 décembre 2015.
    (3) Cf. David Goleman, L’Intelligence émotionnelle, J’ai lu, coll. « Bien-être », Paris, 2003. Lire Manière de voir, no 96, « La fabrique du conformisme », décembre 2007-janvier 2008.
    (4) Christophe Godin, « "La marche blanche est un symptôme d’une société en crise" », L’Obs, Paris, 26 avril 2015.
    (5) Jacques Cosnier, Psychologie des émotions et des sentiments, Retz, Paris, 1994.
    (6) Catherine Kintzler, « Condorcet, le professeur de liberté », Marianne, Paris, 6 novembre 2015.
    (7) Jean-Paul Sartre, Esquisse d’une théorie de l’émotion. Psychologie, phénoménologie et psychologie phénoménologique de l’émotion, Hermann, Paris, 1938 (rééd. : Le Livre de poche, Paris, 2000).
    (8) Naomi Klein, La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, Arles, 2008.
    (9) Lire Christian Salmon, « Une machine à fabriquer des histoires », Le Monde diplomatique, novembre 2006.
    (10) Conférence publique à l’université de Nancy, 26 octobre 2015.

    Source : Le Monde diplomatique - Février 2016, p. 3

    #démocratie

  • Why is Benjamin Netanyahu trying to whitewash Hitler? | The Electronic Intifada
    https://electronicintifada.net/blogs/ali-abunimah/why-benjamin-netanyahu-trying-whitewash-hitler
    https://www.youtube.com/watch?v=XnXS146cxLE

    Benjamin Netanyahu has publicly asserted that Adolf Hitler had no intention of exterminating Europe’s Jews until a Palestinian persuaded him to do it.

    The Israeli prime minister’s attempt to whitewash Hitler and lay the blame for the Holocaust at the door of Palestinians signals a major escalation of his incitement against and demonization of the people living under his country’s military and settler-colonial rule.

    It also involves a good deal of Holocaust denial.

    In a speech to the World Zionist Congress in Jerusalem on Tuesday, Netanyahu asserted that Haj Amin al-Husseini convinced Hitler to carry out the killings of 6 million Jews.

    Al-Husseini was the Grand Mufti of Jerusalem, the highest clerical authority dealing with religious issues pertaining to the Muslim community and holy sites during the 1920s and ‘30s, when Palestine was under British rule.

    He was appointed to the role by Herbert Samuel, the avowed Zionist who was the first British High Commissioner of Palestine.

    In the video above, Netanyahu claims that al-Husseini “had a central role in fomenting the final solution. He flew to Berlin. Hitler didn’t want to exterminate the Jews at the time, he wanted to expel the Jews. And Haj Amin al-Husseini went to Hitler and said, ‘If you expel them, they’ll all come here.’ ‘So what should I do with them?’ he asked. ‘Burn them!’”

    • En même temps, le point de vue Mufti Al-Hussein=Hitler, Palestiniens=Nazis est développé depuis longtemps. Au procès Eichman par exemple, il y a toute une littérature qui grossit le trait à dessein. Comment faire d’un supporter, instrumentalisé, du régime nazi un chef et un décideur...

      The Mufti was in many ways a disreputable character, but post-war claims that he played any significant part in the Holocaust have never been sustained. This did not prevent the editors of the four-volume Encyclopedia of the Holocaust from giving him a starring role. The article on the Mufti is more than twice as long as the articles on Goebbels and Göring, longer than the articles on Himmler and Heydrich combined, longer than the article on Eichmann—of all the biographical articles, it is exceeded in length, but only slightly, by the entry for Hitler.’[289][290]

      Un exemple http://blogs.timesofisrael.com/21212

      The Mufti had signed a pact with Hitler in 1941 to assure mutual cooperation in the mass murder of the Jews, receiving Hitler’s promise to help the Mufti create a “Juden Rein” Palestine.

      The Mufti would also live to inspire his young relative and protégé, Yassir Arafat, to forge the PLO and its covenant , also dedicated to exterminating the state of Israel.

      voir aussi les références (floues ?) au lien de parenté entre le grand mufti et Yasser Arafat

    • Inusable grand mufti de Jérusalem

      Régulièrement, des ouvrages « découvrent » les sympathies nazies du leader palestinien Amin Al-Husseini ; régulièrement, les dirigeants israéliens en tirent parti pour dénoncer l’antisémitisme congénital des Arabes. Car c’est bien l’objectif de ces pseudo-recherches historiques que de justifier l’occupation des Territoires et l’oppression des Palestiniens.
      http://www.monde-diplomatique.fr/2010/05/ACHCAR/19109

      Der Spiegel pas le site sésinfo.
      http://www.desinfos.com/spip.php?article573
      Contrairement à une croyance répandue, le mouvement politico-religieux islamiste n’est pas né pendant les années 60 mais pendant les années 30.

      Le succès de ce mouvement n’a pas été inspiré par l’échec de Nassérisme, mais par la montée du Nazisme.

      Jusqu’à 1951, toutes les campagnes visant à mobiliser le peuple n’étaient pas dirigées contre des puissances coloniales, mais contre les Juifs.

      C’est l’organisation des « Frères musulmans », fondée en 1928 [par le grand-père de Tariq Ramadan NDLR], qui a établi l’Islamisme comme un mouvement de masse. La signification de cette organisation pour l’Islamisme est comparable à celle du Parti bolchevique pour le communisme au 20ème siècle : jusqu’à présent, il est l’élément de référence en termes d’idéologie et représente le noyau dur de l’organisation, qui a inspiré de manière décisive toutes les tendances d’islamistes suivantes, y compris Al-Qaida, et qui les inspire encore à ce jour.

    • Le point sous paywall :
      Nazisme et islamisme : les liaisons dangereuses - Le Point
      http://www.lepoint.fr/histoire/nazisme-et-islamisme-les-liaisons-dangereuses-16-10-2015-1974088_1615.php

      Dans l’avant-propos au livre de Matthias Küntzel, qui a reçu l’Independent Publisher Book Award, Boualem Sansal espère que cet ouvrage suscitera un large débat autour des liaisons très dangereuses entre nazisme et islamisme. On peut l’espérer, en effet. Car le chercheur allemand nous livre une généalogie inédite sur la haine du juif, « colonne vertébrale » depuis ses débuts de l’islamisme moderne, qui connaît un essor foudroyant à partir des années 30.

      Pour appuyer sa démonstration, Küntzel examine le parcours de deux figures majeures mal connues du public français. La première est le prédi...

      Atlantico.
      Jihad et haine des Juifs : ce point commun entre l’essor du nazisme et de l’islamisme
      http://www.atlantico.fr/decryptage/jihad-et-haine-juifs-point-commun-entre-essor-nazisme-et-islamisme-matthia
      A ceux qui pensent que l’islamisme se nourrit de la tragédie du peuple palestinien, ce livre montre que cette assertion est contredite par l’histoire de l’islamisme radical, dont la rhétorique violemment antijuive a précédé la création de l’Etat hébreu. Extrait de « Jihad et haine des Juifs - Le lien troublant entre islamisme et nazisme a la racine du terrorisme international », de Matthias Küntzel, publié aux éditions du Toucan

  • Laurent Louis, le confident de Marc Dutroux depuis 1 an ? + révélations explosives sur les raisons du lynchage de Dieudonné
    http://www.brujitafr.fr/article-laurent-louis-le-confident-de-marc-dutroux-depuis-1-an-122180425.h

    Mise à jour 17H40 Ayant assisté à plusieurs reprises à des interventions de la part de ce député devant le parlement belge, une telle accusation ne peut sembler que surprenante, voire impossible. Pourtant, c’est ce qui fait les gros titres, reste à savoir si derrière cela ne se cache pas une volonté de faire trembler un peu la scène politique avec d’éventuelles révélations qu’il aurait pu obtenir de la part de Dutroux lui-même… Puisque l’article nous parle de révélations… Donc, qu’il soit apprécie ou non, opportuniste, populiste ou sincère, reconnaissons quand même qu’avec ce genre d’action, il se met quand même en danger. « En contact depuis un an avec Marc Dutroux », Laurent Louis prétend avoir transmis la lettre du pédophile à la presse. Et (...)

    #ACTUALITES

  • A deux clicks de la paix dans le monde
    Par Sébastien Navarro
    http://cqfd-journal.org/A-deux-clicks-de-la-paix-dans-le

    Sur le site petitionpublique.fr, on apprend que la pétition est « l’une des plus anciennes méthodes de la démocratie ». Servi par l’industrie numérique, le citoyen du monde peut désormais « agir sur le monde » sans sortir de chez lui. Vertige de l’amour virtuel…

    En arrivant sur le site lapetition.be, vous aurez le choix entre apporter votre signature pour sauver la crèche « Au Jardin de Kassiopée », vous opposer à la libération de Marc Dutroux ou à l’implantation d’un abattoir rituel à Guéret (Creuse). Les Pussy Riot, bientôt citoyennes d’honneur de la ville de Paris ? Rien de plus facile, la pétition est mise en ligne par la plate-forme change.org. De son côté, le site Avaaz – présenté comme « mouvement mondial en ligne qui donne aux citoyens les moyens de peser sur les prises de décision partout dans le monde » – nous informe en temps réel du nombre de personnes ayant signé pour un moratoire sur les pesticides tueurs d’abeilles : en 36 heures, 2 428 444 personnes ont déjà répondu présent.

  • Carine et Gino Russo, parents de victime de Marc Dutroux : « Ne nous demandez pas de pardonner » - lesoir.be
    http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2012-09-08/les-parents-russo-ne-nous-demandez-pas-de-pardonner-936614.php

    Je ne me bats pas contre mais pour la justice. On me dit « cela ne te rendra pas ta fille « . mais c‘est un mauvais réflexe car la société il faut la créer au quotidien, elle ne t‘est pas donnée comme cela. La démocratie cela se protège et ça s‘acquiert. Et pour le moment ça dérape. On veut davantage de prisons, etc. Il faut résister à l‘envie de vengeance naturelle et cultiver ce qui nous rend humain.

  • Belges, imitez les Norvégiens ! - y-a-s
    http://y-a-s.over-blog.fr/article-belges-imitez-les-norvegiens-109565103.html

    Ils sont fous, ces Belges ! Parce que Michelle Martin, l’ex-compagne de Marc Dutroux, ayant accompli sa peine légale, a été libérée, les voilà qui poussent des cris d’orfraie, et voudraient qu’on la reflanque... au trou ! Mais enfin, la libérer, c’est conforme à leurs propres lois. Si ces lois ne leur plaisent pas, qu’ils demandent à leur gouvernement d’en changer.

    #Dutroux #Belgique #justice

  • Michelle Martin : quand la mère d’Eefje a plus de courage que les politiques - Vu de Flandre - Levif blog - LeVif.be
    http://www.levif.be/info/levif-blog/vu-de-flandre/michelle-martin-quand-la-mere-d-eefje-a-plus-de-courage-que-les-politiques/opinie-4000168823132.htm

    Michelle Martin : quand la mère d’Eefje a plus de courage que les politiques

    Entre une opinion publique qui gronde et les tambours médiatiques qui s’acharnent sur la libération de Michelle Martin, seule une voix ose la dissonance. C’est celle de Rachel Vanderhoven , la mère de Eefje Lambrechts qui, avec son amie Ann Marchal, fut enlevée et tuée par Marc Dutroux.

    Madame Vanderhoven n’a pas fait appel contre la demande de libération de Michelle Martin. Elle a expliqué via son avocat qu’« il existe des lois pour défendre les droits individuels des citoyens contre les comportements de la société. Hélas, certains individus en profitent alors qu’il ne devrait, stricto sensu, ne pas y avoir droit. Ce n’est néanmoins pas une raison pour remettre en cause tout le système. Si Martin répond aux conditions établies par la loi, il n’y a aucune raison que cette même loi ne s’applique pas aussi à son cas et c’est ce que nous devrions respecter. »

    #prison #libération_conditionnelle #politique #victime

  • Nordine Amrani fut-il un militant d’extrême droite ?
    http://resistances.be/amrani.html

    Nordine Amrani (qui se suicida après son forfait) pouvait enfin faire oublier les Marc Dutroux, Michel Fourniret, Hans Van Temsche, Ronald Janssen, Kim De Gelder... et bien d’autres assassins nationaux désormais connus pour l’éternité. Ainsi que les « tueurs du Brabant », auteurs de massacres de masse en série (plus de 28 morts) dans les années quatre-vingt ().

    Ni Marocain ni musulman
    Seulement voilà, le tueur de Liège, le désormais internationalement célèbre Nordine Amrani, n’avait pour finir rien à voir avec un « immigré marocain type ». Né dans la commune bruxelloise d’Ixelles en 1978, il a ensuite suivi le parcours classique d’un « ketje » de Bruxelles issu des milieux populaires, d’une famille en difficulté sur le plan affectif et social. Le petit Amrani ne s’est pas intégré à la société belge, il y était entièrement l’un de ses « produits ». Sa langue n’était pas l’arabe ni un quelconque dialecte marocain, mais nos langues nationales. Sur le plan religieux, Amrani ne pratiquait pas du tout le culte musulman. A part son patronyme et son physique, rien ne le rattachait réellement à la communauté marocaine de Belgique (1).

    Mieux, sur le plan politique, il semble que ses attaches se situaient à droite, bien à droite d’ailleurs.