Famine en Afghanistan : les talibans seuls responsables ?

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  • A propos de la famine actuelle en Afghanistan

    Une famine aux causes multiples mais en dernier ressort c’est l’aide alimentaire qui est volontairement diminuée par les pays donataires en raison du régime taliban et du sort réservé aux femmes - on peut douter que la situation des femmes en soit amélioré par de telles mesures. Le programme alimentaire mondial (PAM) a ainsi été contraint de couper totalement les vivres en 2023 à 10 millions de personnes, avec une baisse de 66% des aides en octobre 2023

    (décembre 2023)

    Un porte-parole du gouvernement taliban rejette toute responsabilité : quand la journaliste de la BBC l’interroge, ce principal porte-parole des talibans affirme que l’aide internationale s’est réduite à cause du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, mais il nie tout besoin de réforme face à des donateurs qui refusent de donner de l’argent à un pays où les droits des femmes sont bafoués. « Les Afghans ont déjà fait de grands sacrifices dans le passé pour protéger nos valeurs », a-t-il déclaré à la BBC. La journaliste pense que ces paroles « n’apporteront pas de réconfort à beaucoup d’Afghans ». Près de 90 % des Afghans n’ont pas assez à manger, indique la radiotélévision publique britannique. Les deux tiers des habitants du pays ne savent pas de quoi sera fait leur prochain repas. Ou même s’il y en aura : un tiers des enfants en Afghanistan, soit 8 millions d’enfants, commenceront l’année 2024 sur un niveau de faim critique, (...)

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-19-decembre-2023-229

    (sept 2023)

    https://fr.wfp.org/stories/we-eat-less-sometimes-not-all-cuts-food-relief-deepen-hunger-afghanistan

    (juil 2023) Famine en Afghanistan : les talibans seuls responsables ? par l’ONG United Against Inhumanity

    Cette situation cruelle est en partie causée par un gouvernement irresponsable et corrompu, par la marginalisation des femmes dans l’espace public et par l’incapacité du pays à gérer ses propres ressources, déjà amoindries. Il faut également souligner qu’avant même le retour des talibans au pouvoir en août 2021, le budget afghan était largement soutenu par des fonds étrangers (venus des pays de la coalition sous l’égide de l’OTAN) ‒ une aide désormais indisponible. On constate en outre une baisse de la coopération, qu’elle soit bilatérale ou par le biais des Nations unies et des ONG : à l’heure actuelle, moins de 15 % des appels de fonds lancés par l’ONU pour 2023 ont été approvisionnés.

    Cette ONG point aussi le rôle du gel de l’argent afghan placé dans des pays occidentaux qui ont envahi l’Afghanistan il y a 22 ans :

    Il existe cependant un troisième facteur dont on parle peu : le gel des réserves souveraines par les États-Unis et leurs alliés, facteur déterminant dans l’effondrement de l’économie et du secteur bancaire du pays. Plus de neuf milliards de dollars placés à l’étranger par la banque centrale afghane (Da Afghanistan Bank) sont bloqués par la Réserve fédérale américaine et dans des banques européennes. Or il ne s’agit pas de l’argent du gouvernement, mais bien de celui des citoyens afghans. Cet argent contribuait à la stabilité de la monnaie nationale et rendait possible le commerce avec d’autres pays, ce qui est de fait aujourd’hui impossible. Un autre des effets de ce gel des avoirs s’illustre par une diminution radicale du nombre de billets de banque en circulation. Lorsqu’ils sont trop détériorés, ils ne peuvent même plus être remplacés.
    (...)
    Ces dernières années, seules quelques voix se sont élevées pour dénoncer cette « guerre économique » et ce qui pourrait s’apparenter à une vengeance cruelle de l’Occident après la perte de la guerre d’Afghanistan. Sept milliards de dollars sont détenus par les États-Unis et le reste par des banques européennes. Ces pays, dont les armées possèdent les technologies les plus avancées au monde, ont vu leurs analystes, espions et soldats perdre la guerre contre des combattants en sandales équipés de simples Kalachnikovs.
    (...)
    Irait-on jusqu’à affirmer que l’extrême radicalisation de l’émirat taliban est également le fait de cet état d’injustice manifeste ? Lorsqu’un chat est acculé et craint pour sa vie, il feule, crache et l’on peine à retrouver le compagnon apprivoisé qu’il était. Que ce lien de cause à effet soit avéré ou non, il n’en reste pas moins que l’injustice est réelle et que la population afghane ‒ ces enfants, hommes et femmes, jeunes ou âgés que nous prétendons défendre depuis plus de vingt ans ‒ en paie le prix.

    https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2023/08/16/famine-en-afghanistan-les-talibans-seuls-responsables

    (mai 2022)

    La fabrique d’une famine

    Dans ce pays de 650.000 kilomètres carrés, seuls 12% des terres sont considérées comme cultivables (contre 60% en France) et sont très dépendantes de la pluviométrie et d’un complexe système d’irrigation que la réforme agraire avortée de 1978, alors menée par le nouveau régime communiste, déstructurera en partie. Puis, pendant l’occupation soviétique, la destruction d’installations agricoles participa de stratégies, parfois volontaires, destinées à vider de leurs populations des poches de résistance.

    En parallèle se mettent en place deux autres phénomènes qui viennent aggraver encore l’équation de la faim : les mouvements massifs de déplacés forcés fuyant les campagnes pour gagner les habitats miséreux de la périphérie des villes, et une augmentation constante des surfaces agricoles consacrées à la culture du pavot.

    Le développement rapide de l’éphédra ("oman" dans la langue locale), qui permet de produire des méthamphétamines de faible qualité, contribue à renforcer le statut de narcoétat de l’Afghanistan, dans une logique qui relève, de la part des producteurs, d’un processus adaptatif de survie. Les avances financières qui leur sont concédées par les trafiquants ("salaam") pour payer des intrants devenus nécessaires à la production de drogue les piègent dans un modèle économique classique de l’agriculture d’exportation.

    Deux chiffres rendent compte de ces phénomènes depuis l’entrée de la coalition en 2001 et la chute du premier régime taliban : en vingt ans, le pays n’aura pas connu une année durant laquelle le flux de personnes déracinées sera tombé en dessous de 150.000 par an, avec deux pics à plus d’un million en 2001 et 2014 ; dans le même temps, les surfaces consacrées à la culture du pavot ont triplé, stimulées par une meilleure rentabilité financière pour les agriculteurs, et par les besoins d’achat d’armement des talibans.

    La meilleure résistance du pavot au réchauffement climatique, comparé à d’autres productions de l’agriculture vivrière, est venue encore renforcer la progression des surfaces plantées. La situation ne serait pas aussi dramatique si tous ces mécanismes qui précèdent ne s’étaient ajoutés à une progression démographique qui confère à l’Afghanistan le record mondial en la matière, avec un taux annuel de 6%. Depuis 2001, la population du pays est ainsi passée de 18 à 38 millions d’habitants, avec un taux d’urbanisation aujourd’hui estimé à 30%.

    Les talibans sont ainsi aujourd’hui aux commandes d’un pays qui a profondément changé depuis leur première prise de pouvoir en 1996. L’ensemble de ces réalités convergent pour créer les conditions d’une fatale équation alimentaire auquel le nouveau régime de l’émirat islamique est confronté, sans ignorer pour autant la part de responsabilité de ses dirigeants dans une partie des mécanismes décrits. Pour y faire face, les caisses de l’État sont vides et le système de santé est exsangue.

    Entre cynisme et amnésie

    Dans un scandaleux exercice d’amnésie collective, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, comme les autres pays les plus riches parmi ceux qui composent l’Assemblée générale des Nations unies, rechignent à contribuer en urgence à l’appel de fonds de 4,4 milliards de dollars lancé par le sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths et relayé par le secrétaire général Antonio Guterres.

    Tous sont oublieux de l’histoire, oublieux des accords de Doha qui avaient volontairement tenu à l’écart des négociations aussi bien le gouvernement afghan d’Achraf Ghani que les alliés de la coalition internationale. Prenant ainsi acte de l’alternance politique annoncée, et faisant aujourd’hui semblant de s’offusquer de l’arrivée au pouvoir des talibans… Oublieux, chemin faisant, du « Grand jeu » dans lequel les uns et les autres ont continué d’inscrire la population civile, dans des enjeux qui la dépassent totalement.

    En décembre 2021, après d’âpres négociations, le Conseil de sécurité a finalement voté une résolution qui, pour un an, permet la mise en œuvre d’une aide humanitaire qui peut se déployer, sous conditions, sans que ne puisse lui être opposé le régime de sanctions qui frappe les nouvelles autorités afghanes. Si la Chine et la Russie ont pesé de tout leur poids pour aboutir à cette décision politique, les deux pays ne se sont pour autant pas engagés sur les aspects des financements de cette résolution 2615, finalement votée à l’unanimité du Conseil de sécurité.

    Ces atermoiements traduisent une nouvelle fois l’impérative nécessité de refonder le modèle de financement de l’aide humanitaire. Tel qu’elle est organisée aujourd’hui, cette aide est insuffisante en volume, et trop dépendante du jeu complexe des relations entre grandes puissances. Mais en attendant, il faut rapidement obtenir ces financements et les mettre à disposition des organisations en mesure de les déployer. En Afghanistan, le sort de 22 millions de personnes en dépend.

    https://www.lejdd.fr/International/famine-en-afghanistan-pourquoi-est-il-necessaire-de-reformer-laide-humanitaire

    #famine #agriculture #aide-alimentaire #Afghanistan #monnaie