person:bernard lewis

  • Damas, 1840. Le vieux mythe des crimes rituels juifs
    https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/1840-l-affaire-des-disparus-de-damas,3140

    « L’intervention des puissances occidentales dans les affaires des Juifs des pays musulmans ne tourna pas toujours à l’avantage de ces derniers ; parfois, ce fut même le contraire ». Bernard Lewis — dont le regard sur le monde arabo-musulman s’avérait plus lucide lorsqu’il s’agissait de son passé que lorsqu’il le portait sur son présent — relevait alors l’influence de la diplomatie occidentale dans l’acclimatation de l’antisémitisme dans le monde arabe et musulman.

    […]

    Le mythe des meurtres rituels juifs n’est pas né dans le monde arabo-musulman, mais au sein d’une chrétienté européenne réinvestissant celui d’un peuple juif déicide. Ainsi, là où les communautés chrétiennes étaient absentes, la croyance dans les crimes rituels juifs fut inexistante.

    […]

    L’affaire de Damas fut la première qui fit converger puissances occidentales, minorités juives et monde arabe. En ce sens, elle révèle qu’à mesure qu’un antisémitisme en gestation enflait en France et en Europe, les puissances occidentales cherchaient à s’appuyer sur les minorités religieuses d’Orient, engendrant des situations parfois paradoxales lorsque celles-ci étaient juives. Résurgence d’un antijudaïsme féodal en voie de se réincarner en antisémitisme moderne, l’affaire de Damas est à replacer dans un contexte où les puissances européennes commencèrent à s’emparer de la question des minorités afin de s’ingérer dans les affaires ottomanes.

  • Edward Saïd — Wikipédia
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Sa%C3%AFd

    Un extrait de la fiche Wikipedia sur Edward Saïd, en fait l’intégralité de ce qui est résumé à propos de ce qui reste pour beaucoup son principal ouvrage, L’Orientalisme. A peine 4 lignes pour ses thèses, 26 pour présenter les réfutations apportées à ses thèses, à commencer par Bernard Lewis... Bon, c’est quand même mieux en anglais...

    En 1978, il publie son livre le plus connu, L’Orientalisme, considéré comme le texte fondateur des études postcoloniales. Il y mène une analyse de l’histoire du discours colonial sur les populations orientales placées sous domination européenne en développant quatre thèses, à savoir la domination politique et culturelle de l’Orient par l’Occident, la dépréciation de la langue arabe, la diabolisation de l’arabe et de l’islam, et la cause palestinienne. Le livre suscite des commentaires très divers, et notamment une célèbre controverse avec Bernard Lewis.

    Dans un article intitulé « La question de l’orientalisme » (The New York Review of Books, 24 juin 1982), Bernard Lewis répond aux attaques visant les orientalistes, et particulièrement à celles que leur adresse Edward Saïd. Bernard Lewis estime que la démonstration d’Edward Said n’est pas convaincante. Il reproche à Said11 :

    de créer artificiellement un groupe, les orientalistes, qui partageraient, en gros la même thèse, ce que Bernard Lewis juge absurde ;
    d’ignorer les travaux des orientalistes du monde germanique (ce qui « n’a pas plus de sens qu’une histoire de la musique ou de la philosophie européenne avec la même omission »), pour se focaliser sur les Britanniques et les Français, et de négliger, parmi ces derniers, bon nombre d’auteurs majeurs, comme Claude Cahen ;
    de préférer, souvent, les « écrits mineurs ou occasionnels » aux « contributions majeures à la science » ;
    de faire commencer l’orientalisme moderne à la fin du XVIIIe siècle, dans un contexte d’expansion coloniale de la Grande-Bretagne et de la France, alors que cette science émerge au XVIe siècle, c’est-à-dire au moment où l’Empire ottoman domine la Méditerranée ;
    d’intégrer dans son analyse des auteurs qui ne sont pas de vrais orientalistes, comme Gérard de Nerval ;
    de commettre une série d’entorses à la vérité et d’erreurs factuelles, notamment quand Edward Said accuse Sylvestre de Sacy d’avoir volé des documents et commis des traductions malhonnêtes (« Cette monstrueuse diffamation d’un grand savant est sans un grain de vérité »), ou lorsqu’il écrit que les armées musulmanes ont conquis la Turquie avant l’Afrique du nord (« c’est-à-dire que le XIe siècle est venu avant le VIIe ») ;
    de faire des interprétations absurdes de certains passages écrits par des orientalistes, notamment par Bernard Lewis lui-même ;
    d’utiliser deux poids, deux mesures : « les spécialistes soviétiques, en particulier quand ils traitent des régions islamiques et d’autres régions non européennes de l’Union soviétique, se rapprochent le plus — beaucoup plus que tous ces Britanniques et ces Français qu’il condamne — de la littérature tendancieuse et dénigrante, qu’Edward Said déteste tant chez les autres » ; or Said ne mentionnerait jamais les thèses contestables d’auteurs russes.

    Edward Saïd écrit alors une lettre à la New York Review of Books, publiée avec une réplique de Bernard Lewis12.

    Deux ans avant cette controverse, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz avait publié dans Le Monde un compte-rendu de lecture recoupant certaines critiques de Bernard Lewis, en particulier le mélange fait entre des savants et des écrivains de fiction (« L’une des principales faiblesses de la thèse d’Edward Saïd est d’avoir mis sur le même plan les créations littéraires inspirées par l’Orient à des écrivains non orientalistes, dont l’art a nécessairement transformé la réalité, et l’orientalisme purement scientifique, le vrai. »), la focalisation excessive sur des aspects secondaires dans l’œuvre de certains orientalistes, et l’omission de nombreux spécialistes (Jean-Pierre Péroncel-Hugoz donne une liste, dans laquelle se trouvent Antoine Galland, Robert Mantran et Vincent Monteil)13.

    Tout en se déclarant d’accord avec Edward Saïd sur certains points importants, comme la définition du terme orientalisme, le philosophe Sadek al-Azem a conclu pour sa part, que le livre manquait trop de rigueur pour être vraiment concluant : « chez Saïd, le polémiste et le styliste prennent très souvent le pas sur le penseur systématique14. » Malcolm Kerr, professeur à l’université de Californie à Los Angeles puis président de l’université américaine de Beyrouth a porté une appréciation assez similaire sur l’ouvrage : « En accusant l’ensemble de la tradition européenne et américaine d’études orientales de pécher par réductionnisme et caricature, il commet précisément la même erreur15. »

    #edward_said #wikipedia

  • The Angry Arab News Service/وكالة أنباء العربي الغاضب: Nasrallah’s unprecedented appeal to Israelis (not only to Jews)
    http://angryarab.blogspot.com/2018/06/nasrallahs-unprecedented-appeal-to.html

    From the days of Yehoshovat Harkabi (former Israeli director of military intelligence and official expert on Arab statements on Judaism and Zionism) to the days of MEMRI—or even the writings of Bernard Lewis: there is a Zionist industry to produce only the ugly and hateful of Arab political discourse. There is so much about Arab political discourse that is deliberately not being covered by MEMRI and the likes—because it does not fit into the Zionist political agenda. On Jerusalem Day, Hasan Nasrallah concluded a long speech about Palestine with a direct appeal to Israelis. This is rather unprecedented from an Arab resistance group. He said (my translation): “We don’t want to kill, we don’t want to destroy, we dont want to throw anyone into the sea. We say in a fully civil way, ride your ships and planes and return to your countries where you came from. As for the indigenous Jews who are part of Palestinian people, those stay in Palestine...This is the message of Islam and this is the message of resistance, and this is the message of the people of the region. No one wants to perpetrate a new Holocaust or anything like that as Netanyahu says”.

  • Islam’s New ‘Native Informants’ | by Nesrine Malik | NYR Daily | The New York Review of Books

    https://www.nybooks.com/daily/2018/06/07/islams-new-native-informants

    Returning from Lebanon and Egypt in 2003, Edward Said wrote an angry dispatch in the London Review of Books on how the Iraq War as reported on Arabic TV channels portrayed a different conflict from the one reported by the American media, in which journalists were “as lost as the English-speaking soldiers they have been living with.” He argued that the stream of Western commentary “has obscured the negligence of the military and policy experts who planned it and now justify it.” The misguided belief that the Iraqis would welcome the Americans with glee after a period of aerial bombardment, a fundamental flaw in the planning of the military mission, he pinned squarely on the out-of-touch exiled Iraqi opposition and the two Middle East experts who, at the time, held the most sway over US foreign policy in the region: Bernard Lewis and Fouad Ajami.

    Said dismissed Bernard Lewis as an Orientalist, a generalist, and an ideologue. But the Lebanese-born Fouad Ajami was damned in fewer words: he was a “native informant.” By that was meant one who deploys “we,” Said wrote, “as an imperial collectivity which, along with Israel, never does anything wrong. Arabs are to blame for everything and therefore deserve ‘our’ contempt and hostility.” In a profile of Ajami written for The Nation that appeared at almost the same time, Adam Shatz observed that Ajami’s failure to predict the Saudi conveyor-belt of radicalization that brought about 9/11 (so focused was he on “the menace of Saddam and the treachery of Arafat) still had not dented his Middle East expert credentials as far as the US media were concerned. “America was going to war with Muslims,” Shatz wrote, “and a trusted native informant was needed.”

    Fifteen calamitous years later, the scorn that the late Ajami received at the time has been vindicated. But the term “native informant” has become a troubling one. As a derogatory description of an indigenous person considered a collaborator with the colonial or invading power, it sits too closely for comfort to slurs such as “house slave” and its derivatives. In the discipline of postcolonial studies, “native informant” was once useful in understanding the way certain cultural brokers from former colonies could benefit from helping more powerful Western authorities objectify their people. In an essay on the Lebanese-American academic Evelyne Accad, the scholar Dorothy Figueira described native informants as “disciplinary gatekeepers providing an authoritative version of history for the upper classes (reformers or nationalists), and the West.” But in a world where these “authoritative versions” are not simply academic, but can also be the ideological underpinnings of military aggression, the native informant’s role is that of enabler.

  • A propos de Bernard Lewis - Actuarabe
    http://actuarabe.com/a-propos-de-bernard-lewis

    Lewis a joué un rôle direct dans la politique américaine depuis son arrivée aux Etats-Unis en conseillant les preneurs de décisions. Il était considéré comme le « roi des historiens » du Moyen-Orient, avec son expérience sans pareille. Lewis est considéré comme le véritable auteur de la théorie du choc des civilisations, dont il a parlé dans un article publié en 1990 dans The Atlantic ayant pour titre « Les racines de la colère musulmane », soit deux ans avant la publication du fameux livre de Samuel Huntington.

    Il y parlait de l’inévitable choc des civilisations entre l’Islam et l’Occident car la pensée musulmane est réfractaire à la modernité et aux valeurs occidentales selon lui. Elle refuse de reconnaître la supériorité des valeurs occidentales et sa défaite. Lewis considère qu’il n’y a aucun lien entre la colère des musulmans d’un côté, l’injustice et la colonisation des mondes arabe et musulman de l’autre. Pour Lewis, le conflit israélo-arabe fait partie de la lutte entre la civilisation islamique et l’héritage judéo-chrétien.

  • World to end on August 22 | Opinion | The Guardian
    https://www.theguardian.com/commentisfree/2006/aug/09/worldtoendonaugust22

    While the Middle East smoulders, commentators of an apocalyptic bent are lining up for a date with Armageddon.

    Better cancel those holidays. We now have a date for Armageddon, and it’s a week on Tuesday - August 22.

    This information comes from no lesser source than the Wall Street Journal, where Bernard Lewis, President Bush’s favourite historian, provides the details.

    “In Islam, as in Judaism and Christianity,” the professor writes, "there are certain beliefs concerning the cosmic struggle at the end of time - Gog and Magog, anti-Christ, Armageddon, and for Shiite Muslims, the long-awaited return of the Hidden Imam, ending in the final victory of the forces of good over evil, however these may be defined.

    Rappelée par Angry Arab, la foudroyante prédiction du génie de l’orientalisme nord-américain, Bernard Lewis (décédé hier).

    #orientalisme

    • On connaît le rôle des prédictions apocalyptiques dans le déclenchement de la seconde guerre d’Irak par Bush et par les néoconservateurs.

      La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire, c’était ici :

      http://www.abc.net.au/radionational/programs/latenightlive/looking-back-at-bush/7702590

      Pour résumer : dans sa biographie de Bush fils, Jean E. Smith raconte comment le président US a tenté d’expliquer à Chirac l’histoire de Gog et Magog, et la nécessité théologique d’une intervention en Irak. Face à l’incompréhension de Chirac, Bush demande ensuite à ses services de contacter la faculté de théologie de Louvain, pour qu’ils expliquent à Villepin.

      Or le mois dernier j’ai croisé avec un célèbre bibliste - professeur au collège de France. Et lui-même raconte une histoire similaire : il a été contacté, à cette même époque, par l’administration américaine pour donner des cours d’exégèse biblique « appliquée » à l’administration française.

  • Feu Bernard Lewis était l’illustration que le rôle de l’#expert MSM n’est pas l’expertise, mais la « #narrative » au service de l’ordre établi ; d’où son adulation par ce dernier.

    Une vision orientaliste, par Juan Goytisolo (Le Monde diplomatique, juillet 2002)
    https://www.monde-diplomatique.fr/mav/64/GOYTISOLO/55898

    La prétention de Bernard Lewis à l’impartialité professorale fait problème lorsque, par exemple, il retrace l’histoire du problème palestinien : « Entre 1947 et 1949, une grande partie des habitants arabes des territoires inclus dans le nouvel Etat d’Israël quittèrent leurs maisons et se réfugièrent sur la rive occidentale, dans la bande de Gaza et dans les pays voisins. Les Israéliens prétendent qu’ils s’en allèrent à l’instigation de leurs propres chefs, lesquels leur dirent de partir afin de ne pas gêner les mouvements des troupes et leur promirent qu’ils reviendraient sous peu sur les traces des armées arabes victorieuses. Les Arabes maintiennent qu’ils furent poussés dehors par les Israéliens. Les deux thèses sont vraies : toutes deux sont fausses (p. 176). »

    Du chaos irakien à l’escalade contre l’Iran, par Alain Gresh (Les blogs du Diplo, 30 octobre 2007)
    https://blog.mondediplo.net/2007-10-30-Du-chaos-irakien-a-l-escalade-contre-l-Iran

    Ainsi a-t-on entendu l’universitaire Bernard Lewis, qui a servi de caution « orientaliste » à l’intervention américaine en Irak, annoncer le plus sérieusement du monde que Téhéran s’apprêtait à lancer une bombe atomique (qu’il n’a pas !) sur Israël le 22 août 2006 car ce jour correspond, dans le calendrier musulman, au voyage que fit le prophète Mahomet à Jérusalem puis au ciel, le président iranien pensant que l’apocalypse accélérera le retour de l’« imam caché ».

  • Before Europe: The Christian West in the Annals of Medieval Islam -
    https://marginalia.lareviewofbooks.org/before-europe

    This underscores König’s main critique of existing scholarship, dominated by what he calls the “paradigm of ignorance” and a common claim that until the age of European colonialism, Muslims were largely indifferent to or even ignorant of the western world. König’s painstaking inventory of the substantial data on the Latin West recorded in Arabic sources proves otherwise. While numerous scholars, including the distinguished Arabist George Makdisi, have reiterated the cliché about medieval Islamic apathy towards the West, the primary target of König’s criticism is the recently turned centenarian Bernard Lewis, whose works remain a staple of the popular press. Lewis’s first foray into this topic, an article on “The Muslim Discovery of Europe” (1957), was written at the height of the Cold War and postulated a “medieval iron curtain” between Islam and Christendom that restricted cultural exchange to a minimum. Expanding on this thesis, he published a book of the same title in 1982, reissued on the eve of 9/11, to be followed soon by What Went Wrong? Lewis argues in the original essay, and repeats verbatim twenty five years later in the book, that the medieval Islamic world’s relative economic, technological and intellectual superiority meant it “could afford to despise the barbarous and impoverished infidel in the cold and miserable lands of the north.” But it is religion that seems to provide a most basic explanatory force for Lewis, even to the point of accounting for Europeans’ allegedly greater cultural curiosity and interest in foreign languages: the Bible tied them to the Holy Land and therefore to the Semitic philology. Effectively, the implication went, if Muslims discovered Europe, it was only because Europeans discovered them first!

    To be sure, Lewis knows well how much the Arabs drew from the ancient Greek, Syriac, Persian, and Indian traditions, and he especially highlights the translation movement of the ninth and tenth centuries that witnessed a voluminous Islamic engagement with Hellenistic philosophy, the full significance of which for global intellectual history is still being detailed. Lewis mentions nothing, however, of the Sanskrit to Persian translations sponsored by the Mughals in early modern India, a subject of considerable attention recently in South Asian studies. Such blind spots, I suspect, explain his belief that after an initial openness, Islam became “impervious to external stimuli.” König’s research actually leads to an opposite contention, that later Arabic historians were generally better informed about Europe, thanks to the cumulative aggregation of sources by their predecessors. König acknowledges the erudition behind Lewis’s work and even agrees with it occasionally, stating for instance that “to an Arabic-Islamic world imbued with Greek science…the medieval Latin-Christian world still had little to offer.” But like many of Lewis’s critics including most famously Said, it is the overall narrative he popularized that König decries, and he lists a dozen recent scholars and commentators that still use it to tell a flawed story of civilizational difference: a self-centered, monochromatic Muslim world versus an inherently more open-minded West. Worse still, Lewis himself appears to have encouraged looking to the pre-modern past in order to understand Islamic worldviews today—as if Muslims can only ever see through medieval eyes.

    • Oh, une défense de Huntington sur Rezo…

      Je ne comprends pas bien ce texte. Il dit très clairement que la thèse de Huntington est :

      Telle est, n’en déplaise aux têtes plates, la seule interrogation du livre de Huntington, interrogation qui lui permet d’avancer la thèse selon laquelle, désormais, les nations ne s’entrechoqueront plus à cause de rivalités économiques ou territoriales mais à cause de différences culturelles — ou, inversement, les nations ne se regrouperont et ne s’allieront plus contre d’autres selon des convergences stratégiques mais par affinités de mœurs et de cultes.

      avant de donner une liste de contre-exemples à cette thèse « fantasque » :

      Quand on voit les rivalités intracontinentales des pays européens, africains, latino-américains, asiatiques, rien ne semble plus fantasque que la thèse de Huntington.

      Dans l’article initial de Huntington de 1993, dès l’introduction il explique très clairement sa thèse :

      It is my hypothesis that the fundamental source of conflict in this new world will not be primarily ideological or primarily economic. The great divisions among humankind and the dominating source of conflict will be cultural. Nation states will remain the most powerful actors in world affairs, but the principal conflicts of global politics will occur between nations and groups of different civilizations. The clash of civilizations will dominate global politics. The fault lines between civilizations will be the battle lines of the future.

      Je ne comprends pas bien ce que tente de démontrer Schiffter. Que le Clash n’est pas fondamentalement hostile à l’islam, qu’il n’apporte pas « la preuve scientifique du péril que l’islam représente pour la civilisation occidentale » ?

      L’auteur l’écrit lui-même, citant quasiment mot pour mot Huntington : « les nations […] s’entrechoqueront […] à cause de différences culturelles » (dans l’introduction de 1993 : “The great divisions among humankind and the dominating source of conflict will be cultural.”). Qu’est-ce qu’il y a là-dedans qui ne correspond pas exactement à l’idée raciste du rapport entre l’islam et l’« occident » que s’en font les « têtes plates » ?

      Dans le livre, par exemple, Huntington ne se contente pas d’évoquer les « grands blocs », mais aussi le « micro-level » et les « fault lines between civilizations » :

      The clash of civilizations thus occurs at two levels. At the micro-level, adjacent groups along the fault lines between civilizations struggle, often violently, over the control of territory and each other. At the macro-level, states from different civilizations compete for relative military and economic power, struggle over the control of international institutions and third parties, and competitively promote their particular political and religious values.

      Explicitement :

      On both sides the interaction between Islam and the West is seen as a clash of civilization. The West’s “next confrontation,” observes M. J. Akbar, an Indian Muslim author, “is definitely going to come from the Muslim world. It is in the sweep of the Islamic nations from the Maghreb to Pakistan that the struggle for a new world order will begin.” Bernard Lewis comes to a similar conclusion:

      We are facing a mood and a movement far transcending the level of issues and policies and the governments that pursue them. This is no less than a clash of civilizations—the perhaps irrational but surely historic reaction of an ancient rival against our Judeo-Christian heritage, our secular present, and the worldwide expansion of both.

      Je ne vois pas en quoi tout ceci contredirait (au contraire) l’idée raciste selon laquelle la France se trouverait sur l’une de ces « lignes de fracture » (désormais redéfinies comme essentiellement cultuelles et civilisationnelles) et que cela « menacerait » la civilisation occidentale. Ou alors, annoncer une « next confrontation » qui « viendra du monde musulman » est une notion que j’ai mal comprise…

      Et de manière particulièrement explicite, voici comment Huntington introduit le passage « Islam and The West » :

      Some Westerners, including President Bill Clinton, have argued that the West does not have problems with Islam but only with violent Islamist extremists. Fourteen hundred years of history demonstrate otherwise.

      et :

      The causes of this ongoing pattern of conflict lie not in transitory phenomena such as twelfth-century Christian passion or twentieth-century Muslim fundamentalism. They flow from the nature of the two religions and the civilizations based on them.

      et :

      So long as Islam remains Islam (which it will) and the West remains the West (which is more dubious), this fundamental conflict between two great civilizations and ways of life will continue to define their relations in the future even as it has defined them for the past fourteen centuries.

      Et Schiffter de suggérer que ceci devrait être titré : « Vers la paix entre les civilisations »…

      Il est certes facile de considérer qu’au bout de 20 ans, l’analyse de Huntington est devenue « réaliste » et bien plus « modérée » que nombre de discours d’aujourd’hui, notamment parce que la « résurgence du religieux » serait un fait explicatif central aujourd’hui. Mais il me semble bien plus crédible de considérer que, vues les évolutions géo-politiques et idéologiques depuis la fin du XXe siècle, il a bel et bien servi de boîte à outil idéologique et de propagande pour les politiques de l’Empire (et notamment le néoconservatisme), et qu’il est un des meilleurs exemples de prophétie auto-réalisatrice qui a contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons, ainsi que (surtout ?) la perception que nous en avons.

    • Pour une analyse profane des conflits, par Georges Corm (Le Monde diplomatique, février 2013)
      http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/CORM/48760

      Cette nouvelle grille de lecture a acquis un crédit exceptionnel depuis que le politologue américain Samuel Huntington a popularisé, il y a plus de vingt ans, la notion de « choc des civilisations », expliquant que les différences de valeurs culturelles, religieuses et morales étaient à la source de nombreuses crises. Huntington ne faisait que redonner vie à la vieille dichotomie raciste, popularisée par Ernest Renan au XIXe siècle, entre le monde aryen, supposé civilisé et raffiné, et le monde sémite, considéré comme anarchique et violent.

    • Samuel Huntington dans l’univers stratégique américain
      https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-5-page-21.htm

      Il met en garde ses lecteurs contre la tentation, qu’il qualifie lui-même d’ethnocentrique, consistant à définir les valeurs occidentales comme « universelles » et à vouloir à tout prix les diffuser parmi tous les peuples de la planète. C’est précisément ce genre d’arrogance occidentale qui présente, selon Huntington, le risque le plus grave de clash intercivilisationnelle. Voilà pourquoi ses défenseurs veulent voir en lui un homme de tolérance, partisan éclairé d’un pluralisme culturel au service de la bonne entente dans un monde multipolaire. Loin de viser à dresser les peuples les uns contre les autres, n’aspire-t-il pas, au contraire, à prévenir le monde contre un danger de polarisation violente, qu’il affirme regretter ?

      Il faut bien voir, cependant, que les regrets exprimés par Huntington sont largement contrebalancés par le statut d’objectivité qu’il confère au danger que courrait actuellement, selon lui, l’« Occident » en tant qu’unité civilisationnelle. S’il donne souvent l’impression de prendre des distances critiques avec l’« Occident », son livre se lit néanmoins comme une incitation de ce même Occident à préparer d’urgence son autodéfense collective. Dans un monde de plus en plus multipolaire, l’Occident serait aujourd’hui en grave danger de perdre sa capacité à se défendre, par négligence de sa propre cohérence culturelle, par excès de timidité dans l’affirmation de son « identité » culturelle… et stratégique.

      Dès lors, la « critique » huntingtonienne de l’ethnocentrisme occidental apparaît comme une forme perverse d’ethnocentrisme, déguisée en pluralisme culturel. L’avertissement contre l’arrogance occidentale signifie surtout, en termes pratiques, qu’il faut atténuer les aspirations à promouvoir, hors de l’aire occidentale, la démocratisation politique. Certaines civilisations, proclame Huntington, sont culturellement mieux préparées à la démocratie que d’autres. Entendons par là – c’est l’un des principaux buts de la démonstration – que le monde islamique en particulier est bloqué dans sa quête démocratique d’abord et avant tout par ses propres traditions, par la confusion qu’il entretiendrait depuis toujours entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Nul ne s’étonnera d’apprendre que Huntington se réfère respectueusement aux travaux de Bernard Lewis, l’érudit islamologue anglophone connu depuis longtemps pour le regard dédaigneux qu’il porte sur son objet d’étude. Une commune lecture culturaliste de l’Islam permet à Lewis et à Huntington, en dépit de leurs abondantes références à l’Histoire, de décontextualiser le problème de l’autoritarisme dans le monde arabo-musulman. Ramener le problème des despotismes d’État contemporains à une sorte de complexe culturel, c’est faire abstraction des effets du système politique et économique mondial et dédouaner les puissances extérieures, les États-Unis notamment, de toute responsabilité dans le soutien aux régimes despotiques. Par le biais de ce culturalisme très politique, Huntington alimente, qu’il le veuille ou non, les courants d’intolérance qui démonisent l’Islam.

      [...] Le « pluralisme culturel » que Huntington revendique dans l’arène internationale n’est pas contradictoire, dans sa vision, avec un rejet quasi viscéral de toute affirmation de la diversité culturelle au sein des nations occidentales et tout particulièrement aux États-Unis. Les Musulmans d’Europe et les Mexicains-Américains aux États-Unis apparaissent dans son analyse comme étant enclins, presque par définition, en fonction de leurs origines, à bifurquer vers la construction d’identités séparées et donc à dévoyer les pays occidentaux de leur identité de base pour en faire des pays « déchirés » (cleft countries) – sort, selon Huntington, à éviter à tout prix. La meilleure façon de prévenir le « choc des cultures » consiste donc à laisser à chaque civilisation le soin d’affirmer son « identité » pour mieux se défendre. Ici, qu’il le veuille ou non, Huntington occupe le même terrain culturaliste que bon nombre d’idéologues d’extrême-droite.

  • "Le Vol de l’Histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody : l’exception occidentale

    Que s’est-il passé ? Depuis une dizaine d’années, la question du destin de l’Occident intéresse à nouveau les historiens, sur fond de « conflit des civilisations » et de montée des puissances asiatiques. Quels facteurs expliquent le développement exceptionnel de l’Europe au XVIe siècle ? Ces facteurs permettent-ils de prévoir un maintien de sa suprématie au moment où elle est contestée ?
    A l’instar de Bernard Lewis, qui a fait de cette question le titre d’un de ses ouvrages sur l’islam (Gallimard, 2002), les historiens montrent souvent que l’Europe possède quelque chose qui manque aux autres civilisations : la démocratie, l’individualisme, l’amour courtois. Ces valeurs éparses peuvent être réunies dans un ensemble cohérent, une « mentalité européenne », et liées au développement du capitalisme, dont l’esprit d’entreprise détache l’individu des liens traditionnels, comme l’ont illustré les travaux classiques de Max Weber, Karl Polanyi ou Fernand Braudel.
    En réaction à cette tendance, d’autres affirment que la supériorité de l’Occident est une invention qui a permis à l’Europe de justifier ses conquêtes. Ainsi de Martin Bernal rappelant les racines afro-asiatiques de la culture classique. Ou de Dipesh Chakrabarty, un des auteurs phares des études postcoloniales.
    L’anthropologue britannique Jack Goody renvoie dos à dos ces deux attitudes. S’il dénonce la justification de la guerre en Irak par l’introduction de la démocratie, il critique également les excès littéraires du postcolonialisme. Selon lui, la « supériorité » de l’Occident ne tient ni à une « mentalité européenne » qui résisterait à la contingence des événements, ni à un discours colonial que la globalisation effacerait comme une époque révolue. Elle tient plutôt à un ensemble de « technologies de l’intellect » que l’Europe a empruntées aux autres civilisations, et dont elle a fait un usage particulièrement retors : listes, catalogues, livres de comptes...

    L’oubli d’une dette

    D’où lui vient cette singularité ? La réponse de Goody peut s’énoncer ainsi : c’est parce qu’elle est intervenue au moment où l’Europe était en train de s’effondrer que la redécouverte des textes classiques a produit une « renaissance » ; cette effervescence a conduit à forger l’image d’une Antiquité idéale en occultant la conservation de ces mêmes textes en Orient.
    La Renaissance ne marque donc ni l’apparition d’une nouvelle mentalité ni l’invention d’un nouveau discours, mais un usage singulièrement intense des technologies d’information et d’échange. « Pourquoi ne pas reformuler la discussion sur l’avantage pris par l’Occident à l’époque moderne en des termes autres - ceux d’une intensification de l’activité économique et d’autres activités au sein d’un cadre à long terme qui serait celui du développement des villes et des activités de production et d’échange ? », demande-t-il. C’est ce que Goody appelle le « vol de l’Histoire », qui ne suppose pas une mauvaise intention mais plutôt l’oubli d’une dette.
    Cette méthode conduit l’anthropologue à regarder la « grande divergence » entre l’Orient et l’Occident - pour reprendre la formule de l’Américain Kenneth Pomeranz - depuis son expérience de terrain en Afrique. Au moment de l’indépendance du Ghana, Goody a pu observer l’effervescence qui accompagne l’appropriation des textes classiques. Il note que « lorsqu’en 1947 une université fut créée au Ghana - c’est-à-dire dans celui des Etats coloniaux africains qui sera le premier à accéder à l’indépendance - le premier département à employer un personnel entièrement africain fut celui des lettres classiques ».
    Une telle méthode doit beaucoup à l’héritage de Marx. Goody se réclame ici de deux historiens marxistes : Gordon Childe (1892- 1957), archéologue de « l’âge de bronze », et Perry Anderson, historien du féodalisme. Dans une telle optique, le « vol de l’Histoire » n’est ni le décollage d’une civilisation ni l’usurpation d’un pouvoir : c’est une série d’emprunts et de reprises dont l’issue reste imprévisible. Goody donne là une surprenante actualité à la phrase de Marx selon laquelle les hommes font l’histoire sans savoir qu’ils la font.

    Frédéric Keck

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/14/le-vol-de-l-histoire-comment-l-europe-a-impose-le-recit-de-son-passe-au-rest

  • Lire Edwad Said actuellement est un exercice sain.
    In these times, reading Edward Said is healthy.
    http://analysedz.blogspot.com/2011/11/impossible-histories-why-many-islams.html

    (...) When Bernard Lewis’s book was reviewed in the New York Times by no less an intellectual luminary than Yale’s Paul Kennedy, there was only uncritical praise, as if to suggest that the canons of historical evidence should be suspended where “Islam” is the subject. Kennedy was particularly impressed with Lewis’s assertion, in an almost totally irrelevant chapter on “Aspects of Cultural Change,” that alone of all the cultures of the world Islam has taken no interest in Western music. Quite without any justification at all, Kennedy then lurched on to lament the fact that Middle Easterners had deprived themselves even of Mozart! For that indeed is what Lewis suggests (though he doesn’t mention Mozart). Except for Turkey and Israel, “Western art music,” he categorically states, “falls on deaf ears” in the Islamic world."
    "Now, as it happens, this is something I know quite a bit about, but it would take some direct experience or a moment or two of actual life in the Muslim world to realize that what Lewis says is a total falsehood, betraying the fact that he hasn’t set foot in or spent any significant time in Arab countries. Several major Arab capitals have very good conservatories of Western music: Cairo, Beirut, Damascus, Tunis, Rabat, Amman—even Ramallah on the West Bank. These have produced literally thousands of excellent Western-style musicians who have staffed the numerous symphony orchestras and opera companies that play to sold-out auditoriums all over the Arab world. There are numerous festivals of Western music there, too, and in the case of Cairo (where I spent a great deal of my early life more than fifty years ago) they are excellent places to learn about, listen to, and see Western instrumental and vocal music performed at quite high levels of skill. The Cairo Opera House has pioneered the performance of opera in Arabic, and in fact I own a commercial CD of Mozart’s Marriage of Figaro sung most competently in Arabic. I am a decent pianist and have played, studied, written about, and practiced that wonderful instrument all of my life; the significant part of my musical education was received in Cairo from Arab teachers, who first inspired a love and knowledge of Western music (and, yes, of Mozart) that has never left me. In addition, I should also mention that for the past three years I have been associated with Daniel Barenboim in sponsoring a group of young Arab and Israeli musicians to come together for three weeks in the summer to perform orchestral and chamber music under Barenboim (and in 1999 with Yo-Yo Ma) at an elevated, international level. All of the young Arabs received their training in Arab conservatories. How could Barenboim and I have staffed the West-Ostlicher Diwan workshop, as it is called, if Western music had fallen on such deaf Muslim ears? Besides, why should Lewis and Kennedy use the supposed absence of Western music as a club to beat “Islam” with anyway? Isn’t there an enormously rich panoply of Islamic musics to take account of instead of indulging in this ludicrous browbeating?

    #Islam #Islamisme #Modernité

  • « Pourquoi l’islamisme ne peut pas être expliqué à partir de la religion », par Norbert Trenkle - 16 Novembre 2015

    http://www.palim-psao.fr/2015/05/pourquoi-l-islamisme-ne-peut-pas-etre-explique-a-partir-de-la-religion-pa

    Une confrontation sérieuse avec le phénomène du fondamentalisme islamique requiert un changement de point de vue et une critique conséquente des spéculations culturalistes. Pour aller à l’essentiel, vouloir expliquer l’islamisme à partir de l’islam est à peu près aussi insensé que tenter de faire dériver le national-socialisme de l’épopée des Nibelungen ou de l’Edda poétique. Évidemment, les islamistes fanatiques se réclament avec une insistance aussi provocante que lassante du Coran et du prophète, mais en réalité ils se moquent totalement des discussions et spéculations théologiques ; pour eux, l’islam, c’est ce qu’ils en font, c’est-à-dire exactement ce qui correspond à leur besoin identitaire et subjectif. Les récits religieux transmis ne sont rien d’autre pour eux que des chiffres et des codes culturels dont ils se servent pour consolider leur statut-sujet précaire. Les islamistes sont tout sauf des religieux traditionalistes qui auraient manqué le train de la modernité ou refuseraient de sauter dedans. Il s’agit bien plus d’individus tout à fait modernes, marqués par le capitalisme, qui en tant que tels cherchent un appui dans un collectif en apparence puissant, auquel ils puissent s’identifier.

    Cette soif d’identification à un sujet collectif n’a rien de nouveau. Il fait partie de l’équipement de base constitutif de l’individu moderne formaté pour la société marchande et accompagne l’histoire de la modernisation depuis le début du XIXe siècle. Cela ne peut guère surprendre. Car la gageure de devoir se rendre socialement actif comme sujet particulier isolé, toujours soucieux de défendre ses intérêts privés et de ne considérer finalement les autres membres de la société que comme des instruments pour atteindre ce but, cette gageure engendre le besoin pressant de se fondre dans une communauté imaginaire, au sein de laquelle cet isolement et cette instrumentalisation réciproque seraient abolis en apparence. Cette identification à un grand sujet apaise en même temps le sentiment d’impuissance devant son propre rapport à la société, qui fait face à l’individu comme contrainte collective chosifiée, car cela offre la surface de projection idéale pour des fantasmes compensatoires de toute puissance. Si au cours de l’histoire de la constitution du capitalisme ce sont en premier lieu les grands sujets classiques comme la nation, le peuple et les classes qui se sont trouvés sur le devant de la scène, ce sont pourtant les communautés religieuses qui ont depuis bien trois décennies le vent en poupe – et certainement pas seulement dans l’espace estampillé islamique mais également sous la forme du fondamentalisme protestant, des sectes évangéliques en Amérique Latine et en Afrique ou du nationalisme hindou. Au macro niveau de la société, les causes de cette « mégatendance » globale se trouvent certainement dans le déclin des grandes religions séculières de l’époque bourgeoise, avant tout du socialisme et du nationalisme. Car dans la foulée de la mondialisation engluée dans la crise, soit l’État est largement privé de son pouvoir de contrepoids régulateur face aux impératifs du marché, soit – comme dans de nombreuses régions de l’ancien tiers monde – il a été complètement broyé, tandis que dans le même temps la croyance quasi religieuse dans le progrès qui régnait au début tout comme au moment culminant du capitalisme se voit démentie tous les jours par les catastrophes écologiques de plus en plus aigues ainsi que l’exclusion sociale grandissante.

    • Très intéressant, l’article comme le site de manière plus générale.
      Deux petites réserves : le terme générique d’islamisme manque un peu de précision, à mon avis : on y subsume habituellement trop de choses pour que tout ce que dit l’article sur l’islamisme soit valable.
      Par ailleurs cette assertion me semble très fausse et être une erreur très commune dans une certaine gauche radicale européenne :

      S’ajouta à cela le conflit israélo-palestinien, qui a été chargé, au sein du monde arabe et de l’idéologie anti-impérialiste, d’une énorme signification symbolique largement au-delà de son véritable caractère de problème territorial limité et relativement mineur, et transformé en une surface de projection du ressentiment antisémite, dont l’islamisme recueillit également l’héritage.

      Sans partir dans de grands développements, je pense que l’auteur sous-estime grandement d’une part la projection de puissance israélienne dans le monde qui va bien au-delà des territoires occupés voire de son environnement proche-oriental immédiat, d’autre part sa capacité d’influence sur les politiques étrangères au Moyen-Orient de plusieurs Etats occidentaux. J’ajoute que la singularité radicale d’Israël, qui n’est ni un classique Etat-nation, ni une puissance coloniale, ni même un régime d’apartheid, semble échapper à l’auteur. J’en veux pour illustration ce que dit l’auteur du thème du choc des civilisations, popularisé par Huntington, phénomène perçu par l’auteur comme symptôme du fait que l’Occident en général avait besoin de se trouver un nouvel ennemi à la fin de la guerre froide. Ce à quoi je veux bien souscrire. Mais l’auteur semble ignorer qu’en même temps ce thème n’a pas été inventé par Huntington mais par son mentor l’orientaliste Bernard Lewis (double national américano-israélien) qui a été une des référence principale des néo-conservateurs pour dépeindre le Proche-Orient.
      De plus ce passage reprend une représentation commune des Arabes, panarabistes ou islamistes, obsédé par Israël et les complots, et donc antisémites. Ce n’est pas entièrement faux mais il faut voir aussi qu’en « Occident » il y a une doxa officielle qui agit dans les médias et le champ universitaire (par intimidation/répétition) qui consiste à minorer tout cela et à écarter d’un revers de main toute explication historique recourant à la thèse du complot comme si l’histoire politique au vingtième siècle de cette région n’en était pas remplie...

      Bref, quelqu’un qui s’y connaît pourrait-il me dire s’il existe un ouvrage clair et accessible en français qui permette de s’initier aux enjeux théoriques de la critique de la valeur ? Perso je n’ai lu que le « Debord » de Jappe (qui n’aborde pas la question) et le bouquin de Kurz « les Habits neufs de l’empire ».

    • Texte intéressant trouvé sur le site signalé et écrit par le petit groupe post-situ des Amis de Némésis :
      http://www.palim-psao.fr/2015/03/etat-islamique-inc-par-les-amis-de-nenemis.html

      Une fois de plus, la Maison Blanche veut rassembler une coalition mondiale contre l’Axe du Mal. Trois années de guerre devaient suffire, et la première campagne inclut des frappes aériennes en Syrie, ainsi qu’un budget exceptionnel de 500 millions USD. Il s’agit à présent d’aider les « rebelles syriens modérés », après avoir aidé avec les monarchies du Golfe une opposition syrienne comprenant toute une série de milices islamistes, dont l’EI. Ces prétendus « modérés » sont en réalité eux-mêmes dirigés par des islamistes concurrents de l’EI, comme l’alliance baptisée Front Islamique, fortement liée au groupe djihadiste Al-Nosra. Ces groupes islamistes issus d’Al-Qaida essaient de se différencier de l’EI, qui les a défaits militairement, et s’entraînent désormais en Arabie saoudite. En résumé, l’Occident est à nouveau en train d’armer des islamistes contre d’autres islamistes, en espérant servir ainsi ses intérêts géostratégiques et abattre le régime d’elAssad. La radicalisation successive des groupes instrumentalisés n’est qu’une affaire de temps. La personnalité autoritaire est le profil commun entre le fascisme et l’islamisme. Dans les deux cas, il s’agit de se soumettre à un destin inamovible, atemporel, dans les deux cas la haine de celui qui ne se soumet pas (l’infidèle, le chômeur, le marginal, le librepenseur) exprime la souffrance de celui qui a décidé de se soumettre mais ne veut pas avouer que son fétichisme consenti le mutile, dans les deux cas (le lecteur est renvoyé à Psychologie de masse du fascisme de Wilhelm Reich). Les nombreuses et terribles exactions sexuelles au Proche-Orient en sont un exemple pesant. Une vie sexuelle libre y est aussi impossible que la fondation d’une famille tant la misère l’interdit. En même temps, l’imposition du voile et d’autres rituels aux femmes traduit l’échec complet des tentatives d’occidentalisation de ces pays. Rappel de la théorie de l’Abspaltung et du fait que la dégradation capitaliste de l’ordre patriarcal et agricole, qui avait pris des siècles en Europe, se présente brutalement dans les pays arabes et y engendre une peur terrible des femmes, et donc une haine décuplée contre elles. Les autres points sont identiques avec l’article précédent.

      Notes :

      [1] http://www.konicz.info/?p=2929

      [2] http://www.exit-online.org/textanz1.php?tabelle=aktuelles&index=9&posnr=622

      [3] [1. L’expansion par la conquête est une constante dans l’histoire, à commencer par la guerre menée par le Prophète aux débuts de l’Islam. De même, la guerre a toujours été une entreprise rationnelle et son succès dépend largement de cette qualité. Ce n’est donc pas en cela que l’EI se singularise forcément. Note des Amis de Némésis]

      [4] [2. Samuel Laurent, dans son livre hâtivement concocté L’Etat islamique, s’étend à juste titre sur la présence massive de l’Etat islamique sur les réseaux sociaux, Twitter et Facebook, qui leur assure une visibilité mondiale, mais ne mentionne même pas la publication des bilans « al-Naba ». Note des Amis de Némésis]

      [5] [3. Chiffres qui pour l’occasion semblent assez ridicules. Note des Amis de Némésis]

      [6] [4. Cette différence semble moins évidente que cela : d’une part l’EI ne se livre à ses horribles destructions que pour mieux accumuler et dominer des pays à exploiter, tout comme l’avait fait le nazisme, et d’autre part sa mainmise sur les ressources (notamment pétrolières) peut très bien produire un return on equity, direct ou indirect, pour ses commanditaires et sponsors. Note des Amis de Némésis]

      [7] [5. Ce qui est sûr, c’est que dans les deux cas, ces massacres génocidaires ont effectivement lieu et sont proclamés comme des objectifs supérieurs à tout le reste : les deux aspects paraissant du coup parfaitement cohérents ; il n’en reste pas moins que, 4 dans un cas comme dans l’autre, ces massacres répondent au souci de s’accaparer les richesses des étrangers ainsi dépossédés (les juifs étant considérés comme des étrangers de l’intérieur) et la « politique » nazie (ou islamiste) traduisant ainsi une « économie » de pillage. Note des Amis de Némésis]

      [8] [6. La formule reste elliptique. Nous supposons qu’il s’agit d’une récession à l’échelle mondiale de la socialisation par le travail, à laquelle répondent des formes de socialisation barbares. Dans ce cas, la formule s’applique aussi bien aux pays condamnés à une guerre civile ininterrompue, comme l’Iraq, la Syrie, la Libye, le Liban, l’Afghanistan, le Yémen, et aux zones « de non-droit » dans les pays occidentaux. Note des Amis de Némésis]

      [9] [7. Cette nouvelle armée en expansion permanente, prête à exécuter les basses œuvres un peu partout où ses chefs, connus ou cachés, lui disent d’aller semer la destruction, est dirigée comme on sait par un certain Abou Bakr al-Baghdadi, de son vrai nom Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri, natif de Samarra (d’autres sources disent Fallujah ou Diyala) en Iraq. Selon certaines sources (Samuel Laurent, op. cit., Seuil 2014, p. 121 à 124), qui sont contredites par d’autres, lui ainsi que l’Etat-Major qui l’entoure (une dizaine d’hommes), aurait été faits prisonniers par les Américains en 2004, en raison de nombreux crimes déjà commis à cette époque. Ce qui leur était reproché justifiait donc de très longues périodes de détention. Or, ces hommes auraient tous été libérés en bloc quelques mois plus tard, sans aucun motif visible. Donc, avec des motifs invisibles. De là à imaginer que se répète ici la politique secrète et absurde qui avait déjà présidé à la création d’Al-Qaida, il n’y a pas très loin : mettre en place des organisations criminelles pour les utiliser contre un ennemi commun (à l’époque les Soviétiques en Afghanistan, aujourd’hui les régimes iranien, iraquien et syrien) et pour s’assurer d’une main mise directe sur les champs pétrolifères. Laisser une armée de criminels détruire des pays entiers en se disant que le moment venu, on les remettra dans leur boîte. Pour d’autres sources, comme Wikipedia, les dates ne sont pas les mêmes – arrestation en 2005 et libération en 2009 – et il est avancé qu’al-Baghdadi aurait été arrêté par erreur, et donc relâché sans problème au bout de quatre ans. Note des Amis de Némésis

    • @souriyam en français, c’est surtout Jappe du coup, donc il y a Les aventures de la marchandise, en 2003. Je ne crois pas qu’il y ait de brochure plus courte avec uniquement les trucs de base, sans rentrer dans les détails. @ktche une idée d’un ouvrage ?

      M’est-avis que les participants aux groupes de critique de la valeur feraient bien de s’associer avec des spécialistes de l’éducation populaire, pour vulgariser les théories dans un langage commun, avec des exemples, des schémas, ou que sais-je encore…

    • M’est-avis que les participants aux groupes de critique de la valeur feraient bien de s’associer avec des spécialistes de l’éducation populaire, pour vulgariser les théories dans un langage commun, avec des exemples, des schémas, ou que sais-je encore…

      Oui surtout Clément :-p

    • #ressources_pédagogiques

      Voici une première carte d’un ensemble qu’on aurait pu appeler « Guerres et paix » si le thème n’était pas aussi tragique.

      Cartographier la Guerre

      Dans cette vision, on cartographie l’extension géographique de la guerre et de la violence. À cette image se superpose la carte des « outils de la guerre » (à venir bientôt sur visionscarto.net), c’est-à-dire la géographie de la production, de l’exportation et de l’importation des armements conventionnels. Nous avons déjà publié la représentation des « effets de la guerre », c’est à dire principalement la « production » de réfugiés. Il manquerait une carte de la mortalité liée à la violence, sans doute très difficile à établir puisque les chiffres n’existent pas ou sont peu crédibles, mais il faudrait essayer.

      Le deuxième volet de cet ensemble, ce sera la cartographie de la paix et des espoirs de paix, une géographie de ce que tentent la communauté internationale, les États, les grandes ONG ou parfois simplement des initiatives locales pour faire « cesser la guerre » (opérations de maintien de la paix des Nations unies, de l’Union européenne, de l’Union africaine, initiatives bilatérales, nationales, locales, etc.).

      Enfin, je voudrais rappeler que cartographier la guerre est un exercice difficile et risqué. Depuis une vingtaine d’années, nous avons essayé de donner une image globale du monde en guerre, en proposant des regroupements, des typologies basées sur l’intensité, le nombre de morts, l’importance de l’engagement international, l’extension géographique, voir même l’importance de la couverture médiatique.

      Mais à chaque fois, nous nous sommes heurtés à la complexité de situations conflictuelles très variées, que nous avons (souvent maladroitement) regroupées en « types de conflits », avec, toujours, cette insatisfaction de ne pouvoir le faire comme nous le voulions, avec cette impression de regrouper dans une même catégorie des situations fort différentes, mais nous ne trouvions pas vraiment le moyen faire mieux.

      On a donc publié ces cartes à chaque fois un peu comme un « rapport d’étape » en espérant pouvoir imaginer, plus tard, des solutions mieux adaptés, permettant d’avoir une vision plus conforme de ce monde en guerre. C’est dans cet esprit que nous publions aujourd’hui cette carte.

      Cette carte figure la distribution géographique des « acteurs » de la guerre, ceux qui sont sur la scène — et c’est géographiquement très concentré. À la fin des années 1970, l’orientaliste Bernard Lewis avait identifié un « arc des crises », lequel allait de l’Éthiopie à l’Iran (voir « Cartographier et nommer “l’internationale djihadiste” » http://visionscarto.net/djihadisme-international). On voit qu’en 2015 ce concept est toujours pertinent, et s’étend même au-delà de l’emprise qu’il avait à l’époque.

      Sur la carte figurent aussi des acteurs extérieurs, les « puissances » qui interviennent dans des pays souvent situés très loin de leurs frontières.

      Certaines institutions publient des listes typologiques de conflits ou des cartes ; pour ne citer que les principales :


      International Institute for Strategic Studies (IISS)
      http://www.iiss.org/en

      Peace Research Institute Oslo (PRIO)
      https://www.prio.org

      Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI)
      http://www.sipri.org

      International Crisis Group (ICG)
      http://www.crisisgroup.org

      #ressources_pédagogiques

  • http://www.nybooks.com/blogs/nyrblog/2011/aug/09/new-european-far-right

    "As Thomas Hegghammer, the Norwegian expert on Islamism, has argued, Breivik is in some respects an occidental mirror of Osama bin Laden—a dangerous monster, perhaps, but not necessarily an irrational one. Breivik’s manifesto, Hegghammer explains, departs from established categories of right-wing extremism such as ultra-nationalism, white supremacism, or Christian fundamentalism, to reveal “a new doctrine of civilizational war that represents the closest thing yet to a Christian version of al-Qaeda.” The concept of “civilizational conflict ” or “clash of civilizations” between Islam and the West, first articulated by Bernard Lewis, is shared by many on the right and some in Europe’s liberal mainstream.

    “Both Breivik and the leaders of al-Qaeda see themselves as engaged in a conflict that extends back to the Crusades, with both of them
    using references to medieval chivalry. Both have resorted to catastrophic violence on behalf of transnational entities: the Ummah or “community” of all Muslims in the case of al-Qaeda, and “Europe” in the case of Breivik. Both frame their struggle as wars of survival, with the emphasis placed on defending a religiously-based culture rather than a distinctive nationality or ethnicity. Both hate their respective governments for “collaborating” with the outside enemy. Both use the language of martyrdom. Where Islamists refer to suicide bombings as “martyrdom operations” Breivik refers to an individual “martyr cell” in anticipation of his attack on defenseless youngsters. Both, as Hegghammer notes, lament the erosion of patriarchy and the emancipation of women.”

    “Just as al-Qaeda represents an extreme, activist variant of political views held by a much wider constituency of Muslim radicals, most of whom would never consider crossing the boundary between thinking and action, so Breivik (judging from his manifesto) holds a broad range of positions common to what might be called the “counter-jihadist” or “paranoid right.” This is represented—among others—by Robert Spencer, Daniel Pipes, and Pamela Geller in the US, the controversial Dutch legislator Geert Wilders, and Bat Ye’or and Melanie Phillips in Britain. All these writers—most of whom have denounced the Utoya massacre in the most unequivocal terms—subscribe to variants of the thesis that Europe is sleepwalking into cultural disaster or (in the case of Phillips) enabling Islamist terrorists to gain a foothold.”

    “Critics of the counter-jihadists in blogs and published articles have not been slow to point out the affinities between their utterances and the “classical” anti-Semitism of 1930s Europe. Jonathan Haari, writing in the Independent, names Bat Ye’or (the pseudonym of Giselle Littman, an Egyptian-born Jewish writer) as one of the “intellectuals on the British right who are propagating a theory about Muslims that comes close to being a 21st-century ‘Protocols of the Elders of Mecca.’” Bat Ye’or’s best known work, Eurabia: the Euro-Arab Axis, which Breivik cites extensively, castigates a supine European Union for allying itself with Arab states at the expense of Israel and the Atlantic alliance, creating a situation whereby Christians and Jews will be reduced to the status of dhimmis (the protected but subordinate minority communities of classical Islam). They will be second class citizens forced to ‘walk in the gutter.” In a letter of protest to the publishers of the Hebrew translation of Eurabia, Adam Keller, the Israeli peace activist compared it ) to Edouard Drument’s La France Juive (1886), the anti-Semitic tract that provided the ideological underpinnings for the deportation of France’s Jews under the Vichy government half a century later.”