La tension monte entre l’Irlande et le Royaume-Uni au sujet de la migration
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La tension monte entre l’Irlande et le Royaume-Uni au sujet de la migration
Par Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante)
Les relations entre Londres et Dublin se sont brutalement tendues ces derniers jours, l’Irlande reprochant au cabinet du premier ministre britannique, Rishi Sunak, les effets collatéraux supposés de l’Accord Royaume-Uni - Rwanda, consistant à expulser dans ce pays d’Afrique de l’Est des demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni. Mardi 30 avril, le gouvernement irlandais de Simon Harris a approuvé un projet de loi d’urgence visant à faciliter le renvoi au Royaume-Uni des demandeurs d’asile arrivés en République d’Irlande depuis l’Irlande du Nord (toujours province britannique).
La tension est telle entre les deux pays que les autorités irlandaises évoquent la nécessité de surveiller les presque 500 kilomètres de frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord alors que Dublin a bataillé durant toute la négociation du Brexit, entre 2016 et 2019, pour que cette frontière reste totalement virtuelle.
Tout a commencé par un chiffre avancé par Helen McEntee, la ministre de la justice irlandaise, lors d’une audition de la commission de la justice du Parlement irlandais le 23 avril. Quelque « 80 % des demandeurs d’asile » arrivés en Irlande viennent du Royaume-Uni via Belfast, en profitant de la Common Travel Area (CTA), un accord de libre circulation spécifique entre l’Irlande et le Royaume-Uni, a assuré la ministre, précisant que 5 000 personnes ont demandé l’asile dans la République depuis début 2024, un record.
Au lieu de déposer une demande d’asile en arrivant dans un aéroport ou un port irlandais depuis un autre pays européen, africain ou asiatique, ces personnes se présentent au Bureau de la protection internationale (International Protection Office, IPO), au cœur de Dublin. Les logements d’urgence pour les héberger sont tellement saturés que des dizaines d’entre elles dorment dans des tentes dressées dans les rues adjacentes à cet organisme.
Rishi Sunak a repris la balle au bond, se félicitant du chiffre avancé par la ministre McEntee, y voyant la preuve que l’Accord R-U - Rwanda a bien l’« effet dissuasif » escompté – les personnes arrivant en Irlande via Belfast fuiraient la perspective d’être expulsées par les autorités britanniques au Rwanda. Le dirigeant a, le 25 avril, fait adopter par Westminster la loi Safety of Rwanda censée rendre enfin opérationnel l’accord très controversé avec Kigali, toujours virtuel deux ans après sa signature.
La réponse de Dublin a été rapide et acide : « Il n’est pas question que l’Irlande offre une échappatoire aux défis migratoires d’un autre pays », a réagi, dimanche, Simon Harris, le chef de file du parti centriste Fine Gael et taoiseach (« premier ministre » irlandais) depuis un mois. « Nous n’allons pas commencer à accepter des renvois de [demandeurs d’asile] de l’Union européenne [UE] via l’Irlande quand l’UE refuse les renvois en France [de demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni en small boats] », a répliqué Rishi Sunak le lendemain, ajoutant n’être « pas intéressé » par un accord de renvoi des migrants avec Dublin.
La question migratoire entre Londres et Dublin est plus subtile qu’il n’y paraît. Selon le règlement européen dit « de Dublin », les personnes demandant l’asile doivent déposer leur dossier dans le premier pays de l’UE où elles sont rentrées – sauf exceptions, regroupements familiaux, etc. Un pays de l’UE peut théoriquement renvoyer dans un autre pays de l’UE un demandeur d’asile qui y aurait déjà déposé un dossier. Depuis le Brexit, n’étant plus dans l’Union européenne, le Royaume-Uni ne peut plus appliquer le règlement de Dublin.
Cependant, les gouvernements irlandais et britannique sont convenus, en 2020, de reconduire un accord reproduisant les termes du règlement de Dublin, mais appliqué à leurs deux seuls pays : un demandeur d’asile arrivé du Royaume-Uni en Irlande peut y être reconduit. Mais jusqu’à présent, il n’a quasiment pas été mis en œuvre à cause de la pandémie de Covid-19, a expliqué la ministre de la justice, Helen McEntee, et, depuis mars, d’une décision de la Haute Cour irlandaise. Cette dernière a jugé que le Royaume-Uni n’était « pas sûr » au regard de l’asile, parce que les demandeurs d’asile refoulés risquaient d’y être expulsés vers le Rwanda.
La législation d’urgence proposée par Mme McEntee consiste à contourner cette décision de justice en assurant que le voisin britannique est un pays « sûr ». Le parallèle entre cette démarche irlandaise et celle du gouvernement britannique est frappant. Le cabinet Sunak a proposé sa législation Safety of Rwanda pour contourner une décision de la Cour suprême britannique, fin 2023, qui concluait que le Rwanda n’était pas sûr au regard de l’asile.
Ce coup de chauffe entre Dublin et Londres illustre à quel point les questions migratoires sont mondiales, des politiques nationales ayant rapidement des implications régionales. Les frictions entre les deux pays s’expliquent aussi par leurs contextes politiques respectifs. Rishi Sunak, le chef de file des conservateurs, redoute de mauvais résultats aux élections locales du 2 mai, dernier test électoral avant les élections générales, qui auront probablement lieu cet automne. Alors que les tories accusent 20 points de retard dans les sondages sur les travaillistes, l’Accord R-U - Rwanda est l’une des rares politiques du dirigeant qui, si elle produit l’effet dissuasif escompté, peut jouer dans les urnes en faveur de la droite britannique.
En Irlande, Simon Harris a remplacé Leo Varadkar, démissionnaire, début avril. A 37 ans, cet ex-ministre de la santé n’a que quelques mois pour faire mentir les sondages, qui placent le parti proréunification Sinn Fein en tête, alors que les élections parlementaires irlandaises doivent se tenir au plus tard en février 2025. La migration est par ailleurs devenue un sujet de préoccupation important pour les Irlandais, la coalition de centre droit Fine Gael-Fianna Fail ayant du mal à répondre politiquement et matériellement à l’afflux de demandes d’asile depuis deux ans, dans un pays qui se considérait jusqu’à présent davantage comme une terre d’émigration que d’immigration.
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