• Lettre ouverte à Alain Finkielkraut, par Alain Badiou - Bibliobs - L’Obs
    http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151112.OBS9357/lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut.html

    Lors des discussions, publiques et publiées, que nous avons eues naguère, je vous avais mis en garde contre le glissement progressif de votre position, et singulièrement de votre crispation #identitaire, que je savais être à l’époque sans doute déjà très réactive, mais que je considérais comme loyale et sincère, du côté d’un discours qui deviendrait indiscernable de celui des extrêmes-droite de toujours.

    C’est évidemment le pas que, malgré mes conseils éclairés, vous avez franchi avec le volume « l’Identité malheureuse » et le devenir central, dans votre pensée, du concept proprement néo-nazi d’#Etat_ethnique. Je n’en ai pas été trop surpris, puisque je vous avais averti de ce péril intérieur, mais, croyez-le, j’en ai été chagrin : je pense toujours en effet que n’importe qui, et donc vous aussi, a la capacité de changer, et – soyons un moment platoniciens – de se tourner vers le Bien.

    Mais vous vous êtes irrésistiblement tourné vers le Mal de notre époque : ne savoir opposer à l’universalité, abstraite et abjecte, du marché mondial capitaliste, que le culte, mortifère dès qu’il prétend avoir une valeur politique quelconque, des identités nationales, voire, dans votre cas, « ethniques », ce qui est pire.

    J’ajoute que votre instrumentation sur ce point de « la question juive » est la forme contemporaine de ce qui conduira les Juifs d’Europe au désastre, si du moins ceux qui, heureusement, résistent en nombre à cette tendance réactive ne parviennent pas à l’enrayer. Je veux dire, la bascule du rôle extraordinaire des Juifs dans toutes les formes de l’universalisme (scientifique, politique, artistique, philosophique…) du côté du culte barbare et sans issue autre que meurtrière d’un Etat colonial. Je vous le dis, comme à tous ceux qui participent à ce culte : c’est vous qui, aujourd’hui, par cette brutale métamorphose d’un sujet-support glorieux de l’universalisme en fétichisme nationaliste, organisez, prenant le honteux relais de l’antisémitisme racialiste, une catastrophe identitaire sinistre. 

    Dans le groupe des intellectuels qui vous accompagnent dans cette vilenie anti-juive, on me traite volontiers d’antisémite. Mais je ne fais que tenir et transformer positivement l’universalisme hérité non seulement d’une immense pléiade de penseurs et de créateurs juifs, mais de centaines de milliers de militants communistes juifs venus des milieux ouvriers et populaires. Et si dénoncer le nationalisme et le colonialisme d’un pays déterminé est « antisémite » quand il s’agit d’Israël, quel nom lui donner quand il s’agit, par exemple, de la France, dont j’ai critiqué bien plus radicalement et continûment, y compris aujourd’hui, les politiques, tant coloniales que réactionnaires, que je ne l’ai fait s’agissant de l’Etat d’Israël ? Direz-vous alors, comme faisaient les colons en Algérie dans les années cinquante, que je suis « l’anti-France » ? Il est vrai que vous semblez apprécier le charme des colons, dès qu’ils sont israéliens.

    Vous vous êtes mis vous-même dans une trappe obscure, une sorte d’anti-universalisme borné et dépourvu de tout avenir autre qu’archi-réactionnaire. Et je crois deviner (je me trompe ?) que vous commencez à comprendre que là où vous êtes, ça sent le moisi, et pire encore. Je me dis que si vous tenez tant à ce que je vienne à l’anniversaire de votre émission (à laquelle j’ai participé quatre fois, du temps où vous étiez encore fréquentable, quoique déjà avec quelques précautions), ou que je participe encore à ladite émission, c’est que cela pourrait vous décoller un peu de votre trou. « Si Badiou, le philosophe platonicien et communiste de service, accepte de venir me voir dans la trappe où je suis » - pensez-vous peut-être - « cela me donnera un peu d’air au regard de ceux, dont le nombre grandit, qui m’accusent de coquetterie en direction du Front National. »

  • La lutte antiraciste n’est pas un « privilège blanc »

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/11/13/la-lutte-antiraciste-n-est-pas-un-privilege-blanc_4809274_3232.html?

    Par Alain Gresh

    Dans notre société, on ne devient pas blanc, on naît de cette « couleur », avec tous les privilèges qui y sont attachés. Bien sûr, cette « blanchitude » n’est ni raciale ni génétique. Bien qu’« immigré », parce que né à l’étranger de parents non français, je n’ai, au cours de mes cinquante et quelques années de vie en France, jamais subi un contrôle au faciès, jamais été fouillé au corps, jamais été insulté par un policier. Les deux seules fois où je me suis fait arrêter, ce fut pour des raisons politiques, pour avoir balancé des œufs pourris sur le cortège du président américain Richard Nixon en 1969 et pour avoir occupé l’ambassade du Chili après le coup d’Etat du général Augusto Pinochet en septembre 1973.

  • La construction étatique d’une hiérarchisation « des racismes » | Le blog de Saïd Bouamama
    https://bouamamas.wordpress.com/2015/04/25/la-construction-etatique-dune-hierarchisation-des-racismes

    La réalité étant têtue, il n’est pas possible de nier entièrement les violences faites aux musulmans. Il convient dès lors pour nier le réel de le nommer autrement c’est-à-dire de le réduire à un « racisme anti-Arabe » pour reprendre l’expression du délégué interministériel. Ce réductionnisme est une négation de l’historicité des différentes formes de racisme et en particulier le passage récent d’un marqueur ethnique à un marqueur religieux. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à un transfert de marqueurs. Frantz Fanon a ainsi été un des premiers à alerter sur la mutation du racisme biologique en racisme culturaliste. (9)

    Le réductionnisme au vieil antiracisme anti-Arabe conduit à l’invisibilisation des causes de la montée contemporaine de l’islamophobie :

    1. la justification de guerres pour le pétrole et les matières premières par des arguments culturalistes : droit des femmes, lutte contre l’obscurantisme et/ou le terrorisme ;
    2. les explications tout aussi culturalistes des problèmes politiques et sociaux de la société française en général et de ceux des populations issues de l’immigration en particulier : intégration insuffisante pour les uns et inintégrabilité pour les autres, « incompatibilité de l’Islam et de la république », etc. ;
    3. l’autorisation étatique à l’islamophobie depuis la loi sur le foulard de 2004 et ensuite par les discours sur « la laïcité menacée », « le droit des femmes menacé », « la république menacée », « l’identité nationale menacée », etc.
    4. Il mène également à masquer le processus de construction d’un « ennemi de l’intérieur ». Le vieux racisme anti-Arabe était, en effet, référé à la notion d’étrangers et/ou d’immigrés. Le nouveau racisme englobe désormais la réalité nouvelle que constitue l’existence de français depuis plusieurs générations ayant un marqueur réel ou supposé musulman. Le rêve intégrationniste (c’est-à-dire en fait assimilationniste) posant la disparition de l’altérité ayant échoué, la stigmatisation a besoin d’un nouveau marqueur. Ce marqueur recouvre en effet une partie importante de la population française susceptible de se révolter socialement en raison de leurs conditions d’existences marquées par l’inégalité et les discriminations. Il recouvre également une population caractérisée par une sensibilité exacerbée à la question palestinienne comme l’ont mise en évidence les manifestations massives de l’été 2014 dans lesquelles les jeunes issus de l’immigration étaient de loin majoritaires. Il recouvre enfin une population susceptible par son histoire et sa mémoire d’une prise de conscience plus rapide que d’autres du rôle impérialiste de la France dans le monde.

    #islamophobie #racisme

  • Casablanca construit son rêve de place économique internationale
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/15/casablanca-construit-son-reve-de-place-economique-internationale_4616523_321

    Une urbanisation « à deux vitesses » ?

    Qu’en est-il des près de 500 familles qui vivaient sur une partie du terrain convoité ? « Nous avons trouvé des solutions de relogement. Mais ils pourront revenir s’ils le souhaitent », assure le directeur de l’Auda. Eventualité peu probable tant, à l’instar de ce que le site du Huffington Post au Maghreb dénonce au sujet de la nouvelle marina, les futures constructions proposeront « des prix clairement prohibitifs pour l’écrasante majorité des Casablancais ».

    « Nous assistons à une urbanisation à deux vitesses », dénonce de son côté Karim Rouissi, architecte et activiste, membre du mouvement citoyen Anfass démocratique. « D’un côté, ces projets destinés à une classe aisée et diplômée, confiée à de grandes signatures du monde de l’architecture pour vendre une image de Casa. De l’autre, des logements low cost, standardisés, sous-équipés, sans mixité, placés en périphérie. » Il en serait ainsi des zones d’urbanisation nouvelles de Lahraouine, au sud-est de Casablanca, ou d’Errahma, à l’ouest, construites dans le cadre d’une politique de « débidonvillisation ».

    En 2013, dans un rapport particulièrement musclé, le Conseil économique, social et environnemental marocain avait mis en doute « la pertinence du modèle de développement de l’habitat ». Tout en concédant des « progrès notables » en matière d’accès au logement avec un déficit estimé à « 640 000 unités en 2013 contre 1,2 million dix ans auparavant », il avertit : ces projets d’aménagement urbains périphériques, vers lesquels sont déplacés de façon « massive » des ménages paupérisés « risquent de constituer, dans les années à venir, des foyers grandissants d’insécurité et de tensions sociales. »

    #maroc #casablanca #urbanisation

  • Ibn Taymiyya, mauvais génie des djihadistes ?
    http://orientxxi.info/magazine/ibn-taymiyya-mauvais-genie-des,0872

    Les limites d’une lecture « idéologisante » qui croit trouver dans des textes anciens les racines de phénomènes de violence politique contemporaine sont manifestes. Relations de domination, héritages historiques et coloniaux, répression, occupation militaire, expériences de torture, « bombardements alliés » et parcours individuels de radicalisation apparaissent en effet comme de bien meilleures variables explicatives des accès de violence qui, de Tunis à Alep en passant par Paris, secouent le monde en 2015.

    • Les autres services de renseignement français ont accès en toute discrétion à cette gigantesque base de données, sobrement baptisée « infrastructure de mutualisation ». Il s’agit de la direction du renseignement militaire (DRM), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction centrale de la sécurité intérieure (DCRI), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), de Tracfin et même du petit service de renseignement de la préfecture de police de Paris. (...) officiellement, « l’infrastructure de mutualisation » n’existe pas.

      #métadonnées

  • Les Révélations de la Députée Française Eva Joly | Wanaw Média

    http://www.wanawmedia.com/2015/03/france-afrique-les-revelations-de-la-deputee-francaise-eva-joly

    La France aide à appauvrir le Gabon

    Et si je marrête un instant au Gabon, quest-ce que jy vois? Un pays riche qui exporte plus de treize milliards de dollars de pétrole brut par an et affiche un PIB par habitant largement au-dessus de la moyenne africaine (6 397 $)? Ou un pays pauvre où lespérance de vie est estimée à 55 ans pour les femmes et 53 pour les hommes, ce qui leur laisse un an de moins que les Malgaches nés sur un sol sans pétrole ? Le taux de mortalité infantile est au Gabon particulièrement élevé, le taux de vaccination contre la rougeole est de 40% contre une moyenne de 79% dans les pays en développement.

    Voilà où en est le Gabon, chasse gardée de la France, fournisseur des trésors du pétrole et de l`uranium, fief de Total-Elf, la première capitalisation boursière française.

    Si les habitants de Libreville nont pas bénéficié de la richesse de leur pays, cest parce que la France sest accaparée ses ressources minières, avec la complicité dun Président, enrôlé dès son servicemilitaire par larmée française et ses services secrets, placé à la tête du pays à 32 ans par Paris, il était alors le plus jeune Chef dEtat du monde. La France contrôle son armée, ses élections et protège sa fortune.

    #françafrique #eva_joly

  • Bavures and shibboleths: the changing ecology of culture and language in Morocco
    https://marforioromano.wordpress.com/bavures-and-shibboleths-the-changing-ecology-of-culture-an

    French is, and has remained until today, the language of power, the language of success. Some see this as accidental. Others, like Mohamed Chafik, as something much more fundamental to the architecture of independent Morocco, and as the guiding principle of a deliberately divisive education system: “One is tempted to believe,” he writes, “that [the political architects of Moroccan education] wanted, as in Aldous Huxley’s Brave New World, to create an impoverished Beta class for the masses, and a privileged Alpha class for them and their children.” One doesn’t need to attribute quite such deliberate malice to the framers of Moroccan education policy, but it is all too visible that the Moroccan élite, by and large, continues to send its children to the archipelago of more than 30 French lycées de mission, education at which provides a vertiginous ladder on the snakes-and-ladders board of life. That the minister of education responsible for the accelerated (and, many feel, botched) arabisation of the public system in the 1980s sent his own children to a French lycée de mission is perhaps not insignificant. One researcher, crunching the graduation statistics for these foreign lycées since Independence, shows that 45% of Moroccan graduates from the lycées de mission since 1956 come from 500 families; 34% from 200 families, 27% from 100 families, 21% from 50 families and 15% from 20 families. They are, in other words, to a large extent a support system, and a filter, for the élite. Their graduates move easily into higher education abroad, and attend recruitment fairs in Paris for management jobs in Casablanca. And they prosper.

    Of course this isn’t the whole story, and like the chain of bavures in the Moroccan press, Morocco’s education and language policies can be seen as accidental outcomes of the colonial past, or can be crafted into a hostile narrative, according to one’s polemical stance. But the fact remains that post-colonial Morocco has been joined at the hip with France in a way that seems increasingly strange – and increasingly anachronistic. The weekly news magazine TelQuelrecently ran a long feature examining some of these questions, called France: un ami qui nous veut du bien? Under the subhead Un bulldozer culturel, its authors examine this interplay of culture, education and the francophone élite. They note some of the basic statistics that need to inform any discussion. French cultural spending in Morocco is amongst its highest anywhere in the world (just as its embassy in Rabat is – amazingly – amongst its largest). Each year, some 1,500 Moroccans of the 20,500 inscribed (2014) in the 39 institutions accredited to the French Ministry of Education pass the French baccalaureate, by-passing their own national qualifications system. Encapsulating the negative view, the article quotes leftist academic Youssef Belal as saying, “The French cultural and academic presence in Morocco is encouraged by the Moroccan state’s power centres, and more generally by the economic élite. This presence perpetuates a neo-colonial situation which profits the French state to such an extent that it makes the most strenuous efforts on political and economic levels [to sustain it].”

    There seem to me to be two levels here of interaction. The first is about the way in which this snug relationship benefits élites in both countries; the other about the way in which it distorts Moroccan society. At the binational élite level, it is all too clear (though not my purpose here to explore): French industry has an inside track, French diplomats and politicians – until recently at least – a fairly clear run. Moroccans of a certain class move easily between the educational systems, and the social structures, of the two countries at the highest level. As Maroc Hebdo once put it, “The Moroccan élite only recruits amongst the graduates of the French grandes écoles,” and while this may be an exaggeration, it is not untrue. There are some 30,000 Moroccan students in France, the largest single national group; the thousand or so who make it into the grandes écoles are the cream of the cream. The Moroccan élite of the post-Independence period is francophone, French-educated, and French-orientated; and it is very much in the interests of France to keep it so. A largely shared culture of business, recreation, education and language maintains the intimacy of the colonial period into the post-colonial. Morocco is a jewel in the crown of la francophonie.

    The second level is more interesting, and echoes my point above about the role of language and culture in making and reinforcing distinctions between Moroccans.The modern élite in Morocco is defined by its French-ness, and by its self-conscious distance from other forms of Moroccan-ness.
    Sylvain Beck reckons that “Franco-Moroccan relations should really be seen as purely Moroccan-Moroccan … the French are just intermediaries in these relations.” By this he means that each Francophile cultural choice made by an actual or aspiring member of the Moroccan élite is a deliberate marker of distinction from those Moroccans who don’t, or can’t, make the same choice themselves. The ‘problem’ of France in Morocco is actually the problem of Moroccan society itself, and its costive class structure. Beck calls this “a social elevator running at two speeds, where francophony and francophily become not just cultural capital, but also weapons of domination between Moroccan citizens.”

    It is very noticeable how easily Moroccans can place each other by listening to spoken French: it is replete with social and educational signals and shibboleths, some obvious to a non-francophone foreigner, others quite obscure. This isn’t intrinsically strange – the same is true of Englishmen listening to each other speaking English, after all: but what is really bizarre about it is that this process of class-judgement is done entirely through the medium of a foreign language. Coded in this way it is a way of doing down the Other – a language whose sophisticated deployment is as much designed to exclude as to communicate. And in doing so it delineates a damaging schizophrenia in Moroccan society.

    […]

    A language gambit that is designed to keep people down by marking them as outsiders is bound to create and sustain resentment.
    By taking on this role French becomes associated dangerously closely with an élite that may itself be coming under social and cultural, if not yet perhaps serious political, pressure.

    #morocco #language #maroc