• point sur la situation du mouvement des agriculteurs

    Le mouvement est encore largement dominé par le syndicat majoritaire FNSEA qui a pris le train en marche, les protestations ayant démarré spontanément et pas forcément sous une bannière syndicale. Si cette domination est possible, c’est que les dominés partagent avec ses dominants les mêmes principes de vision du monde. D’un côté l’agriculture a reposé sur un modèle d’organisation familiale et entrepreneuriale, et c’est là aussi la représentation que les non-agriculteurs ont de l’agriculture, expliquant le soutien de la population au mouvement : une agriculture familiale et nourricière, organisée autour de la ferme où habite l’agriculteur au milieu des champs qu’il cultive avec ses tracteurs. C’est ce modèle qui est défendu par les agriculteurs qui manifestent.

    Cependant, les revendications syndicales et plus largement l’ethos professionnel des agriculteurs familiaux-indépendants ont conduit mécaniquement à sa propre disparition. Ce que les agriculteurs d’aujourd’hui subissent - la menace de disparaître par absence de rentabilité - les fermes d’hier aujourd’hui disparues l’ont subi de la même façon depuis 1945. On peut juger les revendications de la FNSEA bêtement productiviste, et même carrément viriliste : oui à la compétition économique pourvu qu’on en soit les gagnants. Et quand on échoue dans cette compétition, c’est que c’est qu’elle est « déloyale ». On revendique une sorte de « souveraineté » dans le choix de continuer à produire en France certaines denrées, ce serait donc ok pour fermer les frontières... mais seulement dans un seule sens. Le libre échange oui mais seulement quand ça arrange.

    En face, on entend un autre son de cloche émanant de la Confédération paysanne tentant de recentrer le débat sur les revenus et les prix, et souhaitant remettre en cause le « libre-échange », c’est-à-dire en fait les échanges marchands entre le territoire national et l’extérieur. Cela suppose que c’est ok pour une concurrence libre à l’intérieur du territoire national, celle qui a justement conduit à la diminution du nombre d’agriculteurs à l’après-guerre (ceux qui n’ont pas pris le train en marche de la mécanisation, des engrais, de l’endettement bancaire).

    Autre problème : les rendements agricoles étant bouleversés et incertains du fait de l’instabilité climatique, on peut anticiper que bien des régions dans le monde ne pourront pas se nourrir d’elles-mêmes via les territoires qui l’entourent immédiatement. Certains territoires vont produire plus tendanciellement, du fait du réchauffement climatique, d’autres moins. La difficulté à anticiper cela conjuguée à des déséquilibres de productions entre territoires devrait inciter à imaginer que les produits agricoles doivent continuer à circuler entre territoires et parcourir de grandes distances. Le problème est que cette « solidarité » entre territoires et régions du monde éloignées n’est amenée que par la bande, comme effet de bord des échanges marchands et des intérêts géopolitiques. C’est selon des intérêts économiques et politiques bien compris que les gens sont nourris sur cette planète, et non par des activités simplement nourricières.

    Dès lors, on peut se demander comment on peut relever les revenus des agriculteurs autrement qu’en abaissant leurs charges, selon une pure logique concurrentielle marchande. Les fameuses « normes » sensées introduire d’autres critères que la rentabilité pour décider quoi produire sont forcément difficiles à tenir dans la durée. Les « normes » qui sont tenables sont celles qui accroissent la rentabilité et éliminent les fermes les moins performantes. Les normes difficiles à imposer sont celles qui pour être tenables devraient être installées pour tous les concurrents, à l’échelle mondiale. Ce qui est impossible. La situation est donc inextricable, puisqu’il s’agit de faire une chose et son contraire. Maintenir la nature marchande de l’activité agricole, tout en lui ajoutant d’autres critères qui handicapent sa rentabilité, donc qui menace l’existence même de la production alimentaire ! Alors que la production et ses intrants dépend des échanges internationaux (matières premières, machines et matériels, etc), il sera compliqué de fermer l’importation pour telle production sans qu’en retour il y ait une sanction qui fera monter les prix d’un intrant dont on ne peut se passer, et qui n’est pas produit sur place.

    Autre difficulté : quand bien même les agriculteurs verraient leurs revenus augmenter, cela signifie que les non-agriculteurs - dont beaucoup vivent de l’aide alimentaire - auraient eux aussi besoin d’avoir plus d’argent, pour acheter des denrées plus chères, surtout si elles ont demandé plus de travail pour aboutir à une qualité supérieure ou des « services » environnementaux jugés bénéfiques pour tout le monde.

    On touche ici le problème de fond qui est qu’il faudrait donner de l’argent à tout le monde pour faire durer un système marchand à bout de souffle, puisque les producteurs ont besoin de subvention pour produire et les consommateurs d’argent supplémentaire -non issu du travail- pour consommer, sans compter la partie de la l’alimentation qui est donnée par l’aide alimentaire (et de basse qualité car sous-produit de l’industrie agro-alimentaire). Combien de temps encore à discuter et se prendre la tête pour maintenir les apparences d’un système marchand harmonieux ?

    A cela, la proposition de sécurité sociale alimentaire entend répondre. Mais d’une part elle est encore peu audible politiquement. D’autre part, elle est complexe à expliquer et à mettre en œuvre dans un horizon politique peu favorable à la création de mécanismes de solidarité supplémentaires basée sur l’économie (en l’occurrence basée sur des cotisations sociales supplémentaires). Le climat politique est en effet celui de raidissements identitaires, on le sait bien, mais sur le plan économique cela se traduit aussi par un détricotage de l’Etat social, les gouvernements de droite et d’extrême-droite préférant générer des augmentations de salaire par ce biais, plutôt que défendant des augmentations de cotisations sociales (salaires indirects).

    La suite du mouvement dépendra des opportunités qui se présenteront de se désolidariser des discours syndicaux par trop simplistes ou simplement corporatistes. Le problème des agriculteurs ne peut pas être résolu sans résoudre le problème des non-agriculteurs. A la fois ces problèmes sont pleinement exprimés quand ils le sont dans un langage économique - et il faut donc regarder cette réalité en face et globalement. De l’autre, leur résolution ne pourra pas se faire sur un plan économique.

    Le concept de « concurrence déloyale » par exemple est une notion reprise partout qui doit être interrogée, tant elle suppose une vision hallucinée d’une économie où la concurrence pourrait être maîtrisée, acceptable et désirable dans ses résultats concrets. Ce concept suppose que l’on peut conserver une organisation sociale identique dans ses fondements, et qu’en bricolant quelques paramètres on arrive à corriger les lourdes tendances pourtant observées : le moins-disant dans la production marchande est la norme, produire de façon dégueulasse et dans la souffrance est la norme, car tous les autres critères passeront toujours en dernier. Mais cette production est quand même acceptable socialement car elle est « bon marché » et en cela elle rend le service que l’on attend fondamentalement d’elle. Pour sortir de l’aporie de la production marchande injustement bon marché, il faut sortir de l’économie.

    Autres billets liés à ce sujet :
    https://seenthis.net/messages/1022015
    https://seenthis.net/messages/1008371

    #agriculture

  • Abstraction et inégalités sociales (sept 2017)

    Qu’est-ce que l’abstraction en économie ?

    L’abstraction est dans la notion de travail elle-même, qui suppose l’échange. N’importe quelle activité est rapportée à un étalon, qui permet de convenir d’un échange : mon heure de travail en tant qu’ingénieur, ça vaut 4 heures de travail de ton travail, toi qui cultive la terre.

    L’économie ne génère donc pas seulement des inégalités, mais l’acceptation sociale de ces inégalités.

    Certains travaux valent plus que d’autres, mais l’abstraction de l’échange le masque car ce ne sont pas des travaux que l’on échange, mais de l’argent contre des marchandises. Si je paie 12 euros ton panier de légumes qu’il te faut une heure pour produire, tu ne sais pas que moi, j’ai mis 15 minutes pour obtenir ces 12 euros. Peu importe en fait, puisque l’économie, c’est de l’échange donnant-donnant avec de l’argent. Chaque fois qu’on achète un truc, on croit jouer à la marchande, alors qu’on réactualise les classes sociales. Et même bien souvent : c’est l’acheteur qui prétendument « aide » le vendeur… L’économie n’est pas qu’une réalité inventée, mais une réalité inversée. Une vassalisation du monde social déguisée en fluidité des échanges.

    Critiquer l’abstraction économique, ce n’est donc pas juste critiquer le non-sens des activités qu’on mène pour de l’argent (comme le font les tenants de la nouvelle droite, pour mieux fantasmer un retour aux « métiers » qui ont du sens). L’abstraction économique fait qu’à la fois l’économie nous échappe politiquement, autant qu’elle maintient une stratification sociale.

    Évidemment la solution n’est pas de donner la même valeur à l’heure de travail de chacun, et de continuer à échanger. C’est une solution irréaliste car quand nous aurons la main politiquement sur l’économie pour organiser les choses ainsi, nous n’aurons plus besoin de l’économie pour définir une organisation matérielle décente.

    #inégalités-sociales #classes-sociales #post-capitalisme #monnaie #post-monétaire

  • Peut-on donner contre rien ?

    Question du jour : Est-ce que c’est la monnaie et l’échange qui sont premiers, ou bien l’état de séparation des « producteurs privés » (dans le jargon marxien) ?

    Pour le reformuler autrement, est-ce que la monnaie est structurellement nécessaire parce que les gens sont socialement « séparés » (et qu’est-ce que ça veut dire dans ce cas, cette « séparation » ?) ou bien au contraire la monnaie est nécessaire parce qu’anthropologiquement/culturellement les gens ne peuvent en général pas donner à autrui leur production contre rien ?

    Il est pourtant nécessaire d’y réfléchir, et de remettre en cause radicalement l’échange. Pourquoi ? Parce que l’échange implique la valeur (économique), et la valeur implique la dynamique de recherche de productivité sans fin incontrôlable et mortifère. Plutôt que contrer un à un les effets concrets délétères de cette dynamique (en vrac, intelligence artificielle, épuisements des ressources, pollutions, inégalités etc.), il est plus pertinent de remettre en cause les catégories sociales humaines mais naturalisées ("fétichisées" dans le jargon marxien) qui la rendent possible, puisque in fine ce sont bien les humains qui l’activent. Ces catégories sont fondamentales et premières par rapport au déferlement technologique sans fin : ce sont les humains qui « inventent » les technologies mais ce sont les crises émanant des catégories propres aux sociétés marchandes qui stimulent, rendent possibles puis obligatoires ces inventions, pour surmonter ces crises tout en conservant intactes les catégories marchandes du monde social, axiomes du lien social et des institutions. L’adoption de nouvelles technologies par les sociétés marchandes n’est donc pas le produit automatique d’un déterminisme technique, pas plus que le fruit d’une élaboration stratégique des classes dominantes pour conserver leur position dominante. Elle est d’abord déterminée par une forme de société qui organise sa reproduction sur la base de la production marchande et doit donc impérativement répondre à ses nécessités.

    Esquissons un début de réponse à la question de départ.

    La question est de savoir si cette production marchande est déterminée par un état social particulier appelé « séparation », et qui est paradoxalement défini par une absence de relations sociales en son sein, ou bien plutôt par une « disposition » anthropologique à échanger plutôt qu’à donner contre rien.

    Dans les théories d’inspiration marxienne, la séparation des producteurs privés semble première, et constitutive des rapports marchands et donc de la société marchande.

    Pour ce faire, commençons par remarquer à quel point le rapport marchand est une relation sociale paradoxale. Est-il même justifié d’utiliser le terme de « relation » pour désigner un face-à-face dominé par l’extrême indépendance des protagonistes les uns à l’égard des autres ? Il semble, tout au contraire, que c’est l’absence de liens qui caractérise le mieux cette configuration sociale dans laquelle on ne connaît ni dépendance personnelle, ni engagement collectif qui viendraient restreindre l’autonomie des choix individuels.
    André Orléan, "Monnaie, séparation marchande et rapport salarial", p.8
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    Si la séparation est première, c’est-à-dire si le fait premier est l’absence de relation entre des gens pourtant interdépendants matériellement, alors l’échange apparaît comme une conséquence logique pour assurer le lien marchand. La monnaie dérive de cet état primordial de séparation, où chaque individu est coupé de ses moyens d’existence. Seule la puissance de la valeur, investie dans l’objet monétaire, permet l’existence d’une vie sociale sous de tels auspices. Elle réunit des individus séparés en leur construisant un horizon commun, le désir de monnaie, et un langage commun, celui des comptes. Ce qui est objectif, qui s’impose aux agents, ce sont les mouvements monétaires.

    Pourtant, on peut remarquer que cet état de séparation marchande n’enlève pas la possibilité des producteurs/travailleurs de se coordonner directement, sans la médiation monétaire. Il suffit de penser à une grande entreprise organisée en plusieurs services et unités de production, travaillant ensemble sans échanger entre eux de la monnaie. Ce fait évident incite à penser que l’on pourrait supprimer la monnaie, tout en maintenant une forte division du travail, dans des organisations vastes et complexes. C’est le cas dans une proposition du groupe économie du réseau salariat, laquelle fait disparaître la monnaie dans les productions « intermédiaires » :

    Nous comprenons que l’absence de flux monétaires entre les unités de production puisse tout d’abord surprendre, mais nous observons que le capital a malgré lui produit une socialisation de la production que nous jugeons propice au basculement vers notre modèle. En effet, une part considérable de la production s’effectue désormais dans des entreprises de très grandes tailles. Ces entreprises sont organisées en ateliers ou départements de production, lesquels effectuent leurs échanges sans flux monétaires, mais produisent le
    suivi comptable nécessaire à la gestion de l’ensemble. Notre modèle se présente comme une issue positive à ce mouvement de socialisation. Il nous engage au dépassement de la concurrence économique afin de gérer collectivement et démocratiquement l’ensemble de la production.
    « Une monnaie communiste », X. Morin, groupe Economie du réseau salariat
    https://www.reseau-salariat.info/images/article_une_monnaie_communiste_.pdf

    Cependant, si une telle coordination peut en être vue comme volontaire, non déterminée par l’échange et la monnaie entre les protagonistes agissant de concert pour produire en commun, elle n’en reste pas moins rendue possible par le fait que chacun des producteurs reçoit une rémunération.

    Cela signifie que, dans une société marchande, un travailleur peut dors et déjà se coordonner avec un autre travailleur de façon non-marchande, mais que la bonne volonté de chaque travailleur n’est possible que grâce à une contrepartie monétaire, en échange de cette bonne volonté. Pour supprimer complètement la monnaie du tableau, il faut donc imaginer que chaque travailleur s’active sans contrepartie.

    Il s’ensuit que la séparation marchande n’est pas le fait premier, ou la catégorie première, fondant les sociétés marchandes. Le point de départ du raisonnement sur les catégories marchandes devrait donc plutôt s’intéresser à l’incapacité de l’individu, dans le régime des sociétés marchandes, de donner contre rien. Le don doit être compris ici comme un transfert simple, sans contre-partie, sans contre-transfert, au contraire de l’échange qui se compose obligatoirement d’un transfert et d’un contre-transfert exigible (Alain Testart, Critique du don http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/sde-n2.pdf).

    Bien-sûr, le don n’est pas absent des sociétés marchandes passées et présentes, mais il est soit restreint à un espace social limité d’interconnaissance (famille, communauté, petit groupe), soit conditionné par une rémunération, quand bien même cette rémunération peut être décorrélée de cette impulsion à donner (pensons aux retraités bénévoles).

    La grande affaire d’une société post-marchande - débarrassée en cela de la pulsion à produire n’importe quoi n’importe comment de plus en plus vite - n’est donc pas d’imaginer des modes de coordination se passant de monnaie, prenant appui sur la sophistication des moyens techniques issus de deux siècles d’industrialisation. Mais plutôt de nous représenter comme des individus se rendant des services les uns aux autres au quotidien, sans qu’une contrepartie ne viennent les assurer d’une récompense pour leurs efforts quand un service est rendu ou une production donnée à autrui, contrepartie qui leur donne un droit de tirage spécial (ne serait-ce que supplémentaire, par rapport à l’absence d’effort, comme dans les propositions de revenus de base) sur le produit des autres qui font de même, droit qu’ils n’auraient pas obtenu sans cet effort.

    #monnaie #séparation #séparation-marchande #critique-de-la-valeur #post-monétaire #technocritique

    • La monnaie permet surtout beaucoup plus d’échanges (je ne dis pas que c’est bien) que le troc.

      Si je dois attendre de trouver une personne qui a ce dont j’ai besoin, et qui a envie de quelque chose dont je dispose, pour me procurer des biens/services ... cela va me prendre un temps infini.

      Un « droit de tirage spécial » cela ressemble pas mal à de la monnaie ... qui porterait simplement un autre nom.

      On peut essayer de supprimer les échanges.
      Ce qui m’ennuie c’est qu’on passe vite à une société très administrée. Et ceux qui contrôlent le sommet de l’administration, ont rapidement beaucoup de pouvoir sur les autres ... Ca peut mal se terminer…

      C’est pour ces raisons que je reste favorable à une société marchande.
      Mais je la voudrais considérablement redistributrice, politiquement très démocratique (quotas d’élus des différentes catégories sociales pour qu’ils représentent vraiment la société) et très réglementée (pour les enjeux de lutte contre le dérèglement climatique).

      Cette position me rend très probablement minoritaire ici. ;-)

    • Alors, montons d’un cran en généralité, et parlons de « circulation » (des biens et des services) :
      – la monnaie permet plus de circulation que le troc, oui.
      – mais, dans un monde post-monétaire, l’ accès (je produis des choses, je les mets à disposition des gens qui en ont besoin) permet plus de circulation que l’échange monétaire !

      Qu’est-ce qui aurait besoin de plus circuler aujourd’hui dans la société ? Toutes les actions qui ne sont pas rentables, et spécialement celles qui ne sont pas mécanisables, ou celles qu’il faudrait moins mécaniser (pour décroître la consommation d’énergie par exemple).
      L’usage de monnaie augmente la mécanisation et diminue la valeur de ce qui n’est pas mécanisé.
      https://seenthis.net/messages/989122

  • A propos de la famine actuelle en Afghanistan

    Une famine aux causes multiples mais en dernier ressort c’est l’aide alimentaire qui est volontairement diminuée par les pays donataires en raison du régime taliban et du sort réservé aux femmes - on peut douter que la situation des femmes en soit amélioré par de telles mesures. Le programme alimentaire mondial (PAM) a ainsi été contraint de couper totalement les vivres en 2023 à 10 millions de personnes, avec une baisse de 66% des aides en octobre 2023

    (décembre 2023)

    Un porte-parole du gouvernement taliban rejette toute responsabilité : quand la journaliste de la BBC l’interroge, ce principal porte-parole des talibans affirme que l’aide internationale s’est réduite à cause du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, mais il nie tout besoin de réforme face à des donateurs qui refusent de donner de l’argent à un pays où les droits des femmes sont bafoués. « Les Afghans ont déjà fait de grands sacrifices dans le passé pour protéger nos valeurs », a-t-il déclaré à la BBC. La journaliste pense que ces paroles « n’apporteront pas de réconfort à beaucoup d’Afghans ». Près de 90 % des Afghans n’ont pas assez à manger, indique la radiotélévision publique britannique. Les deux tiers des habitants du pays ne savent pas de quoi sera fait leur prochain repas. Ou même s’il y en aura : un tiers des enfants en Afghanistan, soit 8 millions d’enfants, commenceront l’année 2024 sur un niveau de faim critique, (...)

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-19-decembre-2023-229

    (sept 2023)

    https://fr.wfp.org/stories/we-eat-less-sometimes-not-all-cuts-food-relief-deepen-hunger-afghanistan

    (juil 2023) Famine en Afghanistan : les talibans seuls responsables ? par l’ONG United Against Inhumanity

    Cette situation cruelle est en partie causée par un gouvernement irresponsable et corrompu, par la marginalisation des femmes dans l’espace public et par l’incapacité du pays à gérer ses propres ressources, déjà amoindries. Il faut également souligner qu’avant même le retour des talibans au pouvoir en août 2021, le budget afghan était largement soutenu par des fonds étrangers (venus des pays de la coalition sous l’égide de l’OTAN) ‒ une aide désormais indisponible. On constate en outre une baisse de la coopération, qu’elle soit bilatérale ou par le biais des Nations unies et des ONG : à l’heure actuelle, moins de 15 % des appels de fonds lancés par l’ONU pour 2023 ont été approvisionnés.

    Cette ONG point aussi le rôle du gel de l’argent afghan placé dans des pays occidentaux qui ont envahi l’Afghanistan il y a 22 ans :

    Il existe cependant un troisième facteur dont on parle peu : le gel des réserves souveraines par les États-Unis et leurs alliés, facteur déterminant dans l’effondrement de l’économie et du secteur bancaire du pays. Plus de neuf milliards de dollars placés à l’étranger par la banque centrale afghane (Da Afghanistan Bank) sont bloqués par la Réserve fédérale américaine et dans des banques européennes. Or il ne s’agit pas de l’argent du gouvernement, mais bien de celui des citoyens afghans. Cet argent contribuait à la stabilité de la monnaie nationale et rendait possible le commerce avec d’autres pays, ce qui est de fait aujourd’hui impossible. Un autre des effets de ce gel des avoirs s’illustre par une diminution radicale du nombre de billets de banque en circulation. Lorsqu’ils sont trop détériorés, ils ne peuvent même plus être remplacés.
    (...)
    Ces dernières années, seules quelques voix se sont élevées pour dénoncer cette « guerre économique » et ce qui pourrait s’apparenter à une vengeance cruelle de l’Occident après la perte de la guerre d’Afghanistan. Sept milliards de dollars sont détenus par les États-Unis et le reste par des banques européennes. Ces pays, dont les armées possèdent les technologies les plus avancées au monde, ont vu leurs analystes, espions et soldats perdre la guerre contre des combattants en sandales équipés de simples Kalachnikovs.
    (...)
    Irait-on jusqu’à affirmer que l’extrême radicalisation de l’émirat taliban est également le fait de cet état d’injustice manifeste ? Lorsqu’un chat est acculé et craint pour sa vie, il feule, crache et l’on peine à retrouver le compagnon apprivoisé qu’il était. Que ce lien de cause à effet soit avéré ou non, il n’en reste pas moins que l’injustice est réelle et que la population afghane ‒ ces enfants, hommes et femmes, jeunes ou âgés que nous prétendons défendre depuis plus de vingt ans ‒ en paie le prix.

    https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2023/08/16/famine-en-afghanistan-les-talibans-seuls-responsables

    (mai 2022)

    La fabrique d’une famine

    Dans ce pays de 650.000 kilomètres carrés, seuls 12% des terres sont considérées comme cultivables (contre 60% en France) et sont très dépendantes de la pluviométrie et d’un complexe système d’irrigation que la réforme agraire avortée de 1978, alors menée par le nouveau régime communiste, déstructurera en partie. Puis, pendant l’occupation soviétique, la destruction d’installations agricoles participa de stratégies, parfois volontaires, destinées à vider de leurs populations des poches de résistance.

    En parallèle se mettent en place deux autres phénomènes qui viennent aggraver encore l’équation de la faim : les mouvements massifs de déplacés forcés fuyant les campagnes pour gagner les habitats miséreux de la périphérie des villes, et une augmentation constante des surfaces agricoles consacrées à la culture du pavot.

    Le développement rapide de l’éphédra ("oman" dans la langue locale), qui permet de produire des méthamphétamines de faible qualité, contribue à renforcer le statut de narcoétat de l’Afghanistan, dans une logique qui relève, de la part des producteurs, d’un processus adaptatif de survie. Les avances financières qui leur sont concédées par les trafiquants ("salaam") pour payer des intrants devenus nécessaires à la production de drogue les piègent dans un modèle économique classique de l’agriculture d’exportation.

    Deux chiffres rendent compte de ces phénomènes depuis l’entrée de la coalition en 2001 et la chute du premier régime taliban : en vingt ans, le pays n’aura pas connu une année durant laquelle le flux de personnes déracinées sera tombé en dessous de 150.000 par an, avec deux pics à plus d’un million en 2001 et 2014 ; dans le même temps, les surfaces consacrées à la culture du pavot ont triplé, stimulées par une meilleure rentabilité financière pour les agriculteurs, et par les besoins d’achat d’armement des talibans.

    La meilleure résistance du pavot au réchauffement climatique, comparé à d’autres productions de l’agriculture vivrière, est venue encore renforcer la progression des surfaces plantées. La situation ne serait pas aussi dramatique si tous ces mécanismes qui précèdent ne s’étaient ajoutés à une progression démographique qui confère à l’Afghanistan le record mondial en la matière, avec un taux annuel de 6%. Depuis 2001, la population du pays est ainsi passée de 18 à 38 millions d’habitants, avec un taux d’urbanisation aujourd’hui estimé à 30%.

    Les talibans sont ainsi aujourd’hui aux commandes d’un pays qui a profondément changé depuis leur première prise de pouvoir en 1996. L’ensemble de ces réalités convergent pour créer les conditions d’une fatale équation alimentaire auquel le nouveau régime de l’émirat islamique est confronté, sans ignorer pour autant la part de responsabilité de ses dirigeants dans une partie des mécanismes décrits. Pour y faire face, les caisses de l’État sont vides et le système de santé est exsangue.

    Entre cynisme et amnésie

    Dans un scandaleux exercice d’amnésie collective, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, comme les autres pays les plus riches parmi ceux qui composent l’Assemblée générale des Nations unies, rechignent à contribuer en urgence à l’appel de fonds de 4,4 milliards de dollars lancé par le sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths et relayé par le secrétaire général Antonio Guterres.

    Tous sont oublieux de l’histoire, oublieux des accords de Doha qui avaient volontairement tenu à l’écart des négociations aussi bien le gouvernement afghan d’Achraf Ghani que les alliés de la coalition internationale. Prenant ainsi acte de l’alternance politique annoncée, et faisant aujourd’hui semblant de s’offusquer de l’arrivée au pouvoir des talibans… Oublieux, chemin faisant, du « Grand jeu » dans lequel les uns et les autres ont continué d’inscrire la population civile, dans des enjeux qui la dépassent totalement.

    En décembre 2021, après d’âpres négociations, le Conseil de sécurité a finalement voté une résolution qui, pour un an, permet la mise en œuvre d’une aide humanitaire qui peut se déployer, sous conditions, sans que ne puisse lui être opposé le régime de sanctions qui frappe les nouvelles autorités afghanes. Si la Chine et la Russie ont pesé de tout leur poids pour aboutir à cette décision politique, les deux pays ne se sont pour autant pas engagés sur les aspects des financements de cette résolution 2615, finalement votée à l’unanimité du Conseil de sécurité.

    Ces atermoiements traduisent une nouvelle fois l’impérative nécessité de refonder le modèle de financement de l’aide humanitaire. Tel qu’elle est organisée aujourd’hui, cette aide est insuffisante en volume, et trop dépendante du jeu complexe des relations entre grandes puissances. Mais en attendant, il faut rapidement obtenir ces financements et les mettre à disposition des organisations en mesure de les déployer. En Afghanistan, le sort de 22 millions de personnes en dépend.

    https://www.lejdd.fr/International/famine-en-afghanistan-pourquoi-est-il-necessaire-de-reformer-laide-humanitaire

    #famine #agriculture #aide-alimentaire #Afghanistan #monnaie

  • (J’ai lu pour vous...)

    Une agriculture sans agriculteurs, François Purseigle et Bertrand Hervieu (2023)

    A la réflexion, le titre est un peu étrange, il pourrait laisser penser qu’il s’agit de dépeindre une évolution allant vers une agriculture entièrement robotisée. En fait ce n’est pas tellement le sujet. Le livre traite de l’évolution de l’organisation sociale du travail agricole, mais sans vraiment s’attarder sur les techniques vers plus de mécanisation - ce fait est sous-entendu, avec simplement une note de bas de page vers le livre Reprendre la terres aux machines de l’Atelier paysan (p. 112) comme étant le fait d’agriculteurs résistant à cette tendance.

    Le livre aurait pu avoir comme titre, « la fin prochaine de l’agriculture familiale » ou plutôt « la fin de l’agriculteur qui fait tout », puisqu’il s’agit essentiellement de montrer que notre vision de l’organisation du travail agricole présent est déjà erronée et en décalage avec la réalité.

    Il y a bien eu un modèle de l’organisation du travail agricole, sur lequel l’industrialisation de l’agriculture s’est appuyée après 1945 : la ferme à 2 UTH, l’agriculteur et sa conjointe, un agriculteur locataire ou propriétaire de ses terres, qui cultive lui-même ces terres, avec ses outils et machines et qui habite sur place, avec un statut de travailleur indépendant. Aujourd’hui en France ce modèle ne concerne 37% des exploitations agricoles et 40% de la production agricole.

    Je résume le 2ème chapitre intitulé « Des entreprises éclatées ».

    A la place on a ce qu’on peut appeler une agriculture de firme, et en fait une organisation qui ressemble à celle des autres secteurs de productions industrielles, c’est-à-dire recourant à de la sous-traitance, faisant appel à des services extérieurs pour déléguer le travail agricole, et avec des montages juridiques plus complexes, et recourant à du salariat.

    « La ferme, entité juridique unipersonnelle rassemblant capitaux et conduite de l’activité, fait place à un enchevêtrement de sociétés dont les membres, souvent encore issus d’une même parentèle mais d’horizons désormais différents, possèdent des parts dans des proportions variables et n’entretiennent avec l’activité de production que des liens d’intérêt exclusivement financier. La dissociation des sphères de gestion est si affirmée que le travail lui-même peut être délégué ou sous-traité. C’est ce que nous avons appelé le processus d’abstraction du travail agricole. »

    On assiste donc à une délégation du travail agricole, à différentes échelles, là où ce qu’on appelait « l’agriculteur » faisait tout lui-même.

    Le principal moteur de cette tendance à la délégation du travail agricole ? La dégradation du taux de renouvellement des générations, combinée à la concentration croissante des structures (p. 116).

    On peut même avoir des tâches agricoles entièrement déléguées, avec un « chef de culture », salarié d’une ETA (entreprise de travaux agricoles) ou d’une CUMA (coopérative d’utilisation du matériel agricole), gérant ce qu’on appelle le « chantier complet » ou de « A à Z ».
    Ou même encore une délégation intégrale des travaux agricoles comprenant, en plus de cela, la gestion économique et administrative de l’exploitation. Une CUMA dite intégrale peut ainsi mutualiser du matériel et de la main-d’oeuvre, mais aussi le foncier de plusieurs exploitants pour définir un assolement commun. Le chef de culture peut faire ses choix seul ou conjointement avec les exploitants. Le chef de culture (ou land manager) supervise les chantiers, en faisant lui-même appel à d’autres entreprises, le semis étant réalisée par l’une, les traitements phytosanitaires, l’irrigation et la moisson par d’autres. Là dedans, ce qu’on appelle des « agriculteurs » encore considérés juridiquement comme exploitants peuvent être mobilisés à la marge pour quelques opérations.

    Citation d’un exploitant et également gérant d’une ETA :

    "Il y a beaucoup d’agriculteurs aujourd’hui qui font faire les travaux de A à Z parce que vous, vous héritez d’une propriété de votre père, vous avez un métier à côté, vous n’avez pas la connaissance, vous ne voulez pas vous embêter à ça et vous n’avez pas envie de laisser le foncier, vous avez envie de gagner un peu d’argent (...). Vous allez voir une ETA qui vous fait tout de A à Z et qui va vous dire à 350 € l’hectare, je vous fais tout, du labour à la récolte. Ne vous embêtez pas. Vous choisissez quelqu’un avec qui vous avez confiance, qui fait le travail comme il faut en lui faisant un contrat, le type, il vous fait tout.

    Moi j’ai des gens, je leur fais la moisson depuis quelques années, ils arrivent à la retraite dans deux ans. Ils ont 130 hectares. ils ont deux fils, un qui est prof à Toulouse et l’autre, médecin à Montpellier. Tous les deux, c’est un patrimoine de famille, ils n’ont pas envie de laisser la terre et ils m’ont demandé de venir les voir l’autre jour, de discuter avec eux : « Je vous le prends en fermage, je vous travaille tout et je vous paye en fermage ? ». Tous les deux m’ont dit : « Non. On voudrait rester, mais on n’a pas envie de s’emmerder avec ça, on n’y connaît rien. On voudrait que tu nous fasses une prestation complète de A à Z, que tu nous fasses l’assolement, que tu nous fasses tout » Le fermage fait peur aujourd’hui. Eux ils veulent rester maîtres de leur terre."

    En 2016, 7% des exploitations sont ainsi intégralement déléguées, et particulièrement (jusqu’à 18%) dans les régions Midi-Pyrénées, Aquitaine, Poitou-Charentes, Centre, Bretagne, Basse-Normandie et Champagne-Ardenne.

    Le numérique participe de cette tertiarisation de la production agricole, au travers de plateformes d’intermédiation des échanges (il en existe entre 100 et 200 en France). Les prestataires s’inscrivent sur le site en indiquant leurs offres (outils, prix, disponibilités) tandis que les agriculteurs à la recherche d’un prestataire indiquent les caractéristiques du travail à réaliser. Il peut même y avoir des facilités de paiement en lissant les versements sur l’année.

    Les grandes entreprises agricoles en 2010 représentaient déjà 30% du produit agricole. Ses caractéristiques :
    – Un empilement de structures juridiques correspondant à des entités productives et à une multiplicité de sphères de prise de décision ayant chacune leurs finalités propres
    – Un niveau élevé d’investissement financier et technologique
    – Une mobilisation conséquente de ressources matérielles et immatérielles d’origine non agricole
    – Une distanciation de la relation famille/entreprise agricole, avec le recours à des capitaux externes, au salariat et à la délégation d’activités
    – Un développement de logiques financières et de gestion patrimoniale avec l’implication de nouveaux acteurs (société d’investissement, grande familles d’entrepreneurs, industriels, etc).
    – Une multi-localisation de l’activité, avec un degré souvent faible de relation au territoire
    Tout cela renvoie à une rationalisation de la production et du travail, ordonnée à un objectif de production de masse à bon marché.

    Le 3è chapitre est plus centré sur les différentes organisations et institutions agricoles, la représentation encore importante mais déclinante des agriculteurs dans la société française, tous ces éléments restant basés sur l’ancien modèle de l’agriculture familiale, donc une représentation erronée. Le sous-titre du livre étant « la révolution indicible », les auteurs cherchent à faire reconnaître cette réalité actuelle aujourd’hui impensée. Il y a finalement une panne de projet collectif autour de l’agriculture :

    « Face à une réussite dans précédent mais désormais inopérante pour l’avenir, les agriculteurs se trouvent en panne de projet collectif, comme si le projet propre à la seconde moitié du XXè siècle était indépassable. Ils semblent prisonniers de leur réussite, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour un milieu qui a tant souhaité, par l’entrée dans la modernité, se libérer des carcans matériels et culturels hérités du passé ». (p. 191)

    Mon commentaire : Ce qui m’a intéressé dans ce livre était de comprendre comment l’agriculture évolue dès à présent, sous la contrainte des très nombreuses fermes qui ne sont pas reprises par d’autres jeunes, pour différentes raisons. Finalement, il s’opère un changement de l’organisation du travail agricole, avec des héritiers d’anciennes familles agricoles conservant la propriété des terres : les fermes ne sont pas tant « reprises », j’imagine, que séparés en différents éléments. La poursuite de l’industrialisation est en train de balayer le modèle familial de l’agriculteur et son statut de travailleur indépendant.
    Ironiquement, on observe aussi la tendance paradoxale du capitalisme à une mise en commun et à une coopération plus grande qu’au stade précédent (tout en restant dans un paradigme global concurrentiel). Tandis qu’à l’inverse, les alternatives à cette tendance (micro-fermes, permaculture, etc) montrent souvent des projets où c’est une personne seule qui s’installe comme agriculteur, et qui saurait tout et saurait tout faire... jusqu’à ses propres machines. Le degré de mutualisation est donc paradoxalement bien plus faible dans les contre-modèles à cette agriculture de firme, contre lesquels on tente de résister.

    #agriculture #capitalisme

  • Règlement Reach : la Commission européenne reporte sine die son plan d’interdiction des produits chimiques dangereux

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/17/la-commission-europeenne-s-apprete-a-renoncer-a-son-plan-d-interdiction-des-

    Faut-il continuer à échouer ad vitam æternam à encadrer la production industrielle après-coup, alors qu’elle est décidée en amont par un petit nombre d’acteurs ?

    Ou bien faut-il plutôt chercher à changer les règles de prise de décision en matière de production ?

    Il ne s’agit pas seulement d’être plus nombreux à décider quoi produire et comment, il faut aussi que la décision de produire ne soit pas adossée à la monnaie capitaliste.
    En effet actuellement ceux qui décident la production sont ceux qui ont accès à la création monétaire (l’investissement permis par le crédit, une avance de monnaie à rembourser plus tard). Ils ont ainsi le pouvoir de faire faire aux autres ce qu’ils ont décidé de produire.

    Mais alors la production toute entière est néanmoins soumise à l’impératif prioritaire de gagner plus d’argent qu’au départ, et c’est pourquoi la production ne répond pas aux besoins, ou bien le fait en générant des nuisances, détruisant les ressources, etc.

    Sans la perspective d’une autre organisation sociale de la production, avec de nouvelles règles, la lutte contre les pollutions n’est-elle pas perdue d’avance ?

    #pollutions #post-monétaire

    • Au total, selon la sévérité des mesures de retrait envisagées, l’étude en question estimait que la traduction économique des bénéfices attendus pour la population européenne se situait entre 11 et 31 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. Le poids économique de telles mesures pour les secteurs industriels concernés était de l’ordre de dix fois inférieur, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an.

      ... ça ne marche pas comme ça, justement. Ce genre de chiffrage donne l’illusion que les décisions économiques dans une société marchande pourraient être rationnelles, c’est-à-dire répondant aux besoins de la population.

  • Une suppression partielle de l’argent. La proposition du groupe thématique « économie » du Réseau salariat

    sources :
    https://www.reseau-salariat.info/images/article_une_monnaie_communiste_.pdf
    https://www.reseau-salariat.info/articles/2022-04-01

    Le titre est un peu provocateur au regard du positionnement de l’association, qui n’est pas abolitionniste à l’égard de la monnaie - ça ferait mauvais genre.

    Mais il est pleinement justifié si l’on regarde le nouveau modèle économique proposé.

    Pour rappel, les courants post-monétaires proposent une économie uniquement basée sur des quantités de choses à produire, incommensurables entre elles, sans gestion du droit de tirage.

    Le réseau salariat propose quelque chose qui est à mi-chemin : l’argent est utilisé comme droit de tirage, mais il est supprimé dans ses autres fonctions.

    Voilà la proposition résumée :
    – Le droit de tirage sur la production est géré par une monnaie, une « monnaie salariale », distribuée inconditionnellement à toutes les personnes majeures (salaire à vie) correspondant à la qualification de la personne (sur une échelle de salaire de 1 à 3).
    – Cette monnaie sert uniquement aux particuliers pour acheter les biens de consommations finaux
    – Les biens de consommation intermédiaires ne sont pas achetés ni vendus. Par exemple, un boulanger n’achète pas sa farine, il la demande au minotier qui lui en fournit sans échange d’argent.
    – Contrairement à l’économie capitaliste, il n’y a plus de monnaie d’investissement, c’est-à-dire créée sous forme de prêts à rembourser.
    – La monnaie est ici créée par la caisse des salaires au moment de verser des salaires. Cette monnaie doit être détruite à l’issue du cycle versement des salaires (création de la monnaie)->achat des biens de consommation->reversement de cette monnaie à la caisse des salaires par les magasins (destruction de la monnaie).
    Pour rappel la monnaie capitaliste est crée au moment des prêts et détruite à leur remboursement.
    – Mais puisqu’il y a une monnaie, il faut bien fixer un prix aux choses achetées par les gens. C’est là qu’on entre dans des complications et des propositions à mon avis hasardeuses dans le but de domestiquer la monnaie.
    Le prix est calculé, pour tel produit, à partir de la somme des temps des travaux contenus dans ce produit, multiplié par un coefficient régulièrement mis à jour, tenant compte par exemple de la quantité de travail des gens qui travaillent dans le secteur non-marchand (secteur où les produits finaux sont distribués gratuitement mais où les producteurs reçoivent un salaire à vie comme tous les autres). Le but de ce coefficient est d’équilibrer la quantité de la monnaie distribuée en salaires avec la somme des prix des biens disponibles à la vente. Les unités de production intermédiaires devront donc faire remonter l’information concernant les quantités de travaux (nombre d’heures) contenues dans leurs produits.

    Dans cette proposition, la suppression de la monnaie dans les consommations intermédiaires est une conséquence logique de la généralisation du salaire à vie à tous les producteurs : la production est déjà payée par le versement des salaires, puisqu’il n’y a pas d’avance d’argent à rembourser par ailleurs.

    Ce serait assez facile de critiquer cette proposition en imaginant tout ce qui pourrait faire capoter cette organisation.

    Elle me paraît toutefois cohérente avec le schéma de pensée du réseau salariat, consistant à généraliser deux institutions existantes (que Friot appelle le « déjà-là » communiste) : le salaire attaché à la qualification de la personne (et non au poste) et la cotisation-subvention permettant la sécurité sociale.

    Le problème est que ces deux institutions butent sur des limites : elles ne sont pas autonomes mais adossées à d’autres institutions beaucoup plus puissantes, dont elles dépendent. En l’occurrence ce sont des sous-circuits monétaires à l’intérieur d’une circulation monétaire globale plus grande, d’une monnaie créée en fonction d’un impératif abstrait d’accroissement de valeur, laissant loin derrière les priorités concernant les besoins ou tout autre critère concret (justice sociale, préservation des ressources, respect des cycles naturels, prise en compte des limites physiques etc). Pour sortir du capitalisme, il faut donc commencer à se projeter dans un monde où la monnaie capitaliste est abandonnée.

    Ça, c’est fait.

    #post-monétaire #réseau-salariat #monnaie

  • A quoi ressemblerait un monde où serait ôtée à la production la nécessité d’être vendue ? A propos de Réseau salariat

    Le groupe économie du réseau salariat propose d’abolir les échanges marchands intermédiaires (la production de biens intermédiaires, entrant dans la composition de produits finaux). Dit autrement, il n’y a plus de flux monétaires entre les unités de production. C’est une conséquence logique de la critique de la notion d’investissement (monnaie à avancer en premier pour lancer une production), conduisant à poser le salaire comme précédant la production.

    Une autre justification se veut plus empirique dans le texte Une monnaie communiste (1) :

    Nous comprenons que l’absence de flux monétaires entre les unités de production puisse tout d’abord surprendre, mais nous observons que le capital a malgré lui produit une socialisation de la production que nous jugeons propice au basculement vers notre modèle. En effet, une part considérable de la production s’effectue désormais dans des entreprises de très grandes tailles. Ces entreprises sont organisées en ateliers ou départements de production, lesquels effectuent leurs échanges sans flux monétaires, mais produisent le suivi comptable nécessaire à la gestion de l’ensemble. Notre modèle se présente comme une issue positive à ce mouvement de socialisation. Il nous engage au dépassement de la concurrence économique afin de gérer collectivement et démocratiquement l’ensemble de la production.

    Certes, il y a évidemment dans la production capitaliste contemporaine un degré très élevé de coopération dans l’organisation du travail, par delà des logiques de concurrence. Alors cela conduit à penser que le capitalisme a atteint un tel degré de socialisation qu’il serait mûr pour basculer vers le communisme.

    Ce propos néglige le phénomène très important de la sous-traitance : oui il y a une coordination d’unités de production par les choses, mais cela ne se fait pas toujours en interne loin de là, et dans ce cas cette coordination se règle aussi par le prix.

    Mais il y a plus fondamental encore. Les travaux de Michel Callon (2) me font penser, qu’au contraire, la production, dans son contenu même, une fois libérée des contraintes monétaires n’a plus rien à voir avec la production capitaliste.

    Je ne suis pas du tout convaincu par cette pensée schématique, opposant coopération et concurrence, ou qui isolerait des activités de production pure d’activités marchandes d’achat-vente. Cela conduit à sous-estimer grandement la place de la monnaie dans tout le système : le prix des choses est toujours intégré très en amont des choix de production, mais plus globalement la nécessité de vendre engendre une dysmétrie entre le producteur-vendeur et le consommateur-client.

    Le producteur-vendeur doit résoudre le problème de l’attachement entre le produit-marchandise et le client. Pour cela il a 3 grandes techniques nous dit Callon : introduire une conversation pour intéresser le client (par la publicité par exemple), faire participer quelques clients à la conception (excluant tous les autres), créer de l’addiction (rendre dépendant le client au produit).

    Dès lors, à quoi ressemblerait un monde où serait ôtée à la production la nécessité d’être vendue ?

    (1) https://www.reseau-salariat.info/images/article_une_monnaie_communiste_.pdf
    (2) Voir cette présentation de son livre L’emprise des marché s
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-2eme-partie/les-acteurs-du-marche-avec-michel-callon-6319927

    #réseau-salariat #post-monétaire #marché #production

  • Jean Vioulac, « Une spirale d’auto-destruction », 2022

    https://legrandcontinent.eu/fr/2022/06/25/une-spirale-dauto-destruction

    Pour être invisible et insensible, cette puissance de production se manifeste cependant : dans l’échange de ses produits. L’échange opère en effet la réduction des qualités particulières concrètes de produits différents à une quantité universelle abstraite et homogène, il met entre parenthèses l’utilité des produits, qui définit tel objet par son rapport à tel besoin de tel sujet, au profit d’une valeur qui vaut pour tous, il manifeste ainsi ce que Marx nomme « objectivité-de-valeur » (Wertgegenständlichkeit), précisant dès les premières pages du Capital que, « à l’opposé complet de l’épaisse objectivité sensible des denrées matérielles, il n’entre pas le moindre atome de matière naturelle dans leur objectivité-de-valeur ». (...)

    En tant qu’entité formelle et idéelle, en tant que pure abstraction, la valeur est évanescente et insaisissable, et même fantomatique : elle est, dit Marx, « l’objectivité spectrale » (gespenstige Gegenständlichkeit) de l’objet : elle ne devient tangible et disponible que dans la monnaie, qui matérialise son universalité abstraite dans un petit objet particulier et concret. Si donc la puissance d’abstraction se manifeste dans la valeur, elle s’autonomise dans la monnaie, qui cristallise ainsi l’essence de la communauté dans un objet aussitôt devenu fétiche.

    (...)

    Le marxisme a ainsi le plus souvent réduit le capitalisme à la domination de la bourgeoisie. Il suffit certes d’ouvrir les yeux pour constater que l’économie contemporaine est caractérisée par une exploitation massive et qu’elle instaure des inégalités sociales obscènes au sommet desquelles se reproduit une caste prédatrice irresponsable bénéficiant de tous les privilèges de l’impunité (...) Mais précisément : les rapports sociaux d’exploitation sont aussi anciens que l’Histoire elle-même : ils datent de la Révolution néolithique (...)
    La révolution théorique opérée par Marx découvre ainsi dans la monnaie un concept ontologique fondamental : c’est sur ces bases qu’il convient d’analyser la Révolution industrielle, caractérisée par un renversement total du statut de la monnaie, qui n’est plus moyen de l’échange mais son principe et sa fin. L’originalité de l’économie industrielle est en effet de produire directement pour le marché, c’est-à-dire pour vendre et pour l’argent qui sera retiré de la vente : le processus est initié par une quantité de valeur, cette quantité de valeur est investie, cet investissement n’est qu’un moyen destiné à accroître sa quantité. Quand la valeur est principe et fin du processus, quand elle « se prend comme point de départ en tant que sujet actif (als dem aktiven Subjekt) et se rapporte à elle-même comme valeur s’augmentant elle-même », elle est Capital, et c’est l’acquis décisif du travail de Marx, qui définit le Capital comme « valeur se valorisant elle-même ». La question « Qu’est-ce que le Capital ? » reçoit ainsi une réponse claire : le Capital est « l’autovalorisation de la valeur » (die Selbstverwertung des Werts), processus d’auto-accroissement d’une quantité abstraite, qui à ce titre ne connaît aucune limite et s’élargit constamment en spirale.

    Le marxisme a ainsi le plus souvent réduit le capitalisme à la domination de la bourgeoisie. Il suffit certes d’ouvrir les yeux pour constater que l’économie contemporaine est caractérisée par une exploitation massive et qu’elle instaure des inégalités sociales obscènes au sommet desquelles se reproduit une caste prédatrice irresponsable bénéficiant de tous les privilèges de l’impunité (...) Mais précisément : les rapports sociaux d’exploitation sont aussi anciens que l’Histoire elle-même : ils datent de la Révolution néolithique ; traiter les problèmes de l’exploitation ou des inégalités sociales aujourd’hui, c’est aborder des problèmes qui se posaient tel quels dans la France de Philippe Auguste et la Rome de Tibère, ou dans l’Égypte de Khéops quand la monnaie n’existait même pas, c’est n’aborder ni la question du Capital ni celle de la Révolution industrielle.

    Or si celle-ci est authentiquement révolutionnaire, c’est qu’elle inaugure un nouveau régime ontologique en instituant un nouveau fondement : non pas une classe sociale d’hommes en chair et en os, mais l’entité idéelle et abstraite, formelle et numérique de la valeur.

    (...)

    L’unité du capitalisme, du mathématisme et du machinisme est devenu manifeste à la fin du XXe siècle avec l’avènement de l’informatique par laquelle le code (abstrait) acquiert le pouvoir de piloter des dispositifs (concrets) en même temps qu’il fournit à ces dispositifs leur autonomie de fonctionnement : ce qui a conduit à la mise en place d’une Machinerie planétaire interconnectée et autorégulée entièrement déterminée par le numérique, à laquelle sont délégués sans cesse plus de tâche et de fonctions — de mémoire, de calcul, de surveillance, d’organisation, d’anticipation, de décision —, qui déploie une puissance toujours plus grande d’abstraction, de dématérialisation, de formalisation, d’informatisation et de numérisation, où la monnaie elle-même a rompu avec la matérialité pour devenir numérique, jeu d’écriture informatique qui procure à l’idéalité de la valeur le mode d’être qui lui est adéquat, et qui soumet les sociétés à une régulation algorithmique qui tend à disqualifier la juridiction politique.

    Notre époque est ainsi caractérisée par la domination de l’Universel-Abstrait sur les particularités concrètes, de l’idéalité formelle sur la réalité matérielle, de l’objectivité pure sur les sujets en chair et en os. C’est précisément en quoi il y a authentique Révolution, qui destitue la communauté des sujets de son statut de fondement pour l’assujettir à un système des objets lui-même fondé sur l’idéalité pure autofondée de la valeur : en régime capitaliste, constate Marx, « le rapport du sujet et de l’objet est inversé », le capitalisme se définit par « l’inversion du sujet et de l’objet », et c’est cette inversion qui définit la Révolution industrielle. Le capitalisme n’est plus fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme mais sur l’aliénation de la subjectivité dans l’objectivité, aliénation réelle qui transfère l’essence originairement subjective de l’homme dans le système des objets, et procure à l’objet le statut de sujet : le capitalisme se caractérise, conclut Marx, par « la subjectivisation des choses et la chosification des sujets. »

    Le problème du capitalisme n’est donc pas du tout celui de la domination de la bourgeoisie. Serait-ce le cas qu’il n’y aurait pas lieu de s’alarmer, il n’y aurait là rien de nouveau puisque la société de classes et les rapports sociaux d’exploitation apparaissent avec la Révolution néolithique et ont caractérisé toutes les sociétés historiques depuis lors. De ce point de vue, il y a même du progrès : la domination des bourgeois est largement préférable à celle des curés et des ayatollahs, l’actualité récente le montre tragiquement, elle montre aussi tout le prix qu’il faut accorder aux “libertés bourgeoises” et aux institutions qui nous les garantissent. Le problème du capitalisme est celui de l’avènement de « l’instance de domination » (das Übergreifende) qu’est l’unité numérique autonomisée, devenue seul gouvernail et principe universel de gouvernement : en grec κυϐέρνησις, mot à partir duquel Norbert Wiener a créé à la fin des années 1940 le concept de cybernétique. Il est possible de définir le régime ontologique inauguré par la Révolution industrielle par la cybernétique, compris comme hégémonie totalitaire du numérique, qui rompt avec l’objectivisme — où tout est objet pour un sujet — au profit d’un numérisme — où tout est data pour un calcul — : ainsi l’anthropogenèse caractéristique de la Préhistoire et l’anthropisation caractéristique de l’Histoire sont-elles dépassées par un processus de cybernétisation qui laisse pressentit l’avènement de celui que Henri Lefebvre dans les années 1960 avait nommé le cybernanthrope.

    Un tel événement reste inaccessible au grossier bon sens, inaccessible également aux sciences positives, il ne peut être saisi que par la philosophie. (...)

    (...) En tant qu’il a pour finalité l’abstraction, le capitalisme n’est pas un mode de production : c’est un mode de destruction, dans une spirale dont chaque nouvelle rotation élargit le champ de dévastation. Il ne produit qu’une chose : l’entité abstraite de la valeur, tout le reste est moyen, destiné à être englouti dans la cornue du marché pour en retirer le même sublimé identique ; tout produit concret est voué à l’obsolescence, toute marchandise est déchet en sursis. Dès 1867 Marx caractérisait le capitalisme par un « processus de destruction » (Zerstörungsprozeß), thèse alors inaudible dans un contexte dominé par l’idéologie bourgeoise du progrès qui ne fut jamais qu’une sécularisation de la doctrine théologique de la providence, mais l’Histoire depuis lors n’a fait que confirmer : inauguré par la Première Guerre mondiale, mobilisation totale pour la destruction totale qui a imposé à des millions d’hommes de se sacrifier pour rien et pour rien d’autre que ce rien, le XXe siècle a déchaîné une logique destructrice qui en ce début de XXIe siècle entame sa phase finale : le Global Assessment Report 2022 publié le 26 avril dernier par le Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe affirme que « l’humanité est entrée dans une spirale d’auto-destruction » (a spiral of self-destruction).

    (...)

    Mais si la spirale d’autodestruction qui menace aujourd’hui l’humanité n’est autre que le plein déploiement de la spirale d’autovalorisation qui définit le Capital, alors la Révolution destinée à nous en sauver est celle que Marx a voulu préparer. Le capitalisme est authentiquement révolutionnaire en ce qu’il inverse les rapports des sujets et des objets, du concret et de l’abstrait, et destitue la communauté de son statut de fondement pour la soumettre à l’objectivité dont il déchaîne la puissance d’abstraction : d’où la nécessité d’une autre Révolution destinée à destituer le Capital de son statut de sujet pour instituer la communauté humaine en fondement réel. Et conscient de l’être : avec la Révolution néolithique la communauté humaine s’institue en fondement, sans jamais se savoir comme telle puisqu’elle a d’emblée saisi sa propre puissance comme une entité étrangère qu’elle a nommé Dieu et à laquelle elle s’est soumise. Notre époque est alors crise en ce qu’elle nous place face à l’alternative : passer de l’aliénation formelle à l’Un (la religion) à l’aliénation réelle (la cybernétique), ou bien surmonter définitivement toute aliénation pour ouvrir au « vrai royaume de la liberté » (das wahre Reich der Freiheit).

    C’est ainsi que se définit la Révolution communiste, qui n’est autre que la réappropriation par la communauté des sujets de son essence aliénée dans l’objectivité. Elle ne saurait donc se réduire au remplacement de la bourgeoisie par le prolétariat comme classe dominante : le danger est inhérent à un dispositif machinique planétaire dont la logique est celle de la destruction, que ce dispositif soit géré par les uns ou par les autres ne changerait rien à sa destructivité, ce dispositif n’est de toute façon et par principe géré que par des technocrates qui ne sont pas ses maîtres mais ses servants. Marx répète ainsi que bourgeois et prolétaires sont pareillement aliénés, pareillement soumis au Capital qui est l’unique « sujet dominant » (übergreifende Subjekt) : l’enjeu de la Révolution n’est pas de libérer le prolétariat de la domination de la bourgoisie, mais de libérer la communauté humaine tout entière de son assujettissement cybernétique à la Machinerie capitaliste et sa spirale de destruction. La bourgeoisie n’occupe aucune position de maîtrise : tout au contraire, selon une formule frappante du Manifeste du parti communiste, elle « ressemble au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a invoquées », elle est « l’agent veule et sans résistance » du Capital. C’est alors précisément ce qui la distingue du prolétariat. Si bourgeois et prolétaires sont pareillement soumis au Capital, cette soumission prend en effet deux formes opposées : les bourgeois jouissent de leur aliénation, les prolétaires en souffrent, la prolétarisation crée alors une classe lucide sur les dangers du capitalisme qui a toutes les raisons de le renverser, alors que la condition des bourgeois les installe dans la suffisance et le déni, et la volonté de ne rien changer. La différence essentielle entre bourgeois et prolétaires n’est pas celle qui existe entre maîtres et serviteurs, mais celle qu’il y a entre collabos et résistants, deux rapports antagoniques à une même puissance de domination.

    D’où la légitimité et la nécessité des luttes sociales qui résistent pied à pied aux mesures collaborationnistes de ceux qui œuvrent à la croissance et ne sont en cela rien d’autres que les fonctionnaires de la destruction : mais la Résistance n’est pas la Révolution. Les stratégies qui en sont restées au niveau étroit des rapports de classes sans prendre en vue le fonctionnement du dispositif dont ces classes ne sont que des fonctions n’ont jamais déclenché aucune Révolution : elles ont déclenché des guerres civiles et mis en œuvre des politiques d’Épuration, et ce sans rien changer en quoi que ce soit à la logique destructive d’un dispositif industriel dont elles n’ont fait que déchaîner la puissance — caractéristique du bolchevisme dans tous ses avatars, qui tout au long du XXe siècle a fait de la Révolution une force supplétive de la destruction. Tragédie du destin de Marx, et tragédie inévitable : le niveau d’analyse du Capital, comparable à celui du Sophiste, de la Critique de la raison pure et de la Phénoménologie de l’Esprit, le destine à des universitaires, à ceux qu’Antonio Gramsci nommait les « fonctionnaires de la superstructure », qui ne peuvent qu’y opposer une fin de non recevoir, son propos, la critique radicale et le renversement de cette superstructure, le destine à des exploités que leur exploitation a dépossédé des moyens de le lire. Aporie de la philosophie aujourd’hui : l’événement en cours est d’une complexité inouïe, la philosophie est nécessaire pour le penser, mais elle ne peut alors que proposer des analyses âpres, difficiles et complexes, qui, réduites à des idées simples, ne peuvent que conduire à des catastrophes.

    Il faut alors — à l’heure où l’on écrit ces lignes — prendre acte de l’échec de la Révolution. Marx au XIXe siècle avait vu au cœur du capitalisme une spirale de paupérisation et de prolétarisation dont la logique devait produire une masse toujours plus grande de résistants, menant ainsi le système au point de bascule où se produit le « renversement historique » (die geschichtliche Umkehr) qui définit la Révolution : le prolétariat avait ainsi pour mission de se constituer en communauté et de s’instituer en sujet en lieu et place du Capital. Mais le XXe siècle s’est inauguré en juillet 1914 par le renoncement de l’Internationale à imposer la paix par l’union européenne des travailleurs qui les a réduit au rang de matière première d’un processus de destruction caractérisé par la production d’une masse toujours plus grande de cadavres, de mutilés et de traumatisés, il s’est continué avec la société de consommation qui a permis d’éradiquer toute opposition au capitalisme par la production d’une masse toujours plus grande de consommateurs, lesquels, bien loin d’être résistants, se font militants du consumérisme, il s’est poursuivi avec la société du spectacle, production d’une masse toujours plus grande de spectateurs captivés et ainsi maintenus en captivité. Marx fondait son espoir révolutionnaire sur une spirale de désaliénation : c’est l’inverse qui s’est produit ; la puissance d’aliénation que le dispositif déploie par l’intermédiaire de ses écrans est même parvenu à numériser la socialité même et remodèle sous nos yeux des générations sur laquelle les institutions éducatives n’ont plus aucune prise. Bien loin d’être révolutionnaire, l’antagonisme au dispositif capitaliste prend alors aujourd’hui dans les populations exploitées la forme réactionnaire d’un retour à la théologie politique médiévale : refuge dans la fantasmagorie religieuse par quoi l’aliénation réelle à l’Un est catastrophiquement redoublée par l’aliénation formelle, volonté fanatique d’illusion et de soumission qui est pure et simple capitulation. La « spirale d’auto-destruction » tourne à plein régime cependant, il fait chaud et de plus en plus chaud, le désert croît, l’air est irrespirable, les forêts sont en flammes et les vivants agonisent : le point de bascule imminent aujourd’hui n’est pas celui qui enclencherait la Révolution, c’est le tipping point par lequel les climatologues désignent l’emballement irrémédiable du système climatique mondial. Mais il y a bien là auto-destruction, et c’est ce que le concept d’Anthropocène nous impose d’assumer : cette puissance du négatif, c’est la nôtre, à nous, les néguanthropes, la catastrophe en cours n’est pas hétérogène, elle est le déchaînement illimité d’une négativité qui nous définit en notre essence, négativité que l’alchimie de la Révolution aurait eu pour mission de transmuer en liberté. La lucidité conduit ainsi en dernière instance à concevoir l’apparition même de l’homme au sein de la nature comme déferlement anarchique d’une puissance de négation, un accident, un déraillement, une aberration : une catastrophe. Une telle lucidité paraît monstrueuse, impossible, insoutenable, elle fut celle de Paul Valéry, qui dans une conférence intitulée Le Bilan de l’intelligence avait envisagé cette hypothèse dès 1935 : « Toute l’histoire humaine, en tant qu’elle manifeste la pensée, n’aura peut-être été que l’effet d’une sorte de crise, d’une poussée aberrante, comparable à quelqu’une de ces brusques variations qui s’observent dans la nature et qui disparaissent aussi bizarrement qu’elles sont venues. Il y a eu des espèces instables, et des monstruosités de dimensions, de puissances, de complication, qui n’ont pas duré. Qui sait si toute notre culture n’est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable, qu’une ou deux centaines de siècles auront suffit pour épuiser ? »

    #révolution #monnaie

    • Un texte plus court de Vioulac vient de paraître sur lundimatin, abordant la question de la révolution fasciste à la fin (mais ne fait que l’effleurer, dommage)

      https://lundi.am/Revolution-et-Destruction-l-obstacle-fasciste

      Voilà la partie concernant le fascisme :

      Pasolini définit alors le capitalisme comme un totalitarisme, et le consumérisme comme un fascisme.

      Le fascisme se caractérise par la fusion des hommes dans une masse indifférenciée, leur réduction à leurs instincts et à leur pulsionnalité, pour ensuite mobiliser et utiliser cette puissance. Les fascismes militaristes des années 1920-1930 définissaient la masse sur des bases nationales, ethniques ou raciales, la fanatisaient par le culte du chef, et mobilisaient sa puissance dans un cadre militaire. Mais il y a aussi un fascisme consumériste qui consiste à fondre les hommes dans une masse de consommateurs, à les réduire à leurs pulsions d’achat et à leur convoitise, à les fanatiser par le fétichisme des marques, ou d’équipes sportives, puis à mobiliser cette masse par la propagande publicitaire pour écluser la surproduction. Le consommariat est l’armée des fantassins de la consommation.

      Parler de fascisme aujourd’hui, c’est donc d’abord constater que le fascisme domine, sous la forme d’un fascisme bovin, ou porcin (« vivre et penser comme des porcs », disait Gilles Châtelet), celui des troupeaux de consommateurs, de spectateurs, de cybernautes et de touristes, fascisme certes pacifique, mais qui supprime la ressource révolutionnaire qu’était pour Marx la croissance du prolétariat : le consommariat est caractérisé par la servitude volontaire et l’aliénation volontaire, et par la passivité du spectateur connecté H24 au dispositif cybernétique.

      La question serait alors d’identifier des processus révolutionnaires au sein de ces sociétés massifiées. Mais, parmi ceux qui s’opposent à la domination du capitalisme, les mouvements dominants à l’échelle mondiale prennent eux-mêmes aujourd’hui des formes fascisantes, caractérisées par la volonté de refonder les peuples sur des bases nationales ou ethniques, dans le fantasme d’un retour à l’État-nation moderne, voire de les refonder sur des bases religieuses, dans le fantasme d’un retour à la théologie politique médiévale. Le fascisme est ainsi le principal obstacle à la révolution qu’appelle notre temps.

      Le fascisme n’est pas un simple phénomène historique daté. Il est lié à la révolution industrielle, définie par la mobilisation totale des hommes et des peuples au service du dispositif de production, et leur massification, qui les réduit au rang de ressource au même titre que n’importe quel cheptel bovin. Le nazisme a mené à son terme cette biologisation des peuples, constitués en masse organique dont il s’agissait de déchaîner la puissance, mais la généralisation de ce que Foucault a appelé le « bio-pouvoir » montre que cette grégarisation des peuples est un mouvement de fond.

      La révolution capitaliste est inversion, l’humanité n’est plus « maître et possesseur de la nature », elle n’est plus que matière première d’un dispositif qui la naturalise et finalement la réduit au rang de ressource naturelle parmi d’autres. Le concept d’Anthropocène qui s’est imposé depuis une vingtaine d’années est la reconnaissance de ce nouveau statut : l’Anthropocène désigne l’époque en laquelle l’humanité est elle-même devenue une force géologique. La révolution est urgente, mais elle ne relève en rien de ce qui s’est appelé ou prétendu tel dans les siècles passés, parce qu’elle ne relève plus, ou en tout cas plus seulement, d’une politique : il ne s’agit plus d’assumer, à l’échelle des temps historiques, la responsabilité de la vie collective d’un peuple, mais, à l’échelle des temps géologiques, d’assumer le devenir du système-terre, et d’être ainsi « chargé de l’humanité, des animaux même » (Rimbaud).

      Personne ne peut prétendre aujourd’hui savoir exactement comment une telle révolution peut advenir. Il y a néanmoins une certitude : ça urge.

      #révolution #fascisme

  • Du déni des réalités monétaires.
    Le plan de transformation de l’économie française du Shift Project (2022)

    J’ai entre les mains le fameux PTFE, plan de transformation de l’économie française, paru en 2002 et rédigé par le Shift Project. Le plan est composé de 15 chapitres rédigés par des personnes différentes - le célèbre Jancovici n’a écrit que l’avant-propos et le mot de la fin - correspondant chacun à un axe d’analyse ou domaine d’activité : énergie, industrie, agriculture/alimentation, fret, mobilité quotidienne, mobilité longue distance, automobile, logement, emploi, administration publique, santé, culture, villes/territoires, finances publiques/épargne.

    A chaque fois, ce sont des scénarios chiffrés de décroissance des consommations physiques qui sont donnés, en même temps que les stratégies énergétiques correspondantes, différentes pour chaque domaine, dans l’objectif d’une baisse de 5%/an des émissions carbone jusqu’en 2050 et de sortie des énergies fossiles.

    On parle d’économie, mais il aurait mieux fallu parler d’organisation matérielle imaginaire, décrite comme s’il s’agissait de gérer rationnellement des choses et des activités, en totale indépendance avec leur valeur monétaire.

    En effet :

    Le PTEF parle de tonnes, de watts, de personnes et de compétences. Mais il parle peu d’argent, et jamais comme d’une donnée d’entrée du problème posé : face à ce problème, l’épargne et la monnaie ne sont des facteurs limitants les plus sérieux.

    (p.29)

    Il n’y avait pas un seul économiste ou spécialiste des questions monétaires dans l’équipe des rédacteurs ?

    C’est évidemment totalement délirant, de penser cela et d’écrire un plan de transformation sans se poser la question des tout premiers obstacles qui se posent, dès qu’on imagine faire des choix rationnels, donc indépendants du fétiche monétaire. C’est en décalage complet avec la réalité de nos sociétés, avant tout et en premier lieu marchandes.

    Il y a cependant le dernier chapitre qui aborde la question du financement (7 pages sur un document de 240 pages). Qu’y trouve-t-on ?

    Une référence à la planification d’après-guerre en France (commissariat général au plan).
    Le constat que collectivités et petites entreprises n’ont pas de marge de manœuvre en matière de financement.
    L’appel à l’Etat pour résoudre ces problèmes de financement, alors que la création monétaire en amont de toutes les activités est décidée par les banques privées.

    Pourtant, il est reconnu que :

    La contrainte de rentabilité reste le principal outil de pilotage des entreprises aujourd’hui, et ce à des niveaux incompatibles avec les réalités physiques des ressources disponibles, et à des échéances bien trop courtes. (...) C’est également le critère de rentabilité - étroitement lié à celui de risque - qui guide la main des banques et organismes financiers qui ont les moyens de financer les entreprises pour leurs investissements.

    (p. 230)

    Et donc ?

    Il s’agit donc de proposer des moyens permettant de faire en sorte que les investissements nécessaires à la transformation de l’économie soient perçus comme suffisamment rentables, et le risque comme suffisamment maîtrisé (compte tenu du rendement)

    Ou encore :

    Il convient donc d’inciter les banques à réaliser des prêts auprès des TPE-PME dans le cadre de la transformation de l’économie.

    Et :

    Pour les grandes entreprises, principalement financées par les marchés, nos travaux ont permis d’identifier spécifiquement un certain nombre d’outils pour canaliser les investissements. La régulation financière pourrait ainsi réorienter massivement l’investissement privé vers la transition écologique, en s’appuyant sur des dispositions françaises existantes d’information sur l’impact climat des entreprises. Une condition nécessaire à une telle orchestration est d’avoir accès à des analyses et à des métriques...

    ... donc d’autres études et analyses en perspectives à faire, tout en continuant à ne pas analyser les effets propres de la monnaie, sur un plan tout à fait logique et concret. Comme on fait correspondre une gestion de volume d’émissions CO2 à diminuer dans tous les secteurs avec une gestion comptable de l’argent de ces mêmes flux, argent qui se doit d’augmenter lui ? Comment peut-on espérer gérer les effets rebonds dans une économie monétaire ?

    #énergie #Jancovici #économie #climat #monnaie

  • Activité pas seulement productive et besoin sans manque (Bruno Astarian)

    http://www.hicsalta-communisation.com/accueil/chapitre-9-quels-sont-les-enjeux#9.2.3.1

    Avec Astarian, on est à l’opposé du programme prolétarien d’affirmation du travail contre la classe capitaliste bourgeoise et la propriété privée permettant d’aller vers le communisme, comme par exemple aujourd’hui avec le Réseau salariat. Pour Astarian et les autres communisateurs, ce programme est obsolète à partir des années 1970 : il n’est plus possible de passer des luttes quotidiennes (revendicatives) du travail contre le capital à des luttes révolutionnaires pour le communisme. Une des explications à cela est la déqualification des prolétaires conjointement à la complexification croissante des moyens de production.

    Je passe sur ces points. Ce qui m’intéresse ici est de constater que les travaux d’Astarian sur la théorie de la valeur aboutissent à des formulations de qu’est le communisme conduisant à remettre en cause, non pas simplement la marchandise, l’échange, la valeur et l’argent, mais également les catégories de production et de besoin que l’on pourrait facilement considérer comme "naturelles" (selon la vision que dans un monde communiste il faudrait toujours produire pour répondre à des besoins).

    Dans son livre L’abolition de la valeur , dans les chapitres précédents et dans la perspective de prendre ses distances avec la critique de la valeur (Postone, Jappe etc) et la notion de "travail abstrait", Astarian a cherché à caractériser le travail producteur de marchandises en aboutissant à deux critères : la recherche de productivité et la normalisation. Une société communiste est donc pour lui une société où ce travail n’a plus lieu, et d’où émergent à la place l’ activité pas seulement productive (APSP) et le besoin sans manque (BSM).

    L’activité pas seulement productive :

    Si on envisage une activité productive qui ne recherche pas la productivité, la première chose qui ressort est un bouleversement complet du rapport au temps. Certes, le temps ne cesse pas d’exister parce qu’on arrête de le compter. Mais son passage inexorable cesse de contraindre l’acte productif dès lors qu’il n’est plus le critère de son évaluation. La société marchande admet ou refuse la participation à la société de telle marchandise, et donc de tel ou tel producteur, en évaluant le temps qu’il a fallu pour la produire et en le comparant à d’autres productions de même type. La contrainte qui en résulte pour le producteur est alors de toujours produire dans le minimum de temps. Le non-respect de cette contrainte l’exclut de la société des producteurs en excluant sa marchandise du marché. La négation de la productivité remplace cette appréciation quantitative temporelle de la légitimité d’une activité productive et de son produit par une évaluation qualitative. Ici, les mots nous font défaut pour définir la nature du rapport que les hommes auront à leur production dans une société sans valeur. « Appréciation » renvoie à « prix », « évaluation » à « valeur ». Ce sont des mots de la société marchande, de la quantité. Ils ne peuvent pas convenir entièrement pour désigner, dans le communisme, la satisfaction qualitative qu’une activité productive engendre, ou non, pour ceux qui y participent et pour ceux qui en utilisent les résultats. Une des raisons pour cela est que l’activité que nous considérons n’est pas seulement productive.

    (...)

    Dans les sociétés de classes, la production des conditions matérielles de la vie et la jouissance de cette vie sont donc des activités séparées par une contradiction. Une société qui serait débarrassée de cette contradiction serait aussi débarrassée de la valeur. Et dès lors que la production par unité de temps n’est plus le critère de la justification sociale d’une production, les « producteurs » ont le temps. En fait, on ne peut plus les définir comme producteurs. A l’opposé du travail, la production qui a le temps peut jouir immédiatement de sa propre activité. Elle peut être rapport à soi. Certes, l’effort lui-même, la fatigue, ne sont pas exclus. Mais pour une activité productive libérée de la contrainte du temps, ce sont des dimensions qui font partie de la jouissance du corps et de l’esprit dès lors qu’on peut s’arrêter, discuter, faire autre chose, modifier, s’adapter aux possibilités ou aux demandes des participants, etc. Autrement dit, cette production n’est pas seulement productive. Il n’existe pas de mot pour cela, et il faut donc proposer un néologisme. Appelons activité-pas-seulement-productive (APSP) cette activité totalisante où les hommes ne renoncent pas à jouir de leurs rapports sous prétexte qu’ils produisent des objets.

    Dans l’activité-pas-seulement-productive, tout est à tout moment à discuter, à remettre en cause, à ajuster aux rapports que les individus concernés développent. A ne considérer que la part productive proprement dite de l’activité-pas-seulement-productive, on peut envisager deux points de vue. Prise du point de vue « production », l’APSP résulte d’une interaction autour du qui participe, du comment la production s’organise, du quand l’activité se met en place. Prise du point de vue des besoins à satisfaire, l’APSP doit décider le quoi (qu’est-ce qu’on produit) et le pour qui. C’est ici qu’intervient la négation de la normalisation.

    Le besoin sans manque

    Rappelons que la normalisation des produits et du travail est une conséquence de la séparation où se trouve le producteur privé et indépendant par rapport aux besoins que sa production doit couvrir. Le dépassement de la normalisation oblige à définir ce que pourrait être l’abolition de séparations qui nous paraissent aujourd’hui complètement normales. Pour ce qui nous concerne ici, la séparation se situe entre le besoin et l’objet qui le satisfait et, a fortiori, l’activité qui produit cet objet. C’est cette séparation qui fait que la marchandise doit se présenter comme valeur d’utilité, normalisée de telle sorte qu’elle couvre un large éventail de besoins particuliers et, en même temps, occulte précisément la particularité dans laquelle les besoins de chacun se manifestent nécessairement. Si, selon notre hypothèse, on pose la propriété positivement abolie, la certitude de trouver satisfaction définit le besoin comme besoin-sans-manque (BSM). Ce besoin tranquille a la possibilité de faire valoir sa particularité, non pas comme caprice individuel (je veux des fraises tout de suite) mais comme discussion, interaction, définition d’un projet qui, dès lors, n’est pas seulement consommation. Il s’agit ainsi de redéfinir la notion de besoin.

    Face à la pression du réalisme, il convient d’interroger les catégories que nous utilisons. Dans le cas présent, il faut envisager sous un jour non économique la question des ressources et des besoins. Et, ici, discuter de la notion même de besoin. Dans le communisme, doit-on continuer à poser les besoins comme une « demande », une variable quasi-naturelle face à laquelle l’activité productive répond comme une « offre » soumise à la nécessité ? La réponse est non. On peut bien sûr partir d’une évidence apparemment naturelle et dire que 6 milliards d’individus ont besoin de 2000 calories par jour et que cela impose une production de x blé + y viande + z lait… Car, dit le bon sens, le communisme ne supprimera pas plus la faim que la pesanteur. La faim nous rappelle à tout moment que nous appartenons à la nature et qu’aucune révolution ne peut abolir les lois de la nature. Certes. Mais, dans sa manifestation actuelle, la faim telle que nous la connaissons nous rappelle aussi que nous sommes séparés par la propriété non seulement de l’objet de sa satisfaction mais aussi de l’activité qui produit cet objet. La faim nous rappelle en même temps que nous appartenons à la nature et que nous en sommes séparés par la propriété. Notre faim, en ce sens, n’est pas que naturelle. Nous ne connaissons la faim, phénomène naturel s’il en fût, que pervertie par la propriété et l’exploitation, que comme souffrance, comme peur du manque, comme soumission au règne de la propriété sur l’objet qui rassasie. Dès lors, qui nous dit que la sensation de faim telle que nous la connaissons est purement naturelle, n’est pas déterminée socialement ? Même le rythme de ses manifestations n’est-il pas dicté par celui de l’exploitation, de la journée de travail ? Inversement, dès lors qu’elle serait tranquille et sûre d’être rassasiée, pourquoi la faim ne serait pas aussi jouissance, comme le désir dans les préalables de l’amour, lesquels participent activement et positivement à la satisfaction du besoin exprimé par le désir ? Le besoin de base (2000 calories) reste le même mais, besoin-sans-manque, il devient partie prenante de l’activité-pas-seulement-productive (la gastronomie ?) qui en même temps le manifeste et le satisfait.

    Le besoin-sans-manque s’invite ainsi dans l’activité-pas-seulement-productive pour s’y manifester comme partie prenante et assurer que l’activité productive reste particulière aux individus qui y sont engagés, et non pas générale et abstraite pour répondre à une demande séparée. Ceci est totalement anti-productif, au sens où beaucoup de temps sera « perdu » pour formuler le besoin dans sa particularité, tant en fonction de la nature de l’objet à produire que des possibilités dont on dispose pour ce faire. De façon générale, le besoin n’est plus envie individuelle. Mais si le besoin-sans-manque participe à l’APSP, ce n’est pas parce que les individus concernés auront intégré dans leur conscience individuelle la nécessité d’extraire du charbon pour couvrir les besoins d’autres productions. C’est parce que l’extraction de charbon se fera de telle sorte que les rapports entre les « mineurs » seront satisfaisants en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Il n’y aura aucun sacrifice à produire des biens non consommables immédiatement, des biens pour d’autres. Cela s’applique bien sûr aussi aux biens consommables immédiatement. Les réalistes disent : « il y aura toujours du sale boulot, il faudra bien qu’on le fasse ». Je crois qu’il faut le dire clairement : il n’y aura plus de sale boulot. Les tâches actuellement sales, dégradantes, ennuyeuses, etc. seront soit abandonnées soit transformées. Sinon, on tombe dans les tours de rôle, avec leurs gestionnaires et leur passe-droit – ou alors on envisage que les hommes et femmes communistes sont des militants.

    Il n’y aura donc aucun temps « perdu ». L’interaction constante entre APSP et BSM se concrétise comme activité et jouissance sociale des individus. Parce qu’il n’est pas déterminé par le manque comme impérieux, urgent, le besoin se manifeste concrètement et activement dans l’APSP, qui lui en laisse tout le loisir puisqu’elle n’est pas seulement productive. L’activité prime sur son résultat productif au sens où le besoin fondamental est celui d’exister socialement, de profiter de la société des autres. Le besoin (momentané) de solitude ne contredit pas cela. Marx dit que le travail sera le premier besoin, parce que c’est pour lui l’activité subjective fondamentale (générique) de l’homme. Il faut élargir cette proposition, et dire que l’activité sociale, c’est-à-dire la jouissance d’être libre et conscient, naturel et social, actif et passif, sera le premier besoin. La notion de besoin-sans-manque veut exprimer la possibilité d’un besoin existant comme interaction entre les individus, comme projet conscient.

    La négation de la normalisation suppose donc de ne plus concevoir les besoins naturels (2000 calories) comme une variable exogène. Les besoins ne sont pas une contrainte naturelle qui nous imposerait un certain réalisme. Ils nous apparaissent comme tels dans la société de classes, où en fait ils ne sont pas si naturels puisque c’est le travail et la propriété qui engendrent la séparation du besoin et de son objet, et posent le besoin comme manque. Si l’on pose le travail et la propriété positivement dépassés, il faut aussi envisager un besoin sans manque, qui fait partie, en fin de compte, de la définition de l’activité-pas-seulement-productive.

    Le livre contient un épilogue non publié sur le site, titré "Théorie de la valeur et théorie communiste". Je le mettrai ultérieurement.

    #Astarian #communisation #communisme #post-capitalisme #besoin #production

  • La Chouette et l’Escargot

    Comment sortir, d’une part, de la bulle théorique de la critique de la valeur-dissociation ? Comment éviter, d’autre part, les pièges de la fausse immédiateté ?

    http://www.palim-psao.fr/2023/10/la-chouette-et-l-escargot.comment-sortir-d-une-part-de-la-bulle-theorique

    [...] la fameuse question, à peu près aussi vieille que la notion de capitalisme, de savoir ce qu’il faut faire pour sortir du capitalisme provoque presque inévitablement une réponse stéréotypée, toujours la même : le monde a besoin d’une autre économie, d’une économie non capitaliste. Pour sortir du capitalisme, il faut d’abord changer l’économie, ou plutôt : changer d’économie ! Or, cette idée représente un bel exemple d’une fausse immédiateté. Vouloir changer d’économie pour sortir du capitalisme serait la manière la plus sûre de rester prisonnier du système dont on veut se débarrasser. Car il ne peut pas y avoir d’économie non capitaliste. La [critique de la valeur-dissociation] a montré que de la Corée du Nord, en passant par la Chine, l’Europe et les États-Unis jusqu’à Cuba et au Venezuela, dans tous les pays du monde, malgré toutes les différences dans les modalités, l’économie est basée sur les mêmes catégories fondamentales ‒ la valeur, l’argent, le travail, le marché. Ce sont les catégories de base du capitalisme. Une « économie non capitaliste » est un oxymore, c’est-à-dire une combinaison de deux éléments ou termes contradictoires dont l’alliance paradoxale donne à l’ensemble un tour séduisant. L’idée fascinante d’une économie non capitaliste relève tout simplement du fantasme. Pour sortir du capitalisme, il faudra sortir de l’économie, selon l’expression choisie par les Ennemis du meilleur des mondes

    Il n’est pas surprenant qu’en parcourant le panorama contemporain des programmes et des projets anticapitalistes on n’en trouve aucun qui puisse satisfaire aux critères de la CVD. Pour une raison simple : il est facile de se dire et de se croire anticapitaliste. Mais il est très difficile de l’être sur un plan catégoriel, c’est-à-dire en tenant compte du fait que la société capitaliste est construite sur des bases catégorielles que nous sommes tentés à tort de considérer comme naturelles et transhistoriques. Or, la tâche aussi difficile qu’indispensable serait précisément de délivrer le monde de ces catégories de base. Mais actuellement aucun mouvement anticapitaliste ne semble en être conscient. C’est ce qui explique que, de la part de la CVD, tous ces mouvements, vraiment tous, soient critiqués et traités avec un certain dédain qui frise quelquefois la morgue. Conformément à la consigne suivante : N’espérez pas changer le monde avant d’avoir compris notre théorie !

    • Pour sortir du capitalisme, il faudra sortir de l’économie, selon l’expression choisie par les Ennemis du meilleur des mondes

      Tout à fait pertinent ^^

      Mais alors, si sortir du capitalisme, c’est sortir de l’économie, qu’est-ce que l’économie ?

      A partir de la critique de la valeur, une manière d’atterrir est de se demander ce que concrètement serait une société dont l’organisation matérielle ne se fonderait plus sur l’échange.

      Dans ce sens, j’avais déjà mentionné la contribution d’Ernst Lohoff à un recueil d’articles post-monétaires :

      https://seenthis.net/messages/1002131

    • Je viens de publier deux notes de lectures d’économistes français de l’école institutionnaliste monétaire, Cartelier et Orléan. Il est remarquable que ce sont deux marxistes qui ont du abandonner la théorie de la valeur-travail de Marx, afin de pouvoir faire une théorie de la monnaie. La monnaie n’apparaît pas plus dans la critique de la valeur que dans les théories économiques dominantes.
      Pourtant les notions de « désir de monnaie » d’Orléan ou de « soumission monétaire » de Cartelier, et bien d’autres, montrent le rôle central de la monnaie dans les sociétés marchandes.

  • P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? - Partie 1

    L’auteur de Bolo’bolo (1983) a écrit en 2020 Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ?, qui n’a pas été traduit de l’allemand.

    J’en poste ici des parties en français - par un traducteur automatique, désolé.

    Sommaire

    La vieille crise permanente, les vieilles lamentations
    Le capital et la gauche : vers la chute ensemble ?
    Le capitalisme « profond »
    Le « mal » est plus ancien qu’on ne le pense et différent
    La chasse aux sorcières et l’accumulation du capital
    La séparation du travail du contexte de la vie
    Le capitalisme comme essence du patriarcat
    La civilisation des biens communs comme véritable alternative
    La dictature de la coquille
    Une proposition simple et factuelle pour une alternative à l’ordre social actuel
    Glomo 1
    Glomo 2
    Glomo 3
    Glomo 4
    Pas de biens communs sans frontières
    Glomo 5
    Le dernier système
    Un égalitarisme odieux ?
    "Notre maison est notre château"
    "Des palais pour 10 milliards de personnes"
    Faire de la politique pour les biens communs est possible
    Impuissant pris dans les filets
    Existe-t-il une stratégie ? Et sinon, que fait-on alors ?
    Comme le quartier EMMA, Grumakro a été créé : un conte de fées venu de la périphérie d’une grande ville
    Le rôle de la politique
    Initiatives de quartier : points de départ et expériences
    Réalistes de gauche et terriens : unis – ou pas ?
    L’Europe : sortie ou impasse ?
    Le prochain changement inattendu : l’« Autre »
    Références
    Annexe : une suggestion

    L’auteur

    PM, né en 1947, s’est fait connaître dans les pays germanophones avec son premier roman Weltgeist Superstar (1980).

    bolo’bolo, sorte de glossaire d’un autre monde, a été publié en 1983 et a été traduit dans de nombreuses langues, dont le russe, le turc et l’hébreu. Depuis, toute une série de romans, de livres de non-fiction, de pièces de théâtre et de pièces de théâtre sont parus. P. M. était actif sur la scène des squattings zurichois et participe à la construction de logements coopératifs et aux discussions urbanistiques - plus récemment avec le livre Die Andere Stadt (2017).

    Publié le plus récemment par Hirnkost : The Face of the Rabbit. Un roman terrestre (2019) et P. M. dans le rôle de Rodulf, chevalier de Gardau, dans : La Grande Falsification (un roman médiéval utopique en dix volumes, de mai 2020).

    #post-capitalisme #BoloBolo

    • "Je dis que le travail lui-même est nuisible, désastreux."
      KARL MARX¹

      La vieille crise permanente, les vieilles plaintes

      Tout le monde parle de la prochaine crise du système économique actuel, parfois appelé en plaisantant capitalisme. Quoi qu’il en soit, la croissance marque une nouvelle fois le pas. Le FMI lance des avertissements. Le Secrétariat aux Affaires économiques corrige à la baisse. La bulle, en revanche, continue de s’étendre, alimentée par de l’argent bon marché, la dette nationale et les réductions d’impôts. Que se passe-t-il s’il éclate ?

      Et si capitalisme et crise étaient synonymes ? On pourrait aussi voir les choses ainsi : les 250 dernières années n’ont été qu’une gestion capitaliste de crise. Le remède a d’abord été le colonialisme, puis l’impérialisme, puis les dépenses déficitaires, entre des guerres répétées (une forme d’amortissement matériel suivie d’un boom de la reconstruction), puis à nouveau une mondialisation accrue, maintenant un assouplissement quantitatif et des taux d’intérêt négatifs (argent bon marché). Pour survivre, le capitalisme avait encore besoin d’autre chose que le capitalisme à piller².

      Cette trajectoire de crise du capitalisme est extrêmement destructrice car elle est essentiellement extractionniste et ne peut être durable. Les paysages, les populations, la cohésion sociale, le climat et la biodiversité sont endommagés afin de soutenir la croissance nécessaire pour que 200 000 milliards de dollars de dette paraissent gérables, du moins en théorie. Le capitalisme est une machine intrinsèquement hostile. Nous en faisons partie.

      Malgré cette vision fondamentale, la gauche s’efforce depuis 150 ans de profiter principalement des reprises et d’atténuer les récessions. Cela s’explique en partie par le fait que le caractère historique de cette machine d’extraction a été soit occulté, soit n’a jamais été vraiment compris. Même si MARX a très bien compris le fonctionnement du capitalisme, son analyse n’a jamais vraiment trouvé son écho auprès de la gauche. Elle a toujours préféré garantir ou augmenter les salaires à l’abolition du travail salarié qu’il réclamait. Elle est donc restée « l’ambulance du capitalisme » (STEINBRÜCK).

      1.MEW 40, page 476.
      2.Comme on le sait, ce fut la découverte importante de ROSA LUXEMBOURG.

    • Le capitalisme « profond »

      Il semble que la formation historique dont nous parlons ici soit bien plus tenace que nous, y compris MARX, l’avions pensé auparavant. Sa fin a été trop souvent annoncée (MARX l’a vue une fois vers 1857 ; certains d’entre nous en 2008). Il semble que nous n’ayons affaire ici à aucun système économique, mais à quelque chose de beaucoup plus « profond ».

      Le capitalisme a non seulement survécu sans problème aux soi-disant intermèdes communistes, mais il les a simplement intégrés dans son programme d’accumulation. L’ensemble de l’Europe de l’Est a été ramené à zéro et réutilisé. Pour beaucoup de gens, l’annexion quasiment sans opposition de la RDA par la République fédérale d’Allemagne est encore dans les os : comment se fait-il qu’une formation sociale entière ait pu être tout simplement anéantie ? L’une des raisons est certainement que la RDA n’était pas communiste, mais tout au plus capitaliste dirigée, et qu’il n’y avait pas grand-chose à défendre. . Le communisme n’est plus un problème.⁶ Le soulagement de se débarrasser de ce type de capitalisme était plus fort que le désir d’essayer quelque chose de complètement différent. (BÄRBEL BOHLEY me l’a décrit dans une lettre à l’époque.)

      Aujourd’hui, 30 ans plus tard, de nombreux Allemands de l’Est se rendent compte que ce que la propagande du parti disait sur le capitalisme à l’Ouest était vrai (contrairement à ce qu’elle disait à propos de la RDA elle-même). Désormais, ils ne peuvent plus ni avancer ni reculer : partout seulement le capitalisme, à perte de vue ! Dans ce dilemme cognitif, les populistes de droite ont carte blanche. L’alternative manquante au capitalisme est transformée en l’alternative supposée pour l’Allemagne. Si les choses ne peuvent ou ne doivent pas avancer, elles reculent tout simplement. Ou ailleurs.

      6.Sauf peut-être dans la propagande chinoise et dans ŽIŽEK.

    • Le « mal » est plus ancien qu’on ne le pense et différent.

      Une approche pour expliquer cette étrange persistance du capitalisme pourrait être de le comprendre comme rien de plus que la dernière chrysalide d’un patriarcat triomphant depuis des millénaires. Telle était la thèse des féministes de Bielefeld autour de MARIA MIES, VERONIKA BENNHOLT-THOMSEN et CLAUDIA VON WERLHOF. Au lieu de seulement 250 ans de crise capitaliste, nous parlons de 5 000 ans de crise patriarcale.

      Pour éviter tout malentendu : le patriarcat ne signifie pas (au sens biologique) une domination masculine. Les femmes elles aussi auraient pu instaurer un patriarcat violent, on aurait alors pu l’appeler l’Amazonie. (La peur de cette variante a toujours été dans la chair des hommes : HÉRACLÈS a dû tuer HIPPOLYTE, même s’il l’aimait.) Le patriarcat est une certaine manière de gérer l’environnement naturel, avec ses semblables, avec les choses. C’est un processus, pas un groupe de personnes. Il n’existe donc pas de destin « naturel » selon lequel le patriarcat aurait dû être créé par les hommes. Elle pourrait même être organisée « en partenariat » entre hommes et femmes, comme c’est parfois le cas aujourd’hui. Ce que nous savons, cependant, c’est que dans la seule histoire que nous connaissons, le patriarcat a été imposé par des hommes (biologiques). Disons donc que les hommes (biologiques) ont la malchance d’être responsables du patriarcat (culturel). Les femmes peuvent être féministes, les hommes doivent être féministes.

      Le comportement extractif envers la nature est une caractéristique de la civilisation patriarcale - il ne fait aucun doute que le capitalisme en particulier a poussé cette attitude à l’extrême, au point de détruire la biosphère elle-même. Cette relation extractive commence - par exemple selon MARIA MIES (la elle-même a grandi comme agricultrice) – dès la révolution agricole du Néolithique, avec notamment le remplacement de la houe par la charrue. Le labour et la destruction des sols se poursuivent encore aujourd’hui et ont conduit à une immense érosion et destruction des sols. Ce n’est que récemment que les gens ont recommencé à gratter et à entretenir le sol avec plus de douceur, sans aucune perte de rendement. La réification de nos partenaires naturels s’est manifestée plus tard par le fait que les animaux sont devenus du bétail et que le bétail est devenu de l’argent puis du capital. Le mot capital lui-même remonte à caput, une tête, c’est-à-dire un morceau (!) de bétail. Le bétail peut être compté – sa chute. Dans son livre Against The Grain (2018), JAMES C. SCOTT montre comment la culture céréalière (en partie forcée) a favorisé la formation précoce d’États et donc toutes sortes de formes de gouvernement. Cela contraste avec les légumes, les tubercules et les fruits, qui sont plus difficiles à mesurer, contrôler et sont plus périssables. Le grain est mesurable – idéal pour collecter des impôts et construire des États, qui se sont historiquement transformés en entreprises mondiales d’aujourd’hui (les véritables « États ») au pouvoir à travers diverses formes de pupaison.

      Une autre caractéristique du patriarcat sont les séparations et les scissions de toutes sortes (finalement imposées par la force). MARX décrit également la dissolution des communautés organiques par les premières privatisations (du latin : vols) : la terre (enclos), la propriété des choses, du bétail, des céréales, aux personnes. Le partage originel a dû être remplacé par l’échange, qui n’a réussi qu’imparfaitement (on parle aujourd’hui d’échec du marché). Il ne faut pas confondre la division du travail avec cette séparation : celle-ci est une condition inhérente à la coopération. À proprement parler, si tout le monde fait la même chose, la coopération n’est pas nécessaire. Ce qui est central ici, c’est la séparation du travail et de la coopération d’un contexte de vie autogéré.

      Il n’existe pas de définition naturelle ou du moins logique de ce qui est et n’est pas du travail (voir CHRISTIAN MARAZZI : Che cos’è il plusvalore ?⁸ 2016) ; elle était imposée culturellement et toujours violemment. Vous pouvez peut-être voir à quel point cette séparation est arbitraire à partir de cet exemple : si je nettoie la porte d’entrée, cela ne compte pas comme du travail ; Si les agents de nettoyage de la ville le font, alors oui, y compris le droit à la retraite. L’inadéquation des définitions du travail peut également être constatée dans ce que l’on appelle l’économie des soins (tâches ménagères, éducation, soins, attention). L’aspect relationnel ne peut pas être simplement séparé. Les robots de soins ne sont pas une solution.⁹

      7. Le mot « féministe » aurait été utilisé pour la première fois par CHARLES FOURIER, l’utopiste. Une femme n’aurait probablement jamais pensé à se qualifier de féministe. Le mot « femme » dit tout.
      8.Qu’est-ce que la valeur ajoutée ?
      9.Cf. SHERRY TURKLE : Seuls ensemble : pourquoi nous attendons plus de la technologie et moins les uns des autres. 2011.

    • La chasse aux sorcières et l’accumulation du capital

      Le point culminant de cette séparation fut probablement ce que l’on appelle la chasse aux sorcières, mais qui fut en réalité la mise en œuvre finale de la conception capitaliste du travail.¹⁰ Un profond traumatisme social (blessures corporelles) était nécessaire. ..., une campagne de terreur, une séparation nette (bourreaux) entre bourreaux (bourreaux, hommes, ouvriers) et victimes (assassinés, femmes, femmes de ménage) afin d’imposer la première accumulation capitaliste. Le programme génocidaire du capitalisme exigeait un compromis initial des acteurs. Aujourd’hui, l’homophobie, de plus en plus mise en scène sous les régimes autoritaires, a une fonction similaire à celle des chasses aux sorcières.

      Les sorcières n’étaient pas des sorcières au sens des contes de GRIMM, mais désignaient toutes les femmes qui attiraient l’attention ; et, à titre d’exemple, il s’agissait de la fonction des sorcières en tant que connecteurs et non séparateurs. C’est pourquoi les hommes peuvent aussi être des sorciers. Le mot allemand sorcière a une étymologie intéressante : haga sizza, celle qui est assise sur la sorcière. Et qu’est-ce que la sorcière ? C’est la clôture d’interdiction (d’où : bannir, chasser quelqu’un du village) entre le village et la forêt. Les sorcières servent d’intermédiaire entre la communauté villageoise et la nature, entre la culture et la nature ; ils essaient d’équilibrer les choses, de créer des avantages mutuels, une coexistence à long terme. Ce sont eux les premiers scientifiques parce qu’ils comprennent les deux. Ils gèrent les frontières, mais en même temps les rendent cohérentes. Elles furent peut-être les dernières héritières de DEMETER, alliées des femmes dans leur rôle de mères ou de celles qui ne voulaient pas l’être. Le culte de la mère est une invention masculine.¹¹ Lorsque les chasses aux sorcières ont été organisées, ces sorcières n’existaient probablement plus depuis longtemps, mais leur souvenir était déjà assez troublant. Il ne devrait plus y avoir aucune autorité, aucune personne, pas même une idée de coopération sociale globale. Oublie ça ! Il n’y a pas d’alternative ! Rien de plus !

      10.Je fais ici référence à SILVIA FEDERICI : Caliban et la sorcière. Le corps et l’accumulation originale. 2017.
      11.C’est vrai Cela s’applique également en particulier à la « Terre-Mère », qui est tout sauf bienveillante.

    • La séparation du travail du contexte de la vie

      La séparation du travail du contexte de la vie La séparation du travail en tant qu’activité sociale pouvant être mesurée, payée et échangée était le résultat réel de milliers d’années d’histoire patriarcale de séparation, de division, de division et de mesure. Une histoire qui peut être comprise comme une crise permanente, car les calculs n’ont jamais fonctionné.¹² Travailler et être payé pour cela est quelque chose de très mystérieux, presque inexplicable, mais c’est l’essence patriarcale du capitalisme. Souvent, le plus évident est le plus dangereux. Tout le monde se lève à sept heures, va au travail et ne sait pas ce qu’il fait là-bas. Mais parce qu’aucune société ne peut exister sans une activité commune au sens large, les tâches ménagères, les tâches liées à la procréation, les soins aux enfants et, plus tard, dans de nombreux endroits, les travaux agricoles ont dû être relégués au royaume de l’invisible.

      Les inestimables sont bannis. Le fait originel selon lequel tout ce que nous faisons vise à prendre soin des personnes, des animaux et de l’environnement naturel a dû être supprimé. Il n’y a en réalité que ce qu’on appelle du travail de soins. Et que personne n’ose s’asseoir sur la définition entre les deux domaines d’activité ! S’il fallait payer ce travail inestimable (une idée absurde en soi), alors le château de cartes capitaliste exploserait. En Suisse, 7,9 milliards d’heures de « travail » rémunérées et 9 milliards d’heures non rémunérées sont effectuées chaque année. Payer pour un travail non rémunéré coûterait plus de 400 milliards par an - à côté de cela, le programme de crise de Denknetz serait un jeu d’enfant !¹³ Le concept confiné du travail a derrière lui une histoire violente d’expulsion, de discipline, d’assujettissement et de juridicisation. Pourquoi avez-vous besoin de milliers de paragraphes de droit du travail, de tribunaux du travail, Les inspecteurs du travail, etc., doivent-ils maintenir ce mandat ? Car sans un travail au moins théoriquement mesurable, aucune exploitation capitaliste n’est possible. Et parce que le terme est incroyablement vulnérable.¹⁴ Il est scientifiquement incompréhensible, intuitivement incompréhensible, toujours menacé par la négligence, la simulation, le soi-disant travail au noir, les congés de maladie et le fait de rester assis sur toutes sortes de collines avec des tasses de café à la main. Sans « l’abolition du travail », l’ordre économique catastrophique actuel ne peut être surmonté. C’est une illusion de vouloir provoquer un changement efficace en distribuant des proies empoisonnées. Le travail, c’est-à-dire la contrainte de faire des choses que l’on n’aime pas, que l’on ne veut pas et dont on ne peut pas être responsable, créera toujours des dysfonctionnements dans la société dans son ensemble, en premier lieu la destruction de la planète par le biais de l’impérialisme. mode de vie, qui nous donne en fait cela pour réconforter les vies perdues.

      Malgré sa perversion, le travail d’aujourd’hui repose également sur la volonté spontanée de coopération des gens. Les gens ne peuvent s’empêcher de coopérer. Les entrepreneurs ont toujours utilisé ce fait pour obtenir de meilleures performances de la part de leurs équipes. DAVID GRAEBER parle ici du véritable microcommunisme des entreprises, apprivoisé par une gestion sophistiquée. Une meilleure coopération est nécessaire pour pouvoir rivaliser avec d’autres entreprises ou pays. Une culture d’entreprise, un « esprit de famille d’entreprise », une fierté nationale pour certaines entreprises ou certains produits, un faux sentiment d’appartenance, sans lequel les gens ne peuvent pas vivre, sont mobilisés. Les travailleurs oscillent entre une volonté naturelle de coopérer et la prise de conscience qu’ils sont trompés, exploités et exploités, qu’ils ne sont qu’un moyen pour parvenir à une fin. La coopération est exposée comme une collaboration.

      En fin de compte, cette situation a un effet paralysant et conduit à diverses formes de refus. Le fait que les travailleurs ne soient pas vraiment concentrés sur ce qu’ils font et se contentent souvent de simuler leur performance constitue la véritable crise interne et continue du capitalisme. Ou comme l’a écrit DAVID GRAEBER : « Le capitalisme est un communisme mal géré. » (Le communisme réel était un capitalisme d’État encore plus mal géré.)

      Cette expérience toxique de la coopération affecte également la coopération autodéterminée et volontaire, par exemple dans le cadre de projets coopératifs ou d’autres projets d’auto-assistance. Quiconque a dû coopérer toute la journée ne voudra pas se porter volontaire pour coopérer le soir dans la coopérative maraîchère ou dans le dépôt de biens de consommation. La frustration liée à la coopération collaborative appelle une compensation, un confort sur le canapé avec de la bière et un roman policier. Le travail est juste là endurer lorsque des week-ends ou des jours fériés « libres » sont en perspective, mais ce n’est pas un « grand travail » de désherbage du champ commun. Tous ces projets fonctionnent mal aujourd’hui, malgré les vents contraires du capitalisme, et constituent des réalisations pionnières faites avec le sacrifice de soi. Ils sont importants en tant que futurs laboratoires, mais dans des conditions capitalistes, ils sont condamnés. À moins que quelque chose n’arrive très bientôt.

      Le concept de travail est actuellement en train d’exploser avec l’automatisation et la numérisation, car les machines ne peuvent pas fonctionner (elles ne peuvent que transférer le travail qui y est effectué vers le recyclage). Déjà MARX, mais plus tard aussi SCHUMPETER, reconnaissaient que le véritable objectif du capitalisme était sa propre abolition. Tous les coûts devraient être réduits à zéro, y compris le coût du capital.¹⁵ La seule façon de sauver le concept de travail sera probablement de déclarer négativement une allocation de subsistance comme indemnisation du chômage (comme le réclame le réseau de réflexion : une allocation de chômage à vie, pour presque tout le monde). On pourrait alors reprendre la définition d’Homo sapiens : une pauvre créature au chômage ! (Homo non-laborans) Mais ce jeu ne pourra pas durer longtemps, car le capitalisme doit exploiter, même si plus rien ne vaut plus. La valeur en elle-même est le concept controversé du patriarcat. Sans valeur, il n’y a pas d’échange.¹⁶ Si rien ne vaut rien, alors nous pouvons décider librement de ce que nous aimons, de ce qui est bon pour nous, de ce qui nous procure de la joie ou nous rend heureux. Et ce serait la fin de l’aberration patriarcale.

      12. La revanche aujourd’hui, c’est que la Chine, avec Huawei, veut nous imposer le G5, ce dont nous n’avons pas non plus besoin. Le capitalisme est une lutte unique contre la « stagnation laïque ». Aujourd’hui, pratiquement tous les programmes des réalistes de gauche sont des programmes de stimulation de la demande visant à maintenir la croissance, les plus récents étant ceux de la candidate présidentielle ELIZ-ABETH WARREN (2 000 milliards de dollars) ou de KEVIN KÜHNERT (SPD) avec ses propositions impuissantes de nationalisation.

      13.Nous ne consacrons que 12 % de notre vie (y compris le sommeil) à un travail rémunéré. Le travail rémunéré représente 10 % de tout le travail dans le monde !

      14. Il semble souvent plus important de sauvegarder le concept de travail que de faire réellement quelque chose d’utile. Voir : DAVID GRAEBER : Des emplois à la con. 2018. Le travail devient de moins en moins productif et de plus en plus une simple structure quotidienne.
      Nous ne devrions pas avoir d’idées stupides, même si le travail lui-même est souvent le plus stupide (il suffit de penser à l’industrie de l’armement).

      15. MARX a présenté cette logique paradoxale à de nombreux endroits, dont les plus célèbres sont probablement les « fragments de machine inquiétants » des Grundrisse : « Les forces productives et les rapports sociaux - deux aspects différents du développement de l’individu social - n’apparaissent au capital que comme des moyens et ne sont que des moyens pour qu’elle produise à partir de sa base étroite d’esprit. Mais en fait, ce sont les conditions matérielles pour les faire exploser. » MARX : Grundrisse. Octobre 1857 à mai 1858 (numéros de pages selon MEW 42) Le chapitre sur le capital − numéro VI, p. 590.

      16.Cf. HABERMANN, FRIEDERIKE : Échangé ! Concepts/Matériaux, Volume 10. 2018.

    • Le capitalisme comme essence du patriarcat

      Comprendre le capitalisme, non pas comme n’importe quel système économique, mais comme la quintessence du patriarcat rend beaucoup de choses plus claires. Par exemple, le fait que les femmes soient faiblement représentées aux postes de direction dans ce système (l’État en fait partie). Dans une sorte de féminisme superficiel, beaucoup pensent qu’il s’agit de maintenir le pouvoir des hommes (biologiques). Si les femmes étaient mieux représentées, le patriarcat serait plus faible. Bien sûr, ce n’est pas le cas. C’est du biologisme bon marché que de croire que les femmes, en tant que patronnes ou politiciennes, rendront le capitalisme plus doux ou le patriarcat plus agréable. Les femmes font même de meilleurs PDG. Les meilleurs ministres de la Défense. Les rationalisateurs les plus pointus.

      Ce n’est que lorsqu’on s’attaque à l’essence du patriarcat, c’est-à-dire au concept de travail, que sonne le glas. Aujourd’hui, nous constatons que de plus en plus de femmes Je ne veux pas du tout participer à ce système ou je veux y être compromis. De nombreux patrons se plaignent : nous aimerions avoir des femmes comme managers, mais elles préfèrent désormais se retirer dans les tâches ménagères ou faire des choses plus exigeantes sur le plan social et intellectuel. Elles ne veulent pas travailler à temps plein. C’est compréhensible : les femmes devraient-elles désormais également reprendre les boulots insensés des hommes et rester assises dans les bureaux ? Quand les hommes s’enfuient déjà ? Doivent-ils soutenir une politique misanthrope ? Ce à quoi nous assistons est un abandon des femmes de la société du travail, et pas seulement des femmes biologiques, mais aussi des hommes au foyer, des jeunes hommes, des PDG épuisés, des refus de carrière, des travailleurs à temps partiel, des rétrogradés, etc. Les femmes sont-elles mal représentées aux postes de direction parce qu’elles ne veulent pas diriger ?

      Quand on assimile travail et violence, alors on comprend que le viol est aussi un problème pour les hommes biologiques, et en tout cas pour les femmes. #metoo s’applique à nous tous. En plus de la violence systémique et patriarcale, il y a aussi la violence biologique quotidienne Des hommes qui croient encore ou qui ont été persuadés d’avoir une affinité particulière pour le système. Il faut combattre cette violence par tous les moyens : il n’y a pas d’excuse systémique. Elle vient principalement de ces hommes effrayés, qui constatent que « leur » système ne fonctionne plus pour eux, même s’ils sont des hommes. Il y a quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Ce sont les électeurs typiques de TRUMP : les fameux déçus, trahis, abandonnés, les soi-disant perdants de l’Histoire dans laquelle ils ont tant investi (la violence). Pour eux, il n’y a pas d’autre espoir que de laisser tomber le capitalisme et de participer à une réorganisation commune, en tant que travailleurs des champs ou à la maison, et des travailleurs manuels. Vous réaliserez le redressement. Vous avez besoin d’une nouvelle offre. (Un mouvement des tabliers blancs ?)

      Une grande confusion est récemment apparue à propos du concept de patriarcat en Europe lorsque l’on évoque l’immigration de jeunes hommes issus de cultures patriarcales avec des rides d’inquiétude sur le front. Premièrement : toutes les cultures sont patriarcales depuis longtemps, il n’est donc pas nécessaire de parler de multiculturalisme, mais plutôt de multipatriarcisme. Ce que nous aimerions voir, c’est le multiféminisme. Mais personne n’en parle. Ensuite, les jeunes hommes mentionnés sont confus car ils viennent de sociétés beaucoup moins patriarcales et ne comprennent pas que dans notre pays ils sont à la merci d’un hyperpatriarcat invisible, où les femmes fonctionnent encore comme policières, conductrices de camions et chefs de gouvernement. Au Yémen, un cheikh avec moustache et poignard n’est rien, un chiffre ridicule, comparé à un responsable des ressources humaines d’une grande entreprise.

      Le véritable pouvoir de ces archétypes de gloire patriarcale est anachroniquement biologique. La notion de travail est encore vague dans les sociétés mentionnées et la discipline de travail requise à l’échelle mondiale peut difficilement être appliquée. La persécution des sorcières n’a jamais eu lieu ; elle n’a lieu que maintenant, sous les auspices de l’islamisme, dans le cadre d’un mouvement de modernisation. Les immigrants venus de régions du monde aux structures moins capitalistes se retrouvent pris dans une machine qu’ils ont du mal à comprendre. Pourquoi leurs frères occidentaux – des hommes comme eux – ne se montrent-ils pas solidaires avec eux ? Pourquoi laissent-ils les femmes les diriger ? De nombreuses personnes ont du mal à s’intégrer dans un système patriarcal strict. Beaucoup désertent – ​​ils ont raison ! Bienvenue au club !

      Ainsi, même si de nombreuses régions du monde sont systématiquement moins patriarcales que les vieux pays industrialisés, la situation des femmes et de la population en général y est bien pire en termes de violence et de misère qu’elle ne l’est ici. Cela est dû au développement inégal du capitalisme et à son histoire brutale qui a dévasté le monde entier. Historiquement, le capitalisme n’est pas simplement un développement linéaire de sa logique, mais plutôt l’histoire de la résistance contre lui. Les gens ont toujours riposté et les idées d’une civilisation non patriarcale ont toujours existé, que les gens ont tenté à plusieurs reprises d’effacer. Cette résistance ne pourrait être brisée ou atténuée que si certaines parties de la population mondiale étaient capables de bénéficier, au moins relativement, de ses réalisations techniques et civilisationnelles. Le capitalisme dépend de complices. Selon les calculs d’EVI HARTMANN (slavery-foot-print.org), chacun de nous possède 60 esclaves.

      Même les personnes aux revenus modestes dans les pays du Nord participent toujours au « mode de vie impérial » basé sur l’exploitation du Sud (et de la nature – il y a 40 esclaves énergétiques en plus). Lorsque les plus défavorisés se battent ici pour des salaires plus élevés, ils défendent objectivement leur complicité avec le capitalisme. Ce qui prouve que le capitalisme ne fonctionne même pas pour ses privilégiés (voir le mouvement des « gilets jaunes »). Seul un programme de restructuration universel, au-delà de la logique du capital et de l’échange, pourra sortir de ce dilemme.

    • La civilisation des communs comme véritable alternative

      Il résulte de tout cela que le vrai féminisme est aussi le véritable anticapitalisme ; les termes sont interchangeables. Sans vaincre le patriarcat, il ne sera pas possible de vaincre le capitalisme. L’anticapitalisme est aussi la seule stratégie écologique possible. La planète ne peut être sauvée que contre le capitalisme (NAOMI KLEIN). Les Américains et d’autres forces de droite l’ont bien compris. Et c’est pourquoi la menace du changement climatique est désormais une « conspiration chinoise ». TRUMP le dit ouvertement : le mode de vie américain ne va qu’à l’encontre de la planète.

      La proposition constructive alternative est une nouvelle civilisation des biens communs.¹⁸ Comment pouvons-nous établir de nouvelles unités sociales qui existent au-delà de la séparation, de la clôture et de la comptabilité ? Pourquoi n’avons-nous pas cette discussion au lieu des belles mais finalement illusoires et ingénieuses réglementations ? L’absence de la gauche dans le débat aux Communes est inquiétante : certains craignent le terme comme les diables craignent l’eau bénite.¹⁹ De nombreuses revendications de la gauche supposent « ceteris paribus », c’est-à-dire que le capitalisme, en plus de satisfaire la demande, continue de fonctionner du mieux possible. Ils sont purement distributifs. Comment peut-on imposer des actifs élevés si leurs propriétaires ne continuent pas à réaliser des bénéfices élevés ? Comment verser un revenu de base garanti si la croissance économique s’effondre ? Comment peut-on payer un salaire égal à tous si le travail salarié disparaît ? (Il faudrait exiger les mêmes non-salaires pour un travail de plus en plus inabordable.

      Le pseudo-extrémisme de gauche ne porte pas ses fruits parce que ses destinataires ne sont pas assez stupides pour y croire. Ils veulent en savoir plus. Sans un modèle clair et cohérent d’économie réelle (économie des ménages) avec des institutions intégratrices, etc., cela ne fonctionne pas. De plus, ce modèle doit être aussi universel que le capitalisme mondial. Il ne peut pas y avoir à la fois une sécurité sociale totale en Suisse ou en Allemagne et la pauvreté dans le sud. (Cela peut exister et cela existe, mais il faut alors placer l’armée à la frontière et construire des murs, comme l’exige la droite.) Le climat ne peut pas être nationalisé, pas plus que la justice climatique. Les deux sont soit mondiaux, soit pas du tout.

      Quand la gauche se rendra-t-elle enfin compte qu’elle a depuis longtemps poussé à mort ses vieux chevaux de guerre ? Les gens qui réfléchissent sont déjà ailleurs. Plus personne ne croit aux réglementations ingénieuses, mais recherche plutôt des concepts qui remodèleront la vie quotidienne. Qui fait quoi, comment, dans quelles conditions ? Alors que la gauche veut toujours optimiser les anciennes structures, les gens pensent Nous réfléchissons depuis longtemps aux concepts de fonctionnement des nouveaux. Le facteur décisif n’est plus le niveau du salaire, mais plutôt le sens et la finalité de l’activité. Il n’existe plus de « mesures » qui puissent nous sauver. Nous avons besoin d’un modèle pour une civilisation complètement nouvelle : vivre différemment, ressentir différemment, penser différemment. Il est réjouissant de constater que la confiance dans le système capitaliste diminue partout, même aux États-Unis ; Mais avec une gauche qui fait des suggestions impuissantes, il n’y a aucune confiance dans une société post-capitaliste et post-croissance. Mais c’est exactement ce dont nous avons besoin. Il n’y a pas beaucoup d’objections aux programmes de crise et aux revendications mentionnées : bien sûr, nous souhaitons des salaires plus élevés, des emplois sûrs et une protection sociale complète. Mais vouloir exiger quelque chose de plus du capitalisme, c’est oublier que « cela » n’existe probablement plus. Malgré tout, nous l’avons, ce qui ne le rend pas inoffensif, mais plutôt encore plus dangereux, suicidaire pour ainsi dire.

      18. Parfois, je dis plutôt que biens communs : économie sensée ou métabolisme social rationnel. 19.Pas nécessairement le SP Suisse, qui a publié une brochure intitulée COMMONS (2018). En dehors des coopératives d’habitation, le terme est davantage utilisé pour désigner de petites actions locales (offrir des boîtes, etc.) et est largement désamorcé.

    • La dictature de la coquille

      L’essence du capitalisme, à savoir sa nature de machine d’exploitation, a été perdue depuis longtemps. Certains parlent de capitalisme zombie : plus rien ne vaut rien, les profits sont aussi fictifs que les salaires, mais le tissu capitaliste est obstinément défendu, à la fois par une poignée de riches et par leurs complices politiques* internes (c’est-à-dire nous). La croissance est rituellement identifiée même si elle n’existe plus, mais n’est qu’empruntée. Le « capitalisme de surveillance » (comme s’il en existait un autre) défend l’enveloppe d’une relation de pouvoir avec le contrôle social, les systèmes de crédit social comme la Chine, l’incitation ethnique et les guerres civiles. Plus les gens comprennent la « blague », plus les clowns deviennent cruels : XI « POOH » JINPING, POUTINE, TRUMP, ERDOGAN et tous les autres. Ces derniers visages du capitalisme ne dégagent même plus la fascination des vieux dictateurs comme STALINE, HITLER ou MAO. Ce ne sont que des masques de cadavres. Mais le cadavre est grand (et surtout vieux) et il est difficile de l’écarter. Plus le jeu devient illusoire, plus les gens veulent en savoir plus sur nous. L’information est la nouvelle valeur : mais quel est son but ? Que pourriez-vous attendre de nous de plus qu’une conformité superficielle ? Nous disons tous oui, chaque jour. Voulez-vous un double « oui » de notre part ? Le but n’est plus, mais le jeu cruel continue. Si la « valeur » a déjà disparu, alors les prolétaires orphelins devraient continuer à être torturés par les prix, les salaires, le contrôle du temps de travail, la bureaucratie de l’État providence, les peurs existentielles et la répression violente (en fonction de la région du monde et du niveau de compromis). Justement parce que rien n’est rentable, il faut que tout reste tel quel.

      Le capitalisme est en train de passer d’un système d’exploitation à un système de contrôle. Par coïncidence, les instruments nécessaires sont désormais disponibles pour cet étrange revirement : les technologies de l’information. Mais même si « ils » savent tout, « ils » ne peuvent pas déterminer la réalité, qui reste hors ligne. Ce à quoi nous assistons actuellement, ce sont de puissantes révoltes hors ligne, de Hong Kong au Chili. Comme le dit BRUNO LATOUR, les gens veulent récupérer leurs terres, c’est-à-dire le contrôle de leurs moyens de subsistance. Ils ne se soucient pas de vos données.

      Cette perte de sens se manifeste souvent au niveau psychologique individuel sous forme de crise de sens, de désorientation, d’arbitraire et sous forme de délires. La véritable illusion devient intériorisée. Des phénomènes tels que les théories du complot, les systèmes religieux délirants, les actes de violence sans but, la recherche de sécurité dans des systèmes d’ordre nationalistes, nostalgiques et répressifs, la régression générale et le déni des faits peuvent être expliqués de cette manière. Vous vous accrochez à l’ancien parce que vous avez peur du nouveau. Ce que nous appelons l’illumination devrait être retiré parce que même la pensée révélerait la nudité de l’empereur, et parce que la connaissance sans options d’action ne fait de toute façon que mal. Cette répression idéologique de l’ex-capitalisme correspond à la nouvelle religion de la singularité de la Silicon Valley à la KURZWEIL, THIEL, etc. En fait, c’est un retour aux cosmismes russes et autres, avec l’ancêtre GEORGE BERKELEY. Solipsisme, circularité, simulation – vie éternelle, triomphe du moi absolu, tout était déjà là. Une folie absolue. La conséquence logique finale.²⁰ L’être détermine à nouveau la conscience ou sa perte.

      L’histoire du patriarcat/capitalisme est une histoire de massacres et de traumatismes profonds (au sens physique et systémique). Cela explique la peur des changements fondamentaux et des alternatives. Ils sont plus effrayants que le capitalisme lui-même – ce que nous savons du moins. C’est comme dans certains mariages : je préfère rester avec le vieux dégoût violent plutôt que de risquer un avenir incertain. Juste la peur de perdre partout ! Nous avons donc besoin d’un programme complet de désanxiété pour surmonter ces traumatismes. Cela doit être à la fois agréable et convaincant en termes de contenu : émotions et raison doivent et peuvent aller de pair. Un tel programme n’est pas celui d’une organisation ou d’un parti unique, mais englobe toute une gamme d’interventions et de projets politiques, culturels, coopératifs et autres.

      20 : La vie éternelle. Version courte, Paranoia City 2009 ; P.M. : AKIBA, un roman gnostique. 2008 ; Il contient une bibliographie sur le cosmisme solipsiste, circulaire et simulationniste.

    • Une proposition simple et factuelle pour une alternative à l’ordre social actuel²¹

      Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? Parce qu’on ne peut rien imaginer d’autre. Parce que nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur une proposition. Au lieu de prétendre que le capitalisme existe toujours, imaginons simplement que nous pouvons gérer notre situation de manière judicieuse et faire une suggestion. Une proposition universelle pour l’avenir Les 10 milliards d’habitants de cette planète doivent respecter les limites écologiques, créer une économie durable qui réponde à tous les besoins et fournir un cadre pour le bien-être psychosocial. Il doit protéger la nature, nos forces et nos nerfs. Ces trois dimensions sont interdépendantes : les personnes qui ne peuvent pas s’entendre et coopérer ne se soucieront pas de l’environnement. La joie de vivre et la pleine conscience vont de pair. Une alternative au mode de vie actuel, c’est-à-dire une société de biens communs, nécessite un ordre territorial clair avec des fonctions assignées. On pourrait dire : la conversion nécessite une relocalisation générale, et cela est réel, pas mythologique, juste dans l’esprit. Il faut rassembler ce qui a été déchiré. Cela a d’abord une signification écologique : tout ce qui n’est pas présent au point A doit être recherché au point B, générant ainsi des distances, des déplacements de masses et donc une consommation d’énergie et des charges écologiques, quel que soit le moyen de transport utilisé.

      C’est pourquoi nous appelons cette relocalisation socio-écologique générale et globale : le retour à la maison. Mais nous voulons seulement rentrer à la maison s’il fait beau là-bas et si nous pouvons nous sentir à l’aise. Et nous ne nous sentons à l’aise que lorsque d’autres peuvent rentrer chez nous. Nous ne voulons donc pas d’un éco-ghetto pour les riches. Et pas de zones de confort exclusives dans le nord planétaire. C’est une question de retour et de nouveauté pour tout le monde. Nous ne pouvons le faire qu’ensemble.

      Une nouvelle société mondiale doit être modulaire car la justice nécessite des conditions de vie comparables. Il y a aussi l’équilibre des pouvoirs : les grandes organisations ont intrinsèquement plus de pouvoir, les petites en ont moins. Nous avons donc besoin de modules quotidiens de taille moyenne qui couvrent le plus grand nombre de besoins possible, mais bien sûr pas tous. Ils doivent avoir une définition claire, mais en même temps être adaptables aux conditions locales. La résilience nécessite de la granularité, ce serait la théorie quantique écosociale. Le plus petit quantum social est le quartier ou Glomo 1.

      Avec le premier module, appelé quartier ou module global 1 (Glomo 1), on peut déjà décrire une grande partie du cadre écologique, par ex. 1 t de CO2 par habitant et par an.²² En partageant et en coopérant, nous consommons moins, ce qui est particulièrement important en matière d’espace de vie, d’alimentation et de transport, qui représentent les deux tiers de notre impact environnemental.

      Coming Home propose cinq modules :
      1 16 million de quartiers (Glomo 1)
      2 400 000 quartiers/petites villes (Glomo 2)
      3 4 000 grandes villes/régions (Glomo 3)
      4 800 territoires (Glomo 4)
      5.1 monde (Glomo 5 )

      Cette division ne doit pas être comprise de manière normative, mais plutôt pragmatique, comme une délimitation de domaines de discussion. Il ne s’agit pas de dimensions inventées, mais plutôt de suggestions pour comprendre des domaines de la vie que nous connaissons déjà, mais qui sont aujourd’hui souvent déchirés et méconnaissables. Nous voulons simplement savoir à nouveau où nous en sommes.

      21. Une suggestion peut être trouvée sur newalliance.earth et est imprimée dans son intégralité en annexe. Dans ce texte, je fais quelques commentaires supplémentaires et je fais référence aux discussions en cours.
      22. Les limites écologiques incluent non seulement le changement climatique, mais aussi la biodiversité, l’acidification marine, le cycle de l’azote, etc. (voir Une proposition, p. 1, et plus en détail dans L’Autre Ville (Die andere Stadt). 2017).

    • Juste pour compiler les différents seen. Et merci @deun pour les traductions (même automatiques ça prend du temps) :-)

      P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 2
      https://seenthis.net/messages/1016179

      P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 3
      https://seenthis.net/messages/1016333

      P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 4
      https://seenthis.net/messages/1016334

      P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 5
      https://seenthis.net/messages/1016335

      et un lien qui parle de l’ouvrage :
      https://bibliothekderfreien.de/events/p-m-warum-haben-wir-eigentlich-immer-noch-kapitalismus-2

      L’éternel parcours de crise du capitalisme est destructeur parce qu’il ne peut pas être durable. Les paysages, les personnes, la cohésion sociale, le climat, la biodiversité sont endommagés afin de maintenir une croissance nécessaire pour que 200 billions de dollars de dettes apparaissent, au moins en théorie, comme récupérables. Le capitalisme est une machine intrinsèquement hostile à la vie. Nous en faisons partie. Mais nous pouvons la changer.

      L’auteur et philologue suisse Hans Widmer aka P.M. ("Weltgeist Superstar", « bolo’bolo », « Amberland », « Die große Fälschung »), activiste dans le mouvement des squatters et des communes de Zurich, toujours actif aujourd’hui dans la coopérative de construction et d’habitation KraftWerk1, une communauté urbaine éco-sociale qu’il a cofondée en 1995, s’arrête également à la Bibliothèque des Libres lors de sa petite tournée en Allemagne pour parler de son livre « Pourquoi avons-nous en fait toujours le capitalisme ? » (Hirnkost Verlag).

      Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

  • P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 4

    suite du post précédent
    https://seenthis.net/messages/1016333

    Le système final

    Si des centaines de milliers de manifestants réclament aujourd’hui un changement de système, il faudrait alors se demander : quel système veulent-ils « après » ? C’est rapide à dire : Commons, bien sûr. Cependant, les biens communs ne sont qu’un principe abstrait et sont très divers dans leurs formes. Ils n’en font pas non plus un système uniforme, mais toute une gamme de moyens de gagner sa vie. Le capitalisme était le dernier système homogène où tout était traité dans le même panier, à savoir la valeur.
    L’ancienne formule : 1 emploi - 1 revenu - 1 foyer familial, ou travail - salaire - consommation, n’a jamais été appliquée à la plupart des gens et est en train de se dissoudre même dans les vieux pays industrialisés. L’emploi précaire, l’économie des petits boulots, les emplois multiples, les emplois saisonniers, les entreprises individuelles et les postes à temps partiel sont de plus en plus répandus. L’emploi formel à temps plein est tout simplement devenu trop coûteux et trop rigide pour les entreprises. Le vieux système fordiste est en train de disparaître – il ne reviendra pas dans une économie des biens communs. Mais il est possible d’établir ou, pour la plupart des gens, d’atteindre pour la première fois une sécurité de subsistance dans le cadre d’une coopération territorialement graduelle.

    Selon le domaine d’activité, il y aura d’autres formes d’organisation. Une division approximative en trois parties s’impose : la subsistance dans le secteur des ménages, y compris l’agriculture, les services publics depuis les écoles jusqu’aux industries, diverses entreprises coopératives et individuelles. La subsistance doit assurer la vie quotidienne, les services publics doivent fournir tout le reste nécessaire, le troisième domaine fournit le plaisir d’avoir et, outre le respect général de la loi, n’a pas besoin d’être réglementé, simplement parce qu’il est trop diversifié : Ni l’un ni l’autre les salons et les confiseries ont besoin d’une certaine forme de planification sociale.

    En ce qui concerne les formes d’organisation, les quartiers ou Glomo 1 se définissent comme une forme sociale ou une institution de subsistance. Ils fonctionnent en interne de manière démocratique. Les tâches peuvent être réparties de différentes manières : comme tâches ménagères avec ou sans puces de contrôle (ou avec un algorithme sur l’ordinateur personnel), comme un mélange de travail rémunéré et d’obligations impayées. La création de monnaies alternatives dans ce domaine n’est pas une bonne idée car elle détruirait une répartition équitable des tâches : des quantités d’heures s’échangeraient et entraîneraient des déséquilibres entre membres efficaces et moins efficaces. Certaines tâches difficiles à attribuer car nécessitant des compétences particulières sont mieux rémunérées dans la monnaie démocratique du territoire, par ailleurs convertible.

    Les services publics seront en grande partie fournis par le biais de missions rémunérées, afin de permettre un certain degré de flexibilité et de perméabilité entre les différentes entreprises. Dans la zone Glomo 2, cependant, il peut certainement y avoir du travail non rémunéré (par exemple aider aux tâches dans les écoles, s’occuper des jardins ou des parcs, aider aux travaux d’entretien). Des devises locales sont également possibles ici, qui sont valables dans Glomo 2 et permettent un certain montant d’échange. Ils peuvent également faciliter la planification et le contrôle.

    Le troisième domaine dépend largement d’un moyen d’échange reconnu, mais il ne s’agira pas d’une dépendance existentielle. De plus, cette zone sera la plus petite, la jambe libre, pour ainsi dire.

    Cela signifiera différentes formes de travail pour chaque personne : travaux ménagers non rémunérés (prolongés) dans la zone 1, mais en retour une grande sécurité des moyens de subsistance ; mises payantes alternativement dans la gamme Glomo 2 ou Glomo 3 ; travail rémunéré dans les services publics (considérablement élargis) ; travail rémunéré ou non dans le troisième domaine. Ces formes de travail peuvent varier selon la phase de la vie, la saison, les préférences et la formation.

    Essentiellement, nous devenons tous des employés du gouvernement à temps partiel avec d’autres responsabilités rémunérées et non rémunérées. Ce qui sera dit tout de suite Il faut que le vieil État se soit transformé en une sphère de biens communs. Cependant, l’État HOBBES, l’État qui détient le monopole ultime de la violence, fait toujours partie de ce domaine. Aujourd’hui, HOBBES recevrait probablement le prix Nobel de la paix.

    Les revenus monétaires n’auront plus la même importance qu’aujourd’hui et pourraient donc diminuer. Tout ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’argent de poche convertible à l’échelle mondiale. Nous devenons donc tous des rétrogradeurs, mais pas toujours. Par exemple, cela n’aurait aucun sens qu’un chirurgien du cerveau formé à grands frais grâce aux fonds publics consacre son temps principalement à désherber, à cuisiner ou à nettoyer. Dans de tels cas, les travaux ménagers non effectués peuvent être compensés par de l’argent (car le chirurgien doit aussi manger). Il est cependant tout à fait concevable que, par exemple, les opérations sur des bases terrestres soient valorisées comme une compensation par de tels spécialistes.²⁹

    Une économie des communs ne sera pas structurée selon les industries et les entreprises, mais plutôt selon les territoires et les fonctions. Par conséquent, un tableau peut être créé qui distribue les trois zones selon Glomo 1 à Glomo 5. Le principe est : le plus local possible, le plus fonctionnel selon les besoins. Lorsque la planification est nécessaire, elle peut être conçue démocratiquement selon le principe de subsidiarité. La demande et l’offre ne jouent plus un rôle dans la production, seulement la demande et les conditions écologiques et sociales. Par exemple, un Glomo 1 discute du plan de culture agricole puis le coordonne de manière itérative avec les ressources disponibles. Les algorithmes nécessaires au support ne sont plus un gros problème aujourd’hui.

    29.Je n’utilise pas le terme justice car il peut facilement être déformé en une équité visqueuse ou même en une égalité des chances individualisée. Je préfère l’égalité définie en watts, mètres carrés, kilos, heures, kilomètres, pouvoir de vote, etc.

    Un égalitarisme dégoûtant ?

    Eh bien : nous avons cinq modules globaux et leur définition fonctionnelle qui couvre tout. N’est-ce pas brutalement simpliste ? N’y a-t-il pas des tailles différentes, des idées différentes sur la démocratie, des modèles variés, des manières différentes de vivre ensemble ? Et surtout : des cultures différentes ?

    Non. Bien sûr, c’est excitant et dramatique lorsqu’un tout-terrain climatisé fonce devant des gens qui pataugent pieds nus dans la boue. Bien sûr, la vie est plus excitante lorsque des bandes armées terrorisent le quartier. En revanche, c’est ennuyeux lorsque le groupe de yoga danois se réunit au centre communautaire. Une proposition ne génère pas en soi de diversité ou d’enthousiasme, elle constitue simplement une plate-forme raisonnable pour une vie normale. Mais c’est en même temps la condition préalable à des formes de diversité plus souples. pauvre/riche, impuissant/puissant, impérial/exploité. On peut alors encore discuter de HEGEL contre SCHOPENHAUER, ACDC contre MOZART, élégant contre décontracté, Bordeaux ou Chianti, Bauhaus ou Heimatstil, baguettes ou couteau et fourchette, Noël ou Ramadan. Tout comme la « culture », la diversité n’est souvent qu’un terme de couverture pour réprimer le désir général d’une existence sûre et heureuse pour chacun. Nous voulons des territoires ennuyeux pour tout le monde. Les autres sont passionnants, nous sommes ennuyeux mais utiles. Les données montrent que les gens sont plus heureux dans les pays ennuyeux et que les grands mouvements migratoires, par exemple du Danemark désolé vers le Congo dramatique, ne sont pas vraiment observés.

    Évidemment, défendre les inégalités par le pluralisme ou la diversité (la diversité n’est pas une vertu en soi) est cynique. Cela s’applique également aux relativistes pour qui la démocratie n’est qu’un phénomène occidental, alors que d’autres régions, comme par exemple B. La Russie ou la Chine ont besoin d’une « main forte ». Le soulèvement de Hong Kong montre que le peuple chinois n’est pas génétiquement autoritaire et souhaite autant que nous la démocratie.

    Les modules proposés ne sont pas des constructions isolées, mais correspondent plutôt à une variété d’unités existantes qui nécessitent simplement d’être réajustées. Bien que clairement définis, ils ont un large éventail de mises en œuvre et peuvent être adaptés à des situations spécifiques partout. Bien qu’elle semble radicale, la proposition Glomo est en réalité réformiste, incroyablement réalisable, pour ainsi dire. Les deux innovations les plus importantes sont les quartiers Glomo 1 et les territoires Glomo 4, ce sont donc aussi les plus difficiles à mettre en œuvre. En revanche, les services municipaux (Glomo 2) et les régions urbaines (Glomo 3) existent déjà de diverses manières. Former. Souvent, elles ont simplement émergé des frontières administratives historiques existantes pour répondre à des nécessités infrastructurelles – en tant qu’associations spécialisées de communes ou, en Suisse, de cantons. Il suffit de les réécrire, de les renforcer, de les condenser et de les centraliser.

    La provincialisation des nations (BRUNO LATOUR) se heurte à de grandes traditions historiques. Mais l’histoire n’est pas une excuse, elle est là pour être répétée encore et encore.

    Nous avons donc besoin d’une proposition qui ne soit pas seulement composée d’adjectifs et d’appels aux partis et aux gouvernements, mais qui définisse plutôt exactement à quoi elle devrait ressembler. Si nous ne sommes pas d’accord sur une proposition, tout restera tel quel. La « péréquation », c’est l’égalité rendue concrète. On pourrait aussi dire de manière un peu plus pathétique : justice.³⁰ Et c’est ce que nous voulons.

    30.Une fois, j’ai trié des pommes de terre dans un champ avec un médecin-chef. Était amusant.

    « Our home is our castle »

    En ce qui concerne les résistances et les obstacles « culturels », ils sont aussi connus que triviaux. Les Français sont trop individualistes, les Grecs trop familiaux, les Américains sont attachés à l’accession à la propriété, les Britanniques disent : « Ma maison est mon château », les Allemands veulent construire des maisons partout, les Européens de l’Est détestent tout ce qui sent la coopération. , coopératives et propriété commune parce qu’ils sont étiquetés comme des enfants de l’époque du capitalisme dirigé, les Turcs sont très nationalistes, dommage ! Pitié ! etc. Cependant, il existe suffisamment de contre-exemples dans tous ces pays. 800 millions de personnes dans le monde sont déjà membres de toutes sortes de coopératives.

    Se débarrasser des résistances particulières est la tâche de tous ceux qui veulent réaliser une proposition universelle. C’est trivial : Rien n’est facile. Nous le savions déjà. Il ne s’agit pas de trouver les raisons pour lesquelles quelque chose ne fonctionne pas, mais d’abord de définir des objectifs, puis d’éliminer les obstacles sur le chemin. Dans ce contexte, le « récit de vie » doit changer. Aujourd’hui, le logement est essentiellement un mouvement de réfugiés. Après avoir été aliénés au travail, nous avons besoin d’un espace de résonance où nous pouvons à nouveau être nous-mêmes, entourés de nos proches et des choses. Habiter, meubler, jardiner sont des actions de substitution dans un monde hostile qu’on ne peut ou ne veut changer. Les dommages psychologiques et mentaux doivent être réparés et compensés afin qu’une nouvelle journée de travail soit possible. Le logement sert à reproduire la force de travail. Alors que dans le passé cela signifiait essentiellement une reproduction physiologique – manger, dormir, produire des enfants – les formes de travail (ou formes de conneries) d’aujourd’hui nécessitent de plus en plus de formes de reproduction psychologiques et cognitives. Nous avons besoin d’autres expériences plus significatives le week-end et surtout pendant les vacances, d’une simulation de la « vraie vie » dans les clubs, les villages rustiques, les plages isolées. « Sense » est aussi un produit de consommation. Les établissements de maisons unifamiliales simulent des modes de vie et des communautés de village et autosuffisants. Malheureusement, cela devient de moins en moins efficace aujourd’hui, d’une part parce que le stress au travail est devenu encore plus grand, et d’autre part parce que les réfugiés se dérangent les uns les autres dans leur isolement : si tout le monde fait la même chose, alors c’est une forme de consommation de masse, quoi qu’il arrive. Les plans et les modèles tout-terrain sont personnalisés. Les maisons se gênent les unes les autres. Entre burn-out et smog des grillades, la reproduction n’est plus réussie. Les drames familiaux s’accumulent. Ecologiquement, c’est de toute façon une catastrophe.

    Glomo 1, véritables palais prolétariens, offrent une issue à la fois pragmatique et systémique à cette situation difficile. De nouveaux types de coopératives, comme Kalkbreite ou plus que vivre à Zurich, offrent davantage de rencontres réelles, d’expériences partagées et plus de confort pour chacun. De plus, y vivre est moins cher, et pas seulement en raison du coût inférieur à celui des loyers du marché.³¹ Le « récit de vie » peut être promu en propageant, illustrant et racontant des histoires sur la nouvelle vie de palais. Ce que les vieux bourgeois appréciaient tant dans leurs grands hôtels (Palace, Excelsior, Eden, Bellevue...) et ce que les néo-prolétaires déportés en masse apprécient dans les stations balnéaires du sud de la Turquie ou de la Thaïlande peuvent faire partie de la nouvelle vie quotidienne. Nous pourrions avoir une belle maison, profiter de plus de luxe tout en respectant les limites écologiques et en travaillant moins. Les Glomo 1 Rolls-Royce, Chevrolet ou Maibach deviennent les symboles de ce nouveau récit : une voiture de luxe partagée coûte moins cher que 200 Dacias moisies, et elle a plus de style lorsqu’elle se rend aux noces d’or ou que la belle-mère vient chercher chez elle. la gare. Les objets solides partagés sont écologiques, les montres s’achètent pour les petits-enfants, la garde-robe du microcentre est inépuisable, on peut s’offrir des meubles en bois massif faits à la main. Nous pourrions vivre comme des princes si nous nous ressaisissions. Ou tout simplement comme les hipsters, les LOHA ou les néo-hippies. Nous sommes ouverts aux suggestions. Il n’est pas nécessaire que ce soit la Belle Epoque. C’est ce récit qui est subversif, et non les modèles d’offre du minimum existentiel. C’est plus social que les logements sociaux.³² Il s’agit donc de convaincre les néo-prolétaires qu’ils devraient vivre dans des palais.³³

    31.Voir gérer ensemble. Redémarrer la Suisse 2019.
    32. Les discours dépassés conduisent souvent à ce que les logements sociaux construits dans certaines coopératives soient plus grands et plus luxueux que ceux des membres des coopératives normalement rémunérateurs, qui ont depuis longtemps d’autres priorités.
    33. Les sociaux-démocrates plus âgés se souviennent peut-être encore de l’article de leur camarade de parti KARL BÜRKLI dans la loi populaire du 18 juillet 1898, qui proposait des palais sociaux, populaires, prolétaires ou de consommation sur le modèle des palais bourgeois : « Il en existe des centaines les palais bourgeois en Suisse, nos hôtels pour étrangers sont mondialement connus et exemplaires par le confort qu’ils offrent aux étrangers ; Mais dans un hôtel comme celui-ci, aussi grand soit-il, avec des chambres et des chambres pour des centaines d’étrangers, vous ne trouverez qu’une cuisine, qu’une cave, qu’un restaurant, où chacun peut commander à la carte ou à table. On peut dîner dans une hotte, exactement comme dans le palais du prolétaire, en plus raffiné, mais aussi plus cher.

    Des palais pour 10 milliards de personnes

    Cela peut paraître cynique de demander aux prolétaires du monde entier de vivre dans des palais. Cela ne fonctionnerait pas non plus dès le début. Bien entendu, la mise en place d’un bien commun mondial implique un gigantesque transfert de ressources des régions impériales vers les régions exploitées afin qu’elles puissent construire leurs glomos. Il s’agit de milliers de milliards de dollars, et non de maigres milliards. Et il ne suffira pas de taxer quelques milliardaires. Il peut paraître naïf de simplement proposer un plan de financement de la restructuration mondiale. Puisqu’il n’y a actuellement aucun acteur approprié en vue (ou est-ce que nous ne les voyons tout simplement pas ?), cet exercice semble superflu. Il ne peut donc s’agir que de principe (justice climatique mondiale) et de quelques dimensions. Alors que les pays industrialisés du nord disposent de quelques infrastructures hypertrophiées, celles-ci manquent au sud planétaire : hôpitaux, écoles, transports publics, systèmes de communication, énergie, eau, équipements mécaniques. Un détournement correspondant et temporaire des investissements sera donc nécessaire.³⁴ Si nous utilisons 5 millions de dollars chacun pour les 16 000 000 de quartiers (Glomo 1), alors un montant d’investissement de 80 000 milliards de dollars sera nécessaire (le PIB mondial actuel : 77 000 milliards). Ce serait irréaliste. Le nombre de 5 millions est arbitraire, mais quelque peu plausible. Au nord, 5 millions de dollars, ce n’est pas beaucoup et suffisent à peine pour transformer un quartier et son territoire (microcentre, etc.).

    Dans les pays du Sud, on peut réaliser dix fois plus avec 5 millions de dollars, ce qui est juste et nécessaire. Le fait que nous, les soi-disant 99 %, ne possédons que la moitié de la richesse mondiale semble scandaleux, mais cela peut aussi être considéré comme positif : nous possédons 50 % des actifs, et il est temps pour nous de faire quelque chose de raisonnable avec il. Certains d’entre nous (99 %) reçoivent un salaire décent et pourraient se permettre de contribuer au relooking de Glomo. D’autant plus que cela réduirait également leur coût de la vie. Puisque la restructuration des quartiers des pays riches peut facilement être financée par les fonds d’investissement normaux, nous n’avons besoin que de financements supplémentaires (ou des ressources ainsi obtenues) pour les 30 % les plus pauvres, soit 2,5 milliards de personnes, soit 27 000 milliards de dollars. Réparti sur vingt ans, cela représenterait 1 350 milliards par an, ce qui est faisable. Ce n’est pas que les masses laborieuses vivent au bord de la misère et n’ont pas l’argent nécessaire pour réaliser leurs propres investissements collectifs. L’exemple des coopératives montre que même de petites contributions constituent un levier suffisant pour construire Glomo 1.³⁵ Il existe des exemples similaires dans le monde entier. Au lieu d’investir dans des maisons de campagne idiotes, des grosses voitures et des déchets de consommation, les gens ayant des revenus normaux peuvent aussi se libérer des chaînes du mode de vie impérial (la cage du consommateur, comme l’appelle TIM JACKSON). Ainsi, si nous le souhaitons, nous pouvons financer nous-mêmes la conversion sans avoir à exproprier des milliardaires. Sortez une fois de moins, sautez un iPhone et la planète est sauvée. Nous avons aussi suffisamment de temps pour nous rencontrer et nous organiser : il suffit de passer quelques soirées sans regarder des séries télévisées ni jouer à des jeux informatiques. (Nous pouvons organiser nous-mêmes le dîner parfait et l’utiliser pour des initiatives subversives – cela le rendrait vraiment parfait.)

    Si l’on prend l’exemple de la Suisse, alors 1,35 billion équivaut à 9,045 milliards proportionnellement aux 0,67% que cela représente dans le PIB mondial. Les salariés suisses gagnent 400 milliards (francs ou dollars) par an. Les 9,045 milliards correspondent à 2,26% de celui-ci, soit 142 francs du salaire médian actuel de 6’300 francs. Ce n’est guère plus qu’un pourboire. Il est préférable que les coopératives mondiales du nord organisent leurs fonds autogérés et envoient les ressources directement aux coopératives Glomo 1 du sud (ou de l’est). Partager et coopérer sont également possibles dans le monde entier.³⁶ Ce qu’il faut cependant, c’est un concept global convaincant et attrayant ainsi que de nouvelles formes d’organisation. Les salariés ont les ressources nécessaires, le problème est en train de se rassembler, un mouvement d’autonomisation. Au lieu de subvenir aux besoins des gens, il s’agit de les mobiliser pour qu’ils puissent s’aider eux-mêmes. Il n’y a pas d’idée plus subversive.

    34.Voir Le livre uniquement. Nouveau départ en Suisse 2017 : si les dépenses de consommation sont réorientées vers l’investissement, le développement économique peut être contrôlé de manière relativement harmonieuse. Voir TIM JACKSON.
    35.Dans le modèle zurichois, environ 6 % de fonds propres sont nécessaires pour réaliser un développement coopératif. BOUDET, p.248
    36.Voir urbamonde.org ; Les coopératives d’habitation en Suisse et en Suède ont des projets partenaires dans les pays du Sud.

    Faire de la politique pour les biens communs est possible.

    C’est très bien, un modèle mondial logique sans moteurs de croissance, sans guerre et sans exploitation : nous en avons déjà vu quelques-uns. Le point crucial est probablement la mesure dans laquelle un tel modèle (et il s’agit d’un modèle et non d’un manuel d’instructions tout fait) peut être utilisé dans une mise en œuvre concrète. La réponse est : c’est crucial.

    Glomo 1 par ex. B. n’ont de sens que s’ils sont vus dans leur intégralité, sinon ils finissent par devenir des îlots mourants de personnes bienheureuses. Dans de nombreuses villes, il existe des initiatives qui, en tant que coopératives, s’efforcent plus ou moins de défendre les valeurs fondamentales de Glomo 1 (selon la situation et les possibilités ; voir Coming home. 2019, à partir de la p. 70). De telles têtes de pont du futur deviennent généralement automatiquement des facteurs puissants dans les mouvements de quartier (Glomo 2) et façonnent de plus en plus la politique à l’échelle de la ville (Glomo 3). Ce n’est pas un hasard si des ONG mondiales ont des bases ou des bureaux dans plusieurs Glomo 1. Glomo 1 a un potentiel qui va bien au-delà d’une belle vie pour quelques-uns - s’ils le souhaitent.

    Dans les initiatives « territoriales » (ou malheureusement nationales) actuelles, un modèle global joue un rôle majeur. Si nous voulons utiliser moins de terres et d’énergie, il faut créer des modes de vie qui rendent cela possible. Dans le cas contraire, les réglementations purement écodictatoriales, qui se font une fois de plus au détriment de ceux qui gagnent moins, seront rejetées (voir Gilets Jaunes). Les villes peuvent ou non encourager les quartiers coopératifs ou les centres de services locaux. Lorsqu’ils le font, le trafic source diminue et vous pouvez vivre sans voiture sans ressentir de perte de confort.

    Le modèle Coming Home peut être utilisé comme une boussole à tous les niveaux, ce qui est particulièrement important lorsque vous êtes obligé de faire de petits pas. Ou plus précisément : à un moment donné, l’éco-activiste de base arrête de trimballer des cartons de légumes si elle ne sait pas qu’elle le fait dans un contexte global potentiellement fonctionnel. Les humains sont des êtres universels depuis le début. Sans ces dimensions, ils dépérissent. En pratique, la métaphore ascendante ou descendante est inutile, voire nuisible. Les gens sont déjà hiérarchisés parce qu’ils ont la tête haute.

    Même si la gauche préfère lutter pour de grandes régulations (dont certaines sont tout à fait logiques), elle démobilise et démoralise de nombreuses personnes, qui sont réduites à des bénéficiaires, des ayants droit, des nécessiteux, des bénéficiaires et des victimes. Ce n’est que lentement qu’elle commence à comprendre qu’il existe des possibilités d’action (par exemple la création de Glomo 1) qui sont également ouvertes aux personnes ayant peu de revenus et qui mobilisent au lieu de simplement fournir. Il est typique que Macron dépense de l’argent mais ne fasse rien pour aider les personnes isolées en banlieue dans leur réorganisation territoriale et sociale.

    Pris au piège, évanoui dans des filets

    Contrairement au modèle Coming Home défini territorialement/institutionnellement, de plus en plus de réseaux et d’optimisations des transports sont aujourd’hui proposés pour résoudre les problèmes. Bien entendu, le réseautage et la communication en général sont toujours nécessaires. Cependant, les modèles de mise en réseau souffrent du fait que les réseaux peuvent facilement se briser en raison de leur nature non contraignante et qu’ils peuvent être manipulés de manière hétéronome (Internet). En fin de compte, la question est de savoir qui est l’administrateur. Les réseaux, y compris les réseaux de transport, créent des dépendances, surtout lorsqu’ils sont organisés selon des logiques de marché et laissent les usagers tranquilles. Il ne s’agit pas d’optimiser les moyens de transport ou de rendre Internet plus rapide, mais plutôt de générer moins de trafic et de rendre l’information plus utile et démocratiquement contrôlable. C’est pourquoi, comme antidote à la folie générale des réseaux, il est important de former davantage de noyaux, davantage de communautés hors ligne qui communiquent en face-à-face, coopèrent et produisent des pommes de terre.

    La plupart des « communautés » ne sont que des plateformes. Compte tenu de notre socialisation hyper-individualisée, les obligations personnelles sont perçues comme fastidieuses et ennuyeuses. Mais en fin de compte, nous ne pouvons pas l’éviter : les liens brisés doivent être reconstruits. Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront de manière manipulatrice. Nous avons déjà suffisamment de réseaux, maintenant nous, les utilisateurs, devons nous réunir en personne. Nous ne voulons pas mourir de faim avec un smartphone à la main ou sur l’écran après le dernier clic de souris.

  • P.M. Pourquoi avons-nous encore le capitalisme ? (2020) - Partie 5

    suite du post précédent
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    Y a-t-il une stratégie ? Et sinon, que fait-on alors ?

    La stratégie vient du grec stratège, général. Et comme nous le savons, la première victime d’une bataille est le plan de bataille. Parce que nous ne voulons pas d’un général, il ne peut y avoir de stratégie, seulement une variété de voies pour sortir du capitalisme. Les points de départ de la restructuration globale sont partout. L’idée d’une révolte générale qui mènerait à une révolution et à un monde nouveau presque du jour au lendemain est non seulement illusoire mais néfaste. Contrairement aux fantasmes de divers futurs généraux, le changement doit s’effectuer avec précaution, prudence et progressivement, car ni l’environnement ni nos nerfs ne peuvent tolérer des actes de force grandioses. Pas même quand c’est urgent. Les dramatisations exagérées ne conduisent pas à des solutions viables.

    Démanteler la chimère du « travail » prend du temps. Partager et coopérer sont difficiles et doivent s’apprendre. Reconstruire la confiance fondamentale qui a été détruite au fil des milliers d’années nécessite de la persévérance et une grande tolérance à l’égard de la frustration. Le progrès consiste en des échecs répétés et des rebondissements, il s’agit donc plus d’un trébuchement que d’une avancée heureuse vers un avenir radieux. Ce que nous pourrions imaginer, ce seraient des scénarios typiques de changement.

    Par exemple, il y en a un pour un Glomo 1 :

    Comment est né le quartier EMMA

    Tout a commencé lorsque FRANZISKA et ENRICO ont rejoint la coopérative maraîchère d’Ortonovo, qui produisait des légumes pour 200 ménages sur deux hectares de terrain à quelques kilomètres des limites de la ville. Chaque jeudi, un sac de légumes mélangés était livré dans un dépôt situé à environ 300 mètres de chez elle. Ils trouvaient cela très peu pratique, mais ils auraient eu besoin de quelques membres de plus pour avoir leur propre dépôt. FRANZISKA et ENRICO ont réussi à motiver une famille, une colocation et deux autres personnes à participer - et maintenant la question s’est posée : comment et où déposer ? Par coïncidence, un petit magasin au milieu du quartier fermait ses portes. Puis EMILIA a dit : "Pourquoi ne louons-nous pas le magasin ensemble, nous pourrions alors faire plus de courses ensemble, avoir un dépôt et un autre point de rendez-vous ?" C’est ce dont nous avions besoin.
    Il y avait d’autres résidents qui étaient intéressés parce qu’il fallait payer le loyer. A cet effet, les Ortonovo et quelques autres ont fondé l’association MA pour le restaurant de la rue Emma.

    654 personnes vivaient dans un rayon d’environ 100 m. Cela s’est avéré parfait car la proximité était importante pour que le magasin MA puisse être facilement accessible à pied et en une minute. D’un autre côté, le nombre de participants possibles ne doit pas être trop grand afin que l’organisation ne devienne pas trop complexe et que l’identification personnelle reste possible. La confiance a besoin de visages familiers.

    Dès l’ouverture du magasin MA, il est devenu évident qu’il fallait un superviseur/organisateur/administrateur rémunéré pour organiser les commandes et le travail bénévole. GIORGIO de la colocation avait l’envie et le temps. Il faisait son travail avec brio et considérait le magasin MA comme une installation artistique. Il avait l’air différent chaque semaine.

    Dans le magasin, quelqu’un a installé un panneau d’affichage où l’on pouvait échanger toutes sortes d’articles ménagers, d’appartements et de chambres, de services, d’offres de soins, etc.

    Comme les livraisons et la demande ne correspondaient jamais vraiment, KARIM a eu l’idée que les gens pouvaient cuisiner et manger ensemble avec les restes de nourriture. Le magasin était trop petit pour ça. Mais un restaurant voisin a fait faillite. Entre-temps, de plus en plus d’habitants* se sont impliqués dans l’association MA et le restaurant a donc également été repris par une équipe employée par l’association. Le mur du magasin a été brisé. Une sorte de centre de quartier a émergé, entretenu par un mélange d’une équipe de base rémunérée et d’un cercle croissant de bénévoles non rémunérés.

    Entre-temps, Ortonovo, avec une ferme voisine, produisait également des produits laitiers, des œufs et de la viande. Le magasin pourrait être agrandi en ajoutant un appartement au rez-de-chaussée. « Nous avons besoin d’un atelier », déclare alors FLORA, car de plus en plus d’habitants souhaitent réparer les choses au lieu de les jeter. Par hasard, un autre emplacement attenant à une boutique de mode en faillite est devenu disponible.

    Le centre MA est devenu une sorte de salon et de salle à manger pour les résidents. De plus en plus de fonctions et d’espaces ont été ajoutés : un appartement juste au-dessus du restaurant a été transformé en maison d’hôtes, une laverie avec de grandes machines à laver écologiques a été aménagée et un serveur de sacs a été mis en service pour les membres. On pouvait donc boire un café, utiliser l’intranet et attendre la lessive.

    Enfin, certains propriétaires voisins étaient prêts à vendre leur maison à l’association MA à condition qu’elle se transforme en coopérative à but non lucratif. Cela s’est produit immédiatement. Cela signifiait que de plus en plus d’espace de vie pouvait être échangé entre les membres selon les besoins et mieux utilisé. La surface habitable par personne pourrait être réduite sans aucune perte de confort. De plus, les espaces de vie abordables ont été conservés et retirés du marché. La menace de gentrification a été stoppée. Les petites maisons ont été démolies pour faire place à des bâtiments plus compacts. De nouveaux bâtiments ont été construits sur des terrains vacants et certains greniers ont été aménagés en logements. Des rénovations écologiques plus importantes en valaient également la peine. L’équilibre écologique global s’est amélioré. La vie est devenue moins chère. De plus en plus de membres réduisaient leur travail rémunéré et disposaient ainsi de plus de temps pour le travail de quartier. Cela a encore réduit le coût de la vie et rendu la vie locale plus colorée. Un coin de quartier cosy a été créé juste en face du centre MA. Certains se demandaient même s’ils avaient vraiment besoin de vacances.

    Lorsque les habitants des environs ont vu à quel point EMMA fonctionnait bien, ils se sont dit : ce qu’ils peuvent faire, nous le faisons depuis longtemps. C’est ainsi que BERTAS, CLARAS, DORAS, OTTOS, OLAFS, ALIS etc. ont émergé tout autour et dans toute la ville.

    Un jour, ANTONIA est apparue au bar avec un livret en couleurs intitulé : Coming Home. « Écoutez, s’est-elle exclamée, nous avons involontairement créé un quartier multifonctionnel basé exactement sur ce modèle ! Nous sommes assis ici dans le microcentre, avons organisé l’approvisionnement direct en nourriture à partir d’une base terrestre, partageons le travail et le plaisir et coopérons sur place !" "Une telle coïncidence", répondit ENRICO avec un large sourire.³⁷

    Bien entendu, ce scénario est beaucoup trop fluide. En réalité, nous nous attendons à des revers, des goulots d’étranglement financiers, un manque d’intérêt, des intolérances personnelles, des absences de personnes actives, etc. Mais un tel scénario venant d’en bas pourrait fonctionner dans de nombreuses situations : dans les développements péri-blocs des centres-villes, comme une coopération entre de plus grandes des immeubles d’habitation en périphérie de ville ou en Agglomération, dans des petites villes ou encore dans des petits villages et hameaux. (Vrin, dans le canton des Grisons, serait un exemple souvent cité.)

    37.Le projet EMMA est une synthèse d’une grande variété d’approches, de projets et de coopératives existants.

    Grumakro : Un conte de fées aux portes d’une grande ville

    La grande ville pense qu’elle doit croître ou périr. La nouvelle devise est la densification : là où quatre personnes vivent aujourd’hui, vingt vivront demain. Mais comme on manque de place, on construit plus haut : dix, vingt étages. Le taux d’utilisation s’élève à 4, ce qui correspond à des immeubles de grande hauteur. Mais à côté de la zone à développer se trouvent 100 maisons unifamiliales plus anciennes qui ne sont pas incluses dans le processus de planification. À l’avenir, vos habitants devront contempler des murs de 60 m de haut qui projettent leur ombre sur leur jardin. Cette absurdité est justifiée par une densification compensatoire : étant donné que les maisons n’atteignent qu’une utilisation de 0,5, il faut des immeubles de grande hauteur, qui atteignent alors une densité moyenne d’environ 2 (ou 200 %), ce qui est raisonnable pour une ville. Ceci est comparable à des villes comme Paris, Barcelone ou Berlin, considérées comme attractives. Il faut beaucoup de gens proches les uns des autres pour que beaucoup d’échanges soient possibles, beaucoup de rencontres, de résonances, d’émotions, d’art, de culture et de plaisir. La densité est donc bonne, mais pas comme ça.

    Les habitants des maisons ont commencé leur lutte contre l’urbanisme de la ville. Elle s’est comportée avec arrogance : Nous faisons ce que nous voulons sur nos terres ; vous n’êtes que des anti-urbains nostalgiques, d’éternels empêcheurs de Nimby³⁸ ; et de toute façon : tout est déjà prévu, tu es en retard. L’amertume mutuelle s’accrut ; Des corrections esthétiques ont été apportées à la planification et un petit parc a été promis. (Des immeubles de grande hauteur, mais des petits parcs : un vieux truc ! Mais que fait-on dans un petit parc ?)

    Mais un jour, des représentants de l’une des coopératives les plus récentes³⁹ sont venus dans le quartier et ont présenté un plan alternatif incluant les maisons. Les propriétaires du chalet n’ont pas été amusés. Leurs maisons étaient leurs châteaux. Les coopératives ont proposé de démolir toutes les maisons et de construire trois grands Glomo 1, avec une utilisation moyenne d’environ 200 %. Il s’agissait d’immeubles en bloc avec une grande cour intérieure, de cinq à huit étages. Ils ont déployé beaucoup d’efforts pour illustrer le nouveau plan avec un croquis coloré.

    Cela aurait signifié un microcentre avec un restaurant, une boutique et un espace commercial tous les 100 m. Une partie vivante du quartier serait créée, écologiquement correcte, économiquement favorable et socialement attractive. Les propriétaires de la maison étaient choqués : de quel genre de faux amis étaient-ils ? Encore une fois, quelqu’un voulait planifier au-dessus de sa tête. Ils étaient aussi mauvais que les bureaucrates de l’urbanisme de la ville.

    Quelques années se sont écoulées ainsi. La ville a continué à planifier, les politiques ont fait pression sur elle, notamment à gauche : il fallait de l’espace habitable. Puis un jour FRIEDRICH dit à SILVIA : « En fait, ce n’est pas si drôle dans ces vieilles maisons. Certains ont déjà du mal à monter les escaliers. La maintenance devient de plus en plus difficile. Les magasins et les bars ont disparu depuis longtemps. Il n’y a aucun contact avec les voisins. Que défendons-nous réellement ? » SILVIA se leva. « Il y avait ce croquis des membres de la coopérative… » Elle a compris.

    « Au fond, ils veulent bien. Un bel appartement au rez-de-chaussée avec un jardin commun dans la cour arrière, sans escalier, loyer bon marché. Si nous apportons nos terres en guise de part coopérative, cela ne nous coûtera rien.

    « Pourquoi ne créons-nous pas nous-mêmes une coopérative ? » dit FRIEDRICH.

    Et c’est ce qui s’est passé. Entre-temps, les représentants de la coopérative avaient réalisé un nouveau croquis qui faisait office de plan de développement. Des bâtiments normalement denses seraient construits dans la zone urbaine, qui pourraient ensuite être progressivement transformés en trois grands quartiers en bordure d’îlot où les maisons disparaissent. Tous les propriétaires n’ont pas rejoint la coopérative Grubakro, mais il y en avait suffisamment pour un gros article dans le quotidien : « Les propriétaires sacrifient leurs maisons pour un développement coopératif. »⁴⁰ Du jamais vu !

    Ainsi, ces habitants de leurs petits châteaux tentent de changer leur « récit de vie ». Nous ne savons pas comment se termine le conte de fées. Peut-être que la ville l’emportera après tout. Peut-être que trop peu de personnes rejoignent la coopérative. Mais il a été prouvé que l’un des « récits de vie » les plus tenaces, le rêve de posséder sa propre maison, a été surmonté.
    peut être. Une lutte défensive peut devenir un mouvement de renouveau. Quand tu sais ce que tu peux souhaiter.

    Si cela peut se produire à Zurich, pourquoi pas dans le monde entier ? Fini le vieux récit !

    38. « Pas dans mon jardin » : des empêcheurs de construction égoïstes et mentalement limités.
    39.Voir BOUDET, DOMINIQUE (éd.) : Coopératives d’habitation à Zurich, cités-jardins et nouveaux quartiers. Livres du parc 2017.
    40. https://www.tagesanzeiger.ch/zuerich/stadt/Diese-Zuercher-baren-ihr…/11263101 .

    Le rôle de la politique

    Des scénarios sont également envisageables où une ville, voire un territoire, décide de soutenir et d’initier spécifiquement des initiatives Glomo 1. Cela pourrait également se produire dans le cadre d’IBA, comme le suggère la coopérative Lena de Bâle. Ces scénarios s’écartent du politique en rallier des partis ou des associations à ce modèle. Le problème est souvent que les habitants attendent le salut des acteurs politiques et des institutions et que le désir et l’énergie de participation active sont laissés de côté. L’autonomisation doit être directe, générale et avoir une base économique (Glomo 1). L’État ne devrait pas créer des Glomos, mais plutôt donner aux habitants les moyens de les construire eux-mêmes. C’est une grande différence avec les initiatives réglementaires grandioses que nous vivons et rejetons chaque année en Suisse.
    Peut-être que les gens sont plus sages que les initiateurs.

    En général, les changements et initiatives sociales fondamentales n’atteignent le niveau gouvernemental qu’une fois qu’ils ont déjà eu lieu. Les gouvernements sont des réactions qui ne font que réguler, traiter légalement et généraliser le changement qui s’est produit. C’est absolument nécessaire. Mais cela signifie aussi qu’il est vain de se contenter de faire appel aux « responsables » (comme c’est actuellement la mode parmi les philosophes et les scientifiques de PRECHT à WELZER et LESCH) et d’attendre qu’ils agissent. Cela se transforme alors rapidement en une situation d’offre paralysante. (« Nous avons le droit de… » Personne n’a le droit à moins d’avoir le pouvoir.)

    Initiatives de quartier : points de départ et expériences

    Les scénarios Glomo 2, dans lesquels une initiative citoyenne se bat pour un ABC, par exemple, se produisent encore et encore. La revitalisation des centres de quartier est une préoccupation qui se poursuit un peu partout. Cependant, la « sous-structure » du Glomo 1 fait souvent défaut et des problèmes surviennent lors de l’appropriation même des lieux ou des bâtiments centraux. Personne ne se sent vraiment responsable, les parcs et les places deviennent déserts et il y a un problème avec la programmation du centre culturel et intellectuel. La culture et le divertissement ne suffisent pas à animer un centre ; il faut y ajouter les fonctions indispensables du quotidien, notamment l’organisation politique.

    La plupart des initiatives au niveau Glomo 2 consistent à empêcher les développements : centres commerciaux, rues, projets de prestige, développements à grande échelle (voir Grumakro), immeubles de grande hauteur, etc. Celles-ci peuvent aussi devenir des initiatives positives ; Cependant, les mouvements purement défensifs échouent souvent parce qu’il n’existe aucun modèle de transformation appétissant.

    Il vaudrait donc mieux ne pas dire ce que l’on ne veut pas, mais plutôt ce que l’on veut dans un certain domaine. Ce sont alors les entreprises de construction ou le secteur public qui font la prévention. Mais il est généralement plus facile de savoir ce que vous ne voulez pas que ce que vous voulez. Pourquoi au fait ?

    La résistance est souvent nécessaire, mais elle ne permet pas à elle seule d’aboutir à des changements véritablement profonds. Vous vous retrouvez souvent avec des douleurs au cou ou une dépression.

    L’expérience a montré qu’il est généralement plus facile de mettre en place des initiatives de quartier que des projets de quartier. Il est plus facile de trouver une douzaine de personnes partageant les mêmes idées parmi 20 000 concitoyens que de trouver les 500 membres de la coopérative nécessaires à un Glomo 1. Les initiatives visant à créer des prototypes d’ABC, c’est-à-dire des points de rencontre de quartier, des bars de quartier, etc., réussissent souvent davantage. plus vite que vous » sous-structure logique », les coopératives.

    L’un de ces projets est le L200 à Zurich. Il s’agit d’un magasin d’environ 100 m² situé dans l’une des rues de divertissement les plus importantes de Zurich, la Langstrasse. C’est une rue typique de la vie nocturne près de la gare avec des discothèques, de la prostitution, des stands de saucisses, peut-être comparable à la Lange Reihe de Hambourg. Le loyer étant très élevé, environ 40 groupes et organisations participent à l’utilisation de l’espace : la coopérative d’habitation Nena1, l’organisation d’asile de Zurich, qui propose des cours d’allemand sans rendez-vous, ainsi qu’un groupe de discussion sur le thème du sens à la vie et à la mort. et de transition, divers petits commerces, l’initiative de quartier 5im5i, une troupe de théâtre, etc. Parfois, des partis politiques y tiennent également des réunions.

    L200 fait office d’espace de co-working, de point de rencontre, de lieu d’événement, de salle de cinéma improvisée, d’atelier. Les locataires des appartements situés au-dessus du restaurant utilisent occasionnellement la cuisine pour dîner ensemble. L’excellent emplacement présente l’avantage que les noctambules des environs entrent également en contact avec les initiatives de la ville et que la bulle gauche-verte est quelque peu brisée. Comme partout ailleurs, la ville est gouvernée par la coalition gauche-verte, tandis que l’UDC de droite (comparable à l’AfD) règne dans le canton. L200 s’inscrit dans le cadre d’une rénovation de quartier de l’ensemble du quartier. Le groupe 5im5i (5 quartiers du district 5) a divisé le quartier en cinq quartiers possibles sur la base d’une analyse des habitants, leur a attribué des noms et des microcentres possibles et essaie maintenant d’intéresser les habitants à cette perspective (jusqu’à présent avec un intérêt modéré).

    Très souvent, de nouvelles options d’action apparaissent lorsque vous ne ciblez pas directement les objectifs (ou ne les connaissez même pas encore), mais que vous les découvrez plutôt à travers les liens, pour ainsi dire. Il peut arriver que les habitants du quartier apprennent à se connaître grâce à une initiative contre la circulation et pour un meilleur air et découvrent ensuite des bâtiments vides qui peuvent servir à faire un ABC, ou qu’ils fondent une coopérative et reprennent des maisons vides. Cela s’appellerait alors un gain collatéral.

    Lors de la mise en œuvre de projets de quartier, différents points de départ découlent de la situation locale. Dans les villes avec une longue tradition politique et de bons réseaux relationnels, on peut procéder selon le modèle de Kraftwerk1, ou plus récemment celui de Tübingen : un groupe définit un projet, l’ébauche sur une feuille de papier, recherche des membres et fonde un association, recherche un terrain, fonde une coopérative et la réalise avec d’autres intéressés. En peu de temps, Neustart Tübingen a trouvé 30 membres actifs et plus de 200 membres intéressés et désormais également un domaine approprié. Warmbächli à Berne, Lena à Bâle et bien d’autres (voir Coming Home, à partir de la page 70) ont également été créés de cette manière. Une telle approche « top-heavy » n’est pas antidémocratique, car le projet initialement défini par un petit groupe peut toujours être modifié. Il ne faut pas avoir peur d’être trop précis (m², prix, plans). La précision crée la confiance. « Tout laisser ouvert » semble sympathique, mais cela crée une peur sous-jacente. (« Est-ce qu’ils savent au moins ce qu’ils veulent ? »)

    Cela devient plus difficile dans les petites villes ou même dans les villages isolés, où règne un certain isolement social, notamment dans les lotissements unifamiliaux. Ici, il peut être utile d’abord d’atteindre et de rassembler les gens à travers des activités à bas seuil telles que les marchés aux puces, les marchés de producteurs, les soirées café, les événements alimentaires sociaux, les cafés réparateurs, etc. Le risque est que ces belles manifestations perdurent et qu’aucune coopérative de quartier ne se constitue. Il est certainement utile que le modèle de quartier soit largement connu comme « ce que nous faisons aujourd’hui » (« la chose à faire ») à travers les médias, la littérature, les conférences, etc. Mais les projets phares valent mieux que mille dépliants ou brochures.

    S’appuyer sur les clubs, projets, coopératives et traditions existants est une bonne idée. Cependant, il est crucial que nous diffusions un concept clairement défini, basé sur des chiffres, des faits et des expériences concrètes. C’est le seul moyen de découvrir ce qui ne fonctionne pas.

    Dans de nombreux endroits, il existe déjà des centres communautaires ou d’autres espaces utilisables mais sous-utilisés. Les revitaliser simplement ne mènera probablement nulle part. Cependant, dans certaines situations, il pourrait être prometteur de le décrire avec audace comme un microcentre d’un quartier (non encore constitué) autour de lui. De tels lieux ne sont utilisés à long terme que s’ils sont effectivement nécessaires à la subsistance (et pas seulement à des fins de divertissement et de loisirs). Un microcentre pour remplacer une offre alimentaire effondrée (magasins en train de mourir, bars en train de mourir) serait une utilisation sérieuse et vitale à laquelle d’autres pourraient s’ajouter : entreprises liées aux ménages, services de blanchisserie, services de soins à bas seuil, etc. (voir EMMA). Un microcentre n’est pas un centre culturel, mais un centre logistique, même si les festivals, jeux, bars et soirées jazz y sont automatiquement inclus. Un centre culturel et politique fonctionnel a besoin d’au moins un quartier, soit plusieurs milliers d’usagers.

    En matière de communication, il existe une combinaison équilibrée de communications hors ligne et nécessaire en ligne. Seule la communication en ligne (réseaux sociaux, réseaux anonymes, etc.) crée des risques d’abus et crée trop peu d’engagements personnels à long terme indispensables aux projets coopératifs. Les communautés et les réseaux doivent uniquement (ou principalement) être construits entre des membres qui se connaissent personnellement. Il existe aujourd’hui des intranets dans les coopératives existantes et la possibilité de serveurs de poche dans les points de rencontre (comme le L200 à Zurich).

    La tâche d’un modèle comme celui décrit ci-dessus est de faire prendre conscience des possibilités et des opportunités. C’est précisément parce que nous sommes obligés de faire de petits pas et de craindre des impositions absurdes (néolibéralisme) que nous avons besoin d’une bonne boussole. La certitude d’agir dans le cadre d’un projet global universel est une source de motivation cruciale.

    Réalistes de gauche et terriens : unis – ou pas ?

    Qu’est-ce qu’une proposition fondée sur des faits et destinée avant tout à notre vie quotidienne a à voir avec les grands conflits politiques de notre époque ? Avec l’Europe ? Avec les États-Unis et la Chine ? Avec l’économie mondiale ? Néolibéralisme ? Avec les nouveaux courants autoritaires ? Qu’en est-il de la décroissance et du post-extractivisme ? Pourquoi les Brésiliens votent-ils soudainement à droite alors que le parti de gauche LULA a sorti un si grand nombre d’entre eux de la pauvreté ? Où sont les nombreuses coopératives qui auraient été fondées sous CHAVEZ au Venezuela ? Pourquoi ne travaillent-ils pas avec les agriculteurs pour organiser l’approvisionnement alimentaire alors que les pétrodollars n’arrivent plus ? Les Saoudiens bénéficient d’un revenu de base pratiquement garanti – pourquoi acceptent-ils un régime réactionnaire ?

    L’accusation selon laquelle de nombreuses personnes se réfugient dans des initiatives locales parce que le monde est devenu trop compliqué ne peut être rejetée d’emblée. Ce qui est immédiatement réalisable exerce une fascination irrésistible. Quiconque s’intéresse à des contextes plus vastes est rapidement perçu comme un bavard, un bombardier en mousse et un éternel théoricien. Il existe en effet de nombreux hommes politiques et penseurs politiques qui ont perdu leur emprise sur le terrain et se sont désespérément empêtrés dans leurs théorèmes. Comme pourrait le dire BRUNO LATOUR, ils ont perdu de vue le « terrestre ». LATOUR voit le dénominateur commun dans les mouvements actuels : « le peuple veut le retour du pays » (et non : son pays, ce serait nationaliste). Par « terre », il entend non seulement les terres arables et les paysages, mais aussi le contrôle sur les bases réelles de la vie, y compris les terrains (bâtiments, appartements, rues, places, équipements publics, industries, etc.) dans les villes. Le droit à la terre inclut le droit à la ville. Il ne s’agit donc pas seulement de distribution, mais aussi d’accès, d’appropriation réelle (ou d’expropriation de quelques-uns par le plus grand nombre). Cependant, comme nous l’avons déjà noté au début, le discours sur la justice distributive prévaut parmi les politiciens de gauche. C’est bien intentionné, mais cela conduit finalement à l’impuissance. Dans un texte récent, YANIS VAROUFAKIS (Le Monde diplomatique, mars 2019, p. 7) propose un New Deal, qui n’est pas un deal, mais un catalogue de revendications. 2 000 milliards d’euros doivent être consacrés à la restructuration écologique. La BCE devrait émettre des titres à cet effet. Les milliards de bénéfices des banques centrales européennes doivent être utilisés pour créer un fonds qui soutiendrait toute personne vivant dans l’UE en dessous du seuil de pauvreté. Les entreprises actives dans l’UE doivent transférer un certain pourcentage de leurs actions dans un nouveau fonds d’actions européen, dont les dividendes bénéficieront aux organismes de protection sociale.

    La France insoumise (THOMAS GUÉNOLÉ, Le Monde diplomatique, mars 2019, p. 6) propose une nouvelle fois la taxe Tobin et une nouvelle politique monétaire de la BCE qui soutient par exemple la petite agriculture. Ces revendications européennes correspondent presque exactement à celles de la Suisse, par exemple du Denknetz. Ils correspondent probablement aussi au Green New Deal des démocrates de gauche aux États-Unis, qui veulent également injecter ou réorienter beaucoup d’argent dans la restructuration écologique. Cela devrait fonctionner sans augmentation générale des impôts, seuls les riches devraient à nouveau payer des impôts et l’État devrait s’endetter. C’est ce qu’on appelle la « théorie monétaire moderne », mais il ne s’agit que du vieux keynésianisme. Vous avez peur d’une réaction des Gilets Jaunes.

    Tous ces hommes politiques réalistes de gauche soulignent que l’argent est là, inutilisé, et qu’il n’y a aucune raison d’économiser. L’Allemagne est rituellement réprimandée pour ses mesures d’austérité absurdes, même par le FMI. C’est évidemment vrai : JOSEPH STIGLITZ parle depuis longtemps d’une épargne abondante (« Savings glut »). Le fait que certaines banques nationales facturent des intérêts négatifs prouve qu’il y a trop d’argent qui traîne. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il soit disponible pour des programmes ou des projets sociaux et environnementaux. Tout comme le travail est devenu une simple structure répressive quotidienne, le système financier mondial est aussi un pur moyen de discipliner des gouvernements dissidents ou des projets qui offrent réellement une issue. Il serait donc judicieux d’utiliser le capital inutilisé pour le renouveau social et écologique. Cela ne veut pas dire que cette politique a une chance. Les intérêts du capital structurel déterminent toujours les investissements et la politique.⁴²

    41.Un accord est une question de concessions mutuelles. Les pauvres devraient donc prendre, mais que devraient-ils donner ? Probablement
    principalement leur volonté de continuer à jouer le jeu maléfique appelé capitalisme, c’est-à-dire de ne pas saboter la « structure quotidienne »...

    42. Je ne dis délibérément pas « les capitalistes », les fameux 30 ou 60 billions qui se réunissent à Davos, etc. Les gens ont depuis longtemps perdu le contrôle de la dynamique capitaliste. Et à travers les fonds de pension et les comptes d’épargne, nous sommes pratiquement tous des capitalistes. Nous combattons un système, pas un groupe de personnes.

    L’Europe : sortie ou impasse ?

    Nous apprenons beaucoup de choses sensées des réalistes de gauche au sujet de l’Europe. On dit généralement d’avance que l’UE est un projet profondément néolibéral. Toutefois, cela ne rend pas l’Europe pire que n’importe quel autre pays. Le néolibéralisme n’est qu’un terme vague pour désigner le capitalisme normal d’aujourd’hui. Nous connaissons le « néo » libéralisme depuis 250 ans. Ce ne serait pas une raison pour être contre l’UE. Le fait que la Suisse, par exemple, n’ait pas adhéré à l’UE depuis longtemps s’explique davantage par le fait qu’elle est encore plus néolibérale qu’elle. La raison en est un manque de solidarité : l’agriculteur le plus riche n’adhère pas à la coopérative de la vallée. L’UE a une légitimité suffisante en tant que projet de paix (qu’il soit capitaliste ou non). L’idée de redémarrer l’UE ou de renégocier les traités (que proposent tous les réalistes de gauche) afin de la transformer en une union sociale écologique est convaincante. Qui ne veut pas de ça ? Qui n’en a pas toujours voulu ? Cependant, La France insoumise dit : Si cela ne marche pas, alors nous nous retirerons (offensés ?) dans nos nations et tenterons de les réformer. Et là cela se poursuit avec une meilleure répartition nationale des richesses. Quelques dommages collatéraux, tels que : B. des murs contre les migrants, un certain national-socialisme, etc., sont acceptés. Ce n’est pas de notre faute si l’UE ne peut pas être réformée. Cela s’est produit de la même manière avec le Brexit. La régression nationale-socialiste ne semble pas avoir porté ses fruits lorsque SAHRA WAGENKNECHTS s’est levée et a donc dû mettre fin à l’entreprise. Ce n’est pas facile d’inventer un mouvement, surtout avec un programme aussi flou.

    Un nouveau départ à l’extrémité ouest-asiatique et dans la région méditerranéenne est inévitable pour des raisons purement topographiques et « terrestres ». Diverses associations spécialisées dans les domaines des systèmes de transport, de l’énergie, de la sécurité, des technologies, etc. voient le jour, tout comme l’était l’ancienne Confédération. De nombreuses communes suisses concluent de telles associations spécialisées parce qu’elles sont trop petites pour certaines infrastructures (déchets, écoles, circulation) et que les cantons sont désormais devenus dysfonctionnels (trop petits ou trop grands selon les sujets). Il n’est pas nécessaire d’avoir un drapeau ou un hymne. L’idée de devenir une « puissance mondiale » comme les États-Unis ou la Chine a induit en erreur, voire empoisonné le projet européen. Il vaudrait mieux se considérer comme un précurseur régional d’une organisation mondiale (Glomo 5) et faire tout ce qui est en son pouvoir pour paraître factuel, calme et adaptable sur le plan topographique. L’Europe n’a pas non plus besoin d’une identité, car tous les hommes deviennent sœurs et même les morts doivent vivre (SCHILLER). Selon le sujet, l’Égypte est parfois incluse, parfois la Russie et parfois le Groenland.
    non, tout comme la Grande-Bretagne peut participer avec ou sans l’Écosse. Fluctuation nca mergitur.

    Le problème n’est pas la dimension géographique, mais le poids différent des membres. Il existe encore des attitudes frustrées de grande puissance entre l’Allemagne, la France, la Russie, l’Angleterre, etc., qui rendent impossible une coopération sur un pied d’égalité. En fin de compte, seule une provincialisation radicale (LATOUR) aidera, c’est-à-dire une division en Glomo 4, qui survivent de manière relativement autonome en tant que territoires économiques propres, même avec leur propre monnaie (échanger de l’argent est amusant, soutient la communication sociale). A l’instar des communautés suisses, ces territoires peuvent travailler ensemble de manière détendue selon les thèmes. Cela n’est concevable que si les conditions de vie générales sont comparables, c’est-à-dire si la conversion de Glomo 1 à Glomo 3 progresse également en parallèle. Cela ne peut pas être réalisé avec quelques astuces de distribution, mais avec un programme de restructuration universel et clairement défini qui englobe l’ensemble du tissu du travail, de l’alimentation, du mode de vie, des institutions et de la production.

    Pour éviter l’apparition de déséquilibres mondiaux et de risques locaux, l’invasion Glomo devrait avoir lieu à peu près au même moment partout sur la planète. On pourrait comparer cela à la transition de phase lors de la magnétisation : d’abord, un patchwork de différents glomos se crée, puis, lorsque la situation est saturée, tout bascule en même temps. Il ne devrait donc pas y avoir de Glomo 4 dans un seul pays, sous peine d’intervention militaire ou d’isolement économique. Des pionniers et des avant-gardistes meurent. Ce qui est important, c’est un nouveau courant dominant.

    Pourquoi ne pas combiner les astuces de financement des réalistes de gauche avec le programme de reconstruction des Communes ? Après tout, tous les milliards, qui doivent être utilisés de manière non spécifique à la restructuration écologique, seront utilisés pour construire Glomos, comme je l’ai proposé dans le cas du Green New Deal en 2009.⁴³ C’est assez proche des 2 000 milliards de VAROUFAKIS. Les 200 milliards du réseau pensant seraient également les bienvenus. Les néoréalistes et les terrestres pourraient donc encore se retrouver. Je crains cependant qu’un tel programme ne soit pas très réaliste car il implique la disparition du capitalisme tel que nous le connaissons.

    Même la tentative de présenter l’expropriation des riches comme un accord réaliste est naïve. Vous le remarquerez. C’est pourquoi j’ai proposé de financer la restructuration éco-sociale à partir du fonds salarial, c’est-à-dire avec des retenues salariales progressives qui conduisent également à une réduction de la consommation. Au lieu d’être consacré à la consommation, l’argent devrait être investi dans Glomos dans le monde entier. Puisque ces modules réduisent à leur tour le coût de la vie, il n’y aura aucune perte de qualité de vie. Ce qu’il faut, cependant, c’est une nouvelle idée de la belle vie qui s’appuie davantage sur l’attention humaine, plus de plaisirs locaux, plus de lenteur, bref : sur un nouveau récit. Cependant, l’idée même de déduire les milliards nécessaires des salaires est un anathème pour les réalistes de gauche. Les Gilets Jaunes ne sont-ils pas descendus dans la rue à cause d’une hausse du prix de l’essence justifiée par l’environnement ? C’est vrai, mais cela s’est produit précisément parce que cette augmentation des prix n’était pas liée à un changement des conditions de vie. Au contraire, les structures existantes doivent être bétonnées avec de l’essence bon marché.

    43. À l’époque, j’avais prévu 4 000 milliards (billions) de dollars pour la restructuration des États-Unis. (Turbulence #5, 2009, turbulence.org.uk), plus 100
    Des milliards pour reconstruire le monde. En dix ans, nous y serions parvenus maintenant... mais personne ne m’écoute.

    Le prochain changement inattendu : « l’autre »

    Si l’on suit les spéculations de BRUNO LATOUR sur un changement fondamental dans le réseau de coordonnées politiques, alors le prochain grand mouvement ne rentrera plus dans le plan politique actuel. Elle ne sera ni populiste, ni de gauche ni de droite, ni conservatrice ni progressiste. Il s’agira directement de questions quotidiennes, de terre, de soins mutuels, de justice, d’auto-organisation, à l’échelle mondiale. Nous ne pouvons pas encore savoir à quoi cela ressemblera, peut-être que cela se passera de grandes manifestations, de chapeaux rouges, de drapeaux verts, de sweats à capuche noirs, de gilets jaunes et autres symboles. L’ensemble de la tradition anarchiste gauche-verte fait plus partie du problème que de la solution. Nous disons : des chiffres, des faits, des suggestions sensées. Contrairement aux populistes, nous n’avons pas besoin d’idéologies et de mythes (l’Occident, notre identité culturelle, notre nation si particulière, etc.).

    Peut-être y aura-t-il d’étranges manifestations⁴⁴ avec des banderoles et des drapeaux en plastique transparent pour que les gens soient mieux vus. L’une des banderoles transparentes pourrait lire : « Vous savez déjà qui nous sommes. » Peut-être que cela n’apparaîtra même pas dans les médias. "La révolution ne sera pas télévisée." Et elle sera probablement de toute façon victime des nouveaux filtres de téléchargement sur Internet, comme la révolte de Hong Kong en Chine.

    Des groupes et des comités se réunissent déjà à nouveau en personne, délibérément sous le radar d’Internet et des médias, pour discuter de leurs affaires et élaborer des plans. Au lieu d’être écoutée dans les forums de discussion, la vieille idée de la colocation consistant à discuter ensemble autour d’un repas est à nouveau relancée, avec Jour Fixe et dans les cuisines et salons tournants.⁴⁵ La vie est hors ligne, je suis entièrement d’accord avec HARALD WELZER. Peut-être que ce ne sera même pas un « mouvement »⁴⁶, mais quelque chose d’autre, d’incompréhensible, de diffusant. Les mèmes peuvent se multiplier comme des virus même sans Internet. L’« autre » n’obéira pas à une logique de croissance (clics, utilisateurs, followers, amis), mais se répandra plutôt horizontalement comme une tache d’huile. Inarrêtable. Peut-être que « l’autre » aura atteint son objectif avant même que les hommes politiques, les propriétaires de capitaux et leurs dirigeants ne s’en aperçoivent, car ils regardent au mauvais endroit. Si nous ne nous surprenons pas, nous perdrons. Le système a été modifié.

    44.En ce moment, je pense aux sardines d’Italie.
    45.Voir aussi Cuisines sans frontières : Les restaurants comme lieux de rencontre de proximité.
    https://www.cuisinesansfrontieres.ch.
    46. « Le Mouvement » était l’auto-désignation du NSDAP et est désormais à nouveau la même pour l’organisation de droite identitaire de KEVIN BANNON. Comme chacun le sait, Munich était la capitale du « mouvement ». En fait, nous voulons non seulement que quelque chose bouge, mais nous voulons surtout savoir où il va. La même chose s’applique aux mots vides de sens comme changement, changement, etc.

    Références littéraires

    Boudet, Dominique (éd.) : Coopératives d’habitation à Zurich, cités-jardins et nouveaux quartiers. Livres du parc 2017.
    Brand, Ulrich / Wissen, Markus : Mode de vie impérial. Oekom 2017.
    De Angelis, Massimo : Omnia Sunt Communia. Livres Zed 2017.
    Dolan, Paul : Intentionnellement heureux. 2015.
    Habermann, Friederike : Échangé ! Concepts/Matériaux, Volume 10, 2018.
    Helfrich, Silke (éd.) : Le monde des biens communs. Éditeur de transcription 2017.
    Jackson, Tim : Prospérité sans croissance. 2011.
    Jullien, François : Il n’y a pas d’identité culturelle. 2016.
    Largo, Remo : La bonne vie. 2017.
    Latour, Bruno : Le Manifeste terrestre. 2018.
    Layard, Richard : Bonheur : Leçons d’une nouvelle science. Pingouins 2011.
    Martignoni, Jens : Réinventer l’argent. Par rapport à 2017.
    Nelson, Anitra / Schneider, François : Le logement pour la décroissance. 2018.
    Redémarrer la Suisse : rentrer à la maison. 2016.
    Nouveau départ en Suisse : gérer le ménage ensemble. 2019.
    Redémarrer la Suisse : le livre uniquement. 2017.
    Rosling, Hans et. al. : Factivité. 2017.
    Scheidler, Fabian : La fin de la mégamachine. 2016.
    Scott, C. James : À contre-courant. 2018.
    Streeck, Wolfgang : Comment le capitalisme prendra-t-il fin ? Verso 2016.
    Wilkinson Richard G. / Pickett, Kate : Le niveau à bulle : pourquoi des sociétés plus égalitaires font presque toujours mieux. 2009.
    Widmer, Hans (éd.) : L’autre ville. Paranoïa City 2017.
    www.newalliance.earth
    www.o500.org
    www.neustartschweiz.ch _

    Alors encore une fois, et maintenant tout le monde :

    Le capitalisme est mort, mais sa terreur avec le travail obligatoire, le profit obligatoire et la croissance obligatoire continue.

    Plus le capitalisme est mort, plus ses clowns politiques défendent cruellement sa coquille.

    L’alternative au capitalisme n’est pas un autre système, mais toute une gamme de modes de vie différents.

    Ceci est basé sur le fait que nous n’évaluons pas et n’échangeons pas, mais plutôt
    coopérer et partager.

    Notre vie ne peut être échangée contre rien.

    Il ne s’agit pas d’améliorer les transports, mais plutôt de raccourcir les distances.

    Plus il fait beau au point A, moins nous devons conduire jusqu’au point B.

    Créer 16 millions de nouveaux quartiers pour 8 milliards de personnes nécessite une redistribution globale de nos ressources

  • Un boulot de dingue ! Reconnaitre les activités vitales à la société

    Non, les personnes qui ne travaillent pas dans l’emploi rémunéré et qui vivent dans la précarité ne sont pas des inactives, n’en déplaise à la statistique. Elles font même un boulot de dingue sans aucune forme de reconnaissance, ni même parfois de sécurité.
    Ce rapport, tiré de deux ans de recherche avec un groupe d’une douzaine de personnes issues des collectifs du Secours catholique et d’AequitaZ, souhaite faire entendre l’analyse de celles et ceux qui sont aujourd’hui trop souvent montrés du doigt.

    (...)

    Ce rapport montre également que les personnes concernées par ce « hors emploi » sont loin d’être une petite minorité. Des millions de bénévoles, d’aidants, de femmes au foyer : nous parlons d’une part invisible de notre économie invisible et gratuite car non intégrée au marché du travail. Notre système de protection et de reconnaissance a fait de l’emploi son unique clé de voûte. De lui dépend l’essentiel des cotisations et des protections. Comme si le reste n’avait pas d’importance. Comme si les 40 milliards d’heures annuelles de travail domestique (au moins autant que le travail rémunéré) et les 680 000 équivalents temps plein que représente le travail des bénévoles ne comptaient pas.

    https://www.aequitaz.org/boulot-de-dingue

    #travail #RSA #merdaille #critique-du-travail

  • Jeux vidéos et normes sociales

    Je viens de feuilleter « Les jeux vidéos et nos enfants », une BD de Cookie Kalkair parue cette année. Un livre que l’on pourrait qualifier de rassuriste concernant les usages des jeux vidéos par les enfants. Page 19, le ton est donné par l’auteur :

    En plus, avec la multiplication des écrans dans les maisons et les situations de pandémie mondiale, on a bien constaté que le virage vers l’éducation numérique est inévitable - et pas forcément si déplorable que ça

    J’ajoute que les parents sont ridiculisés à de nombreuses reprises dans la BD, parents qui souhaitent réguler quantitativement les usages des écrans, jeux vidéos compris.

    A mon sens le propos de cet auteur reflète un déplacement des normes sociales en faveur d’une banalisation des usages des écrans dans la vie sociale et quotidienne, pour des raisons qu’il faut aller découvrir.

    On peut néanmoins faire une critique sociale non culpabilisatrice des jeux vidéos, afin de montrer pourquoi ils tiennent une place si importante. Par exemple Sylvie Craipeau avance dans un article de la revue Psychotropes sur les jeux en ligne multijoueurs :

    Nous faisons l’hypothèse que le succès de ces jeux (11 millions d’abonnés dans le monde à World of Warcraft) tient en ce qu’ils offrent un terrain à cette expérimentation de soi, voire à une production de soi. Cette production correspond aux normes sociales contemporaines : l’individu moderne, tant dans l’entreprise que dans sa vie privée doit être autonome, apte au changement permanent, toujours compétent, performant, libre d’attaches trop pesantes, capable de coopérer en réseau tout en étant en compétition avec les autres.

    Mais en conclusion, elle avance que, si ces normes sociales d’autonomie existent, les individus arrivent d’avantage à s’y soumettre avec succès dans les jeux vidéos que dans le monde social physique :

    Ce ne sont pas seulement les conditions objectives de l’indépendance qui sont acquises de plus en plus tardivement, et souvent de façon précaire, ce sont aussi les modes de structuration de la personnalité. La pratique des jeux en ligne renvoie à la tension que vivent les jeunes, entre l’injonction sociale à l’autonomie et à la production de soi et les difficultés socio-économiques de réalisation de ce projet dans la réalité. L’espace virtuel serait-il devenu le seul lieu possible de cette production de soi ?

    A mon sens, ce genre d’explication permet de comprendre pourquoi avoir une vie sociale médiatisée par des écrans devient si acceptable socialement.

    J’ai trouvé aussi intéressant un autre article de la même revue, de Sophie Tortolano, qui livre une analyse inspirée de la psychanalyse et du concept d’aire transitionnelle. Chez Winicott, la « mère suffisamment bonne » est une mère qui sait faire accepter la désillusion que l’enfant ne produit pas par lui-même les conditions de sa propre satisfaction.
    Partant de là, les jeux en ligne constitueraient des univers sociaux particuliers, que l’on va chercher comme espace transitionnel quand il n’y en a pas d’autres à portée de main. Mais ces univers échoueraient à produire cette désillusion nécessaire :

    L’hypothèse [9] soulevée ici est que le virtuel ne se laisse pas suffisamment pénétrer par la réalité concrète, tangible et corporelle. Le virtuel fonctionne, pour certains adolescents, sur le mode de l’illusion permanente qui ne trouverait pas de quoi suffisamment se désillusionner. Toute la pulsionnalité et la destructivité peuvent alors se déployer dans le virtuel où l’adolescent gère lui-même le continu et le discontinu de ses connexions, ce qui lui confère un sentiment d’omnipotence et répond aux exigences de son moi-idéal. Le mécanisme d’addiction s’installerait dès lors par cette volonté du moi de se prendre pour le moi-idéal et de goûter ainsi à l’expérience d’autosatisfaction, expérience impossible à maintenir dans le temps et dans la réalité. Il retrouve ainsi l’illusion narcissique primaire où le nourrisson a la sensation que tout fonctionne comme s’il était la source de sa propre satisfaction.

    Certes, diaboliser les jeux en ligne risque d’éviter de comprendre pourquoi ils prennent autant de place. Pour autant, faire l’apologie des jeux vidéos comme le fait Cookie Kalkair ne permet pas de le faire non plus. Son erreur est de croire que les jeunes générations n’ont rien à nous apprendre sur la société et ses évolutions, et qu’il suffirait de comprendre les jeux vidéos de l’intérieur pour pouvoir en cadrer les usages par les enfants.

    Comme l’explique Sophie Tortolano, les adolescents sont plutôt des pionniers expérimentant les effets des évolutions sociales en cours, elle rejoint l’hypothèse de Sylvie Craipeau concernant une impossibilité de se construire un soi autonome dans le monde physique, ou sinon une bien plus grande facilité à le faire dans des univers sociaux en ligne.

    Sylvie Craipeau, « La production de soi, ou le joueur comme œuvre de son jeu »
    https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2012-3-page-45.htm

    Sophie Tortolano, « Usage problématique des jeux vidéo : l’approche psychodynamique »
    https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2012-3-page-89.htm

    #jeux-vidéos

  • (j’ai lu pour vous...)

    André Orléan, « L’empire de la valeur » (2011)

    3 parties dans le livre

    Partie 1 Critique de l’économie

    Les théories classiques et néoclassiques ont pour but de rendre visibles les interdépendances cachées qui relient objectivement les activités économiques les unes aux autres, par-delà la séparation formelle des acteurs. Elle conduit à saisir l’économie comme un tout.

    Théories classiques (Smith, Ricardo, Marx)

    la cohésion marchande est abordée sous l’angle de la division du travail. Chez Marx c’est le temps socialement nécessaire qui définit la valeur. Conséquence : la même marchandise peut voir sa valeur transformée si cette norme change, sans que son producteur ait modifié quoi que ce soit sa façon de produire.

    Théories néoclassiques (origines : travaux marginalistes de Jevons, Menge et Walras).

    Modèle de l’équilibre général walrassien, offre la théorie de la valeur utilité la plus rigoureuse.
    Le modèle walrassien a une dimension morale : le marché est un mécanisme automatique, ayant pour fonction d’enregistrer les désirs des individus sans les transformer. C’est une économie pacifiée dans laquelle tous les agents voient leurs désirs satisfaits. Comment un tel miracle est-il possible ? 1) fixité des préférence (les protagonistes restent froids et imperturbalbes en toute circonstance) 2) mais elle sont aussi flexibles (hypothèse de « convexité des préférences » de Arrow et Devreu), elles ne sont ni trop exagérées ni trop exclusives. Exagérées : « plus j’en ai plus j’en vaux ». Exclusives : « un seul bien m’intéresse ».

    Le secrétaire de marché ou « commissaire-priseur »
    [foutage de gueule ?]
    La formation des prix est extérieure aux acteurs (Walras avait en tête l’organisation des marchés boursiers).
    Le processus du « tâtonnement walrassien » est :
    1) les acteurs prennent connaissance des prix criés par le secrétaire, un prix pi pour chaque bien i
    2) ils calculent les quantités de chaque bien qu’il est optimal d’acquérir et communique le résultat au secrétaire
    3) le secrétaire calcule pour chaque marché, la différence entre offre et demande. Il modifie les prix en cas de déséquilibre (augmente le prix si la demande excède l’offre, diminue dans le cas contraire)
    Critiques : l’extrême centralisation que ce processus suppose
    Le processus qui mène à cet équilibre n’est pas décrit. Le secrétaire (bénévole !)
    La flexibilité concurrentielle des prix ne mène pas à la découverte spontanée de cet équilibre. On a démontré l’existence théorie de l’équilibre, mais pas comment on l’atteint. Comment l’économie se comporte hors de l’équilibre ? On a démontré que le tâtonnement walrassien ne mène pas forcément à l’équilibre à partir du déséquilibre ! « Il faut admettre que les économistes n’ont pas démontré qu’en toute généralité la concurrence permet une coordination efficace des acteurs économiques » p.72. Cette critique porte sur l’aptitude de la concurrence à ramener l’équilibre sur tous les marchés (le tâtonnement walrassien marche sur un marché isolé)
    => Mais ce modèle reste la référence, en l’absence de modélisation alternative !

    Position d’Orléan : l’hypothèse mimétique

    Hypothèse mimétique : le désir est influencé par l’imitation du désir d’autrui.

    Rétroaction positive (donc dans le mauvais sens). Lorsque l’hypothèse de convexité est abandonnée, l’équilibre n’est pas optimum (il faudrait un changement coordonné, ce qui nécessite une organisation collective, centralisée, de grande ampleur)

    Concurrence walrassienne : l’individu considère l’utilité de la marchandise sans l’interférence des autres individus, la marchandise est une médiation parfaite entre les acteurs. ça fonctionne lorsque les interactions se polarisent sur un modèle extérieur aux acteurs (préférences stabilisées, les buts sociaux sont fixés sous la forme d’une liste de biens désirables). « S’il peut sembler que les acteurs walrassiens sont coupés les uns des autres, sans représentations collectives, exclusivement préoccupés par l’appropriation d’objets aux prix variables, c’est parce que antérieurement ils se sont mis d’accord sur la qualité des objets et leur définition (hypothèse de nomenclature des biens) » (p. 90)

    Concurrence mimétique (p. 72) : unanimité, multiplicité des équilibres, indétermination, dépendance par rapport au chemin, non-prédictibilité. Mimétisme stratégique : Imiter l’autre est une stratégie d’exploration visant à découvrir qui, chez les autres, possède la réponse correcte.

    (p. 227) bon résumé, même si c’est le conclusion de la 2ème partie)
    La valeur n’est pas une substance (travail ou utilité). La valeur n’a pas pour origine l’utilité des objets (théorie marginaliste) ou le travail contenu dans les objets (théories de la valeur-travail).
    « Le point de départ est la séparation marchande, c’est-à-dire un monde où chaque individu est coupé de ses moyens d’existence. Seule la puissance de la valeur, investie dans l’objet monétaire, permet l’existence d’une vie sociale sous de tels auspices ». Elle réunit des individus séparés en leur construisant un horizon commun, le désir de monnaie, et un langage commun, celui des comptes. L’obtention de monnaie s’effectue selon la formule M-A, par la vente de marchandises [! pas que]. Plus la marchandisation s’intensifie, plus la monnaie accroît accroît son empire sur le monde social.
    Ce qui est objectif, qui s’impose aux agents, ce sont les mouvement monétaires. Les prix sont variables, fruit des luttes d’intérêt, il n’y a pas de « juste prix » ou de « valeur fondamentale »
    Orléan développe l’hypothèse mimétique pour expliquer ce qu’est la monnaie et la valeur

    Partie 2 institution de la valeur

    Dans la séparation marchande, le désir de liquidité est à l’origine d’un processus de concurrence mimétique, à rétroaction positive, au cours duquel les biens liquides les plus en vues voient leur attrait s’accroître cumulativement jusqu’au point où une seule option est retenue au détriment de toutes les autres.
    « Tous partageant une même vénération à son égard, les individus marchands cessent d’être l’un à l’autre dans un état d’absolue étrangeté et leur lutte peut se polariser sur sa seule possession. De cette façon, la monnaie s’impose à toutes les activités marchandes comme tiers médiateur qui en authentifie la valeur économique »

    Orléan va chercher chez les sociologues Simmel et Durkheim comment comprendre que la monnaie est une institution et non un instrument.

    ➪ Mon commentaire :
    - Cette partie est assez ambiguë pour moi car on l’impression qu’en « régime permanent », c’est-à-dire hors crise monétaire, (que Orléan appelle « confiance méthodique » et Simmel « savoir inductif »), la monnaie se révèle être un simple instrument, un simple moyen d’échange, qui se fait oublier. Ainsi, il écrit « l’autonomie [monétaire] est une autonomie réduite, car la confiance monétaire ne saurait perdurer si la monnaie ne réalise pas ce pour quoi elle est faite : acheter des marchandises » (p.226).
    - Dans la suite, le livre ne traite pas de l’économie des biens, mais des marchés financiers, comme application du cadre théorique de l’auteur (hypothèse mimétique). Dans une perspective postmonétaire, on aurait envie de savoir en quoi le désir de monnaie interfère ou non avec les valeurs d’usage, dans la mesure où le désir de monnaie est premier, mais où l’utilité des marchandise compte aussi (pour mémoire, la critique de la valeur dit que la production de biens concrets est un prétexte pour la production de richesse abstraite, la valeur). Pas sûr qu’on puisse trouver cette recherche chez Orléan. Mais c’est peut-être à partir de là qu’il y a à bifurquer par rapport à la pensée d’Orléan.
    - Ceci dit, l’apport d’Orléan est clair concernant le désir de monnaie (un désir imposé) : la monnaie n’est pas un outil mais une nécessité pour instituer l’économie marchande, dès lors que les producteurs sont séparés les uns des autres et spécialisés. Partant de là, on ne peut pas abolir la monnaie dans une société où cette organisation serait inchangée.
    De ce point de vue, le texte "Monnaie, séparation marchande et rapport salarial" est une très bonne référence
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    Partie 3 la finance de marché (non lu)

    #monnaie #post-monétaire #théories_économiques #institutionnalisme_monétaire

  • Des centaines d’agriculteurs en tracteur manifestent à Paris après la décision du gouvernement de renoncer à autoriser les insecticides néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/08/interdiction-des-neonicotinoides-des-agriculteurs-manifestent-a-paris-contre

    A l’arrière de son tracteur, une pancarte « Macron menteur, oui aux NNI [néonicotinoïdes], oui au sucre français ».

    Miam le bon sucre !

    #néonicotinoïdes

    • Apparemment certains producteurs venaient juste de renouveler un contrat de 5 ans avec engagement de production.
      Il faut dire que le gouvernement comptait bien continuer à les autoriser à utiliser les néonicotinoïdes, avec une consultation publique en ce sens.

      « Je n’ai pas vu venir l’interdiction et si j’avais su, j’aurais révisé à la baisse mon contrat avec Tereos [ce groupe coopératif sucrier possède 44 sites industriels dont plus d’une dizaine dans les Hauts-de-France, et rassemble 12 000 associés coopérateurs pour un chiffre d’affaires de 5,1 milliards d’euros en 2021-2022]. Ces contrats, qui portent sur cinq ans, devaient être renouvelés avant le 31 décembre 2022 et l’interdiction par le gouvernement des néonicotinoïdes est tombée le 23 janvier. Je ne sais pas ce que je vais faire. En 2022, alors que leur usage était autorisé, par dérogation, j’ai pu faire 97 tonnes l’hectare. En 2020, quand ils étaient interdits, j’ai eu une perte de 10 % à 20 % », raconte l’agriculteur.

      https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/08/apres-l-interdiction-des-neonicotinoides-les-cultivateurs-de-betteraves-du-p

      Avant 2017 et depuis 1968, les producteurs de betteraves à sucre européens bénéficiaient d’un temps socialement nécessaire plus long que leurs concurrents via des quotas et des prix garantis.

      Avec la réforme de la PAC, tout s’arrête, mais le syndicat unique de la filière, la CGB, était optimiste avec un plan de hausse de la production de 20% et même une hausse de la productivité à l’hectare, pour exporter plus.

      La fin des quotas sucriers ouvre un boulevard pour la France, premier producteur européen de sucre. (2017)

      https://www.usinenouvelle.com/article/vers-une-production-record-de-betteraves-et-de-sucre-en-france.N62457

      Le temps socialement nécessaire (sur le marché mondial) pour produire une tonne de betterave est maintenant ~ de 2h par tonne avec un salaire horaire au SMIC (22€/t), et était de 2 h 15 du temps des quotas. Il faut donc gagner 15 min par tonne de betteraves pour continuer à produire de la betterave, par tous les moyens !

      Normal que les néonicotinoïdes soient indispensables pour produire de la valeur avec des betteraves à sucre. Tous les arguments les plus fallacieux sont bons pour justifier a posteriori cette production de valeur absurde, alors que le sucre n’est même indispensable à l’alimentation humaine, et qu’il cause diabète et obésité à travers le monde.

      Le discours du syndicat des producteurs de la betteraves, et des députés RN qui sont venus les soutenir, est de tout faire pour produire une tonne de betterave en 2h.

      https://twitter.com/MarionMarechal/status/1623343547914113026?s=20&t=_ekX1Lhl1lNCqkZ_FB5R4Q

      #critiquedelavaleur

    • Néonicotinoïdes : les capitalistes du sucre à la manœuvre

      [...] Le prétexte invoqué était que les #néonicotinoïdes représentaient la seule solution pour protéger leurs cultures contre la jaunisse, une grave maladie de la betterave transmise par les pucerons, qui peut diminuer fortement les #rendements, comme ce fut le cas en 2020.

      Il existe en fait des alternatives aux néonicotinoïdes, comme l’utilisation d’autres #insecticides, moins efficaces mais moins dangereux, ou bien la pratique de techniques culturales différentes, mais elles ne garantissent pas d’obtenir des rendements maximums chaque année. C’est là que le bât blesse car, pour les producteurs de #betteraves_à_sucre, des rendements élevés chaque année permettent de compenser les bas prix auxquels ils vendent leur #production.

      En effet ces #agriculteurs sont complètement inféodés aux groupes de l’industrie du sucre, comme le groupe coopératif ­#Tereos – qui n’a de coopératif que le nom –, qui achète les betteraves à sucre à 12 000 agriculteurs adhérents en France, en assure la transformation en sucre, amidon ou éthanol, intervient dans le monde entier et vient de réaliser plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

      Depuis la fin de la réglementation du secteur sucrier en Europe, survenue en 2017, les tarifs proposés par les industriels aux producteurs ne sont plus garantis par les États. Les capitalistes peuvent ainsi mettre en concurrence les betteraviers européens avec les agriculteurs du reste du monde (Brésil, Inde…) et pousser les prix à la baisse. Si la production européenne de la betterave est actuellement en crise, c’est du fait de la rapacité des industriels sucriers, et ce n’est pas l’utilisation de tel ou tel insecticide qui résoudra le problème.

      Le gouvernement semble pour le moment ne pas vouloir revenir sur sa décision d’appliquer l’interdiction des #nicotinoïdes à la betterave à sucre. Mais il n’en a pas pour autant terminé avec sa politique d’aide aux #betteraviers, qui finit immanquablement par bénéficier aux capitalistes du secteur. Le lendemain de la manifestation, il a annoncé que toutes leurs pertes seront indemnisées si la jaunisse frappe en 2023, une réactivité immédiatement saluée par le groupe Tereos.

      https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/02/15/neonicotinoides-les-capitalistes-du-sucre-la-manoeuvre_50496

      #capitalisme #indemnisation

    • Une critique intéressante de la promesse de substitution aux pesticides.

      Y a-t-il une alternative aux pesticides ?
      Alexis Aulagnier, 2021

      https://laviedesidees.fr/Y-a-t-il-une-alternative-aux-pesticides.html

      Suite à l’annonce du lancement d’Ecophyto, le ministère de l’Agriculture charge l’INRA de la rédaction d’une étude, intitulée Ecophyto R&D, qui doit identifier des scénarios de réduction de l’usage des pesticides et des solutions concrètes pour atteindre un objectif de réduction de moitié.
      (...)
      Les signataires de l’étude sont catégoriques : une réduction de 50% de la consommation de pesticides ne pourra passer que par une transformation en profondeur des exploitations agricoles. La publication de cette étude installe un horizon systémique pour les politiques publiques de réduction de l’usage des pesticides.
      (...)
      Pour le petit groupe d’agronomes chargés de mettre en place une première version du réseau Dephy, il est clair que cet instrument sera un lieu d’expérimentation pour les approches systémiques de l’agronomie. Ils insistent sur la nécessité de conduire des expérimentations systémiques, c’est-à-dire d’engager autant que possible les exploitations dans une reconception de leur organisation.
      (...)
      Le réseau Dephy devient le lieu d’un affrontement entre deux conceptions très différentes de l’agronomie et des savoirs que cette discipline doit produire pour accompagner la réduction de l’usage des pesticides. D’un côté, les agronomes systèmes entendent former des conseillers très qualifiés pour en faire les intermédiaires de transformations systémiques. De l’autre côté, la direction scientifique de l’institut souhaite avant tout rassembler un grand nombre de données pour favoriser l’identification de méthodes ou pratiques économes standardisées, puis en favoriser la diffusion. Elle prend des distances avec la notion de système puisque sa priorité est de mettre à jour des méthodes dont l’efficacité puisse être estimée en dehors d’un contexte particulier.
      (...)
      Des représentants de ces deux approches cohabitent temporairement, mais les tensions deviennent telles que la direction scientifique de l’institut prend la décision à la fin de l’année 2010 d’écarter les défenseurs des approches systèmes, accusés de se montrer inflexibles.
      (...)
      Cette inflexion s’incarne particulièrement dans l’émergence d’un nouveau levier d’action pour le plan Ecophyto : la mise au point et la promotion de substituts aux pesticides.

      L’intenable promesse de la substitution

      Très rapidement, les résultats du plan Ecophyto apparaissent comme extrêmement décevants. Alors que c’est une réduction de moitié qui était ambitionnée, les indicateurs de consommation sont à la stagnation, voire à l’augmentation dès l’année 2010. Les pouvoirs publics cherchent alors de nouvelles directions pour le plan Ecophyto. C’est dans ce contexte que le ministère de l’Agriculture s’intéresse à une solution nouvelle pour le plan : le développement des solutions de biocontrôle.
      (...)
      Un rapport consacré à ces méthodes est commandé par François Fillon, alors Premier ministre, à un député de sa majorité. La publication de ce document, à la tonalité très optimiste, installe le développement de substituts aux pesticides comme une réponse aux difficultés du plan. Lors de l’arrivée au pouvoir de Stéphane Le Foll en 2012, l’enthousiasme autour de ces méthodes ne se dément pas, bien au contraire.
      (...)
      Le développement des méthodes de biocontrôle présente enfin l’avantage de s’opposer aux approches systémiques, régulièrement taxées d’irréalistes par les organisations professionnelles agricoles. Face à la perspective lointaine et ambitieuse d’une reconception des exploitations, la promesse de la mise à disposition de substituts directs aux pesticides permet aux services du ministère de se montrer volontaires et concrets. Les solutions de biocontrôle, initialement marginales dans le plan Ecophyto, deviennent un leitmotiv dans la communication gouvernementale et sont opposées aux critiques adressées à l’égard du plan.

      Malgré cet enthousiasme politique, la déferlante de solutions alternatives n’a pas lieu et la substitution en tant que registre d’action n’éclipse pas la nécessité d’une réflexion sur le fonctionnement des exploitations. Les promoteurs mêmes du biocontrôle ne présentent pas ces solutions comme de stricts substituts. Une société savante, l’Académie du biocontrôle, est créée par des acteurs gravitant autour de l’IBMA. Elle rassemble des experts de ces méthodes issus de différents secteurs et propose notamment des formations à l’usage des méthodes de biocontrôle. Ses formateurs insistent sur l’incapacité des méthodes de biocontrôle à être utilisés comme des pesticides de synthèse et raccrochent ces solutions à la nécessité d’une réflexion de fond autour de la protection des plantes.

      Conclusion

      (...)
      la promesse de substitution est porteuse de forts effets de cadrage. Si ce levier d’action est privilégié par les pouvoirs publics, c’est parce qu’il permet de délaisser ou retarder des transformations plus profondes à la fois des exploitations et du modèle de développement agricole. Il produit en ce sens un effet dépolitisant. Les promesses de substitution sont nombreuses dans le champ de l’écologie : développement des énergies renouvelables, remplacement des voitures à moteur thermique par des véhicules électriques, etc.
      (...)
      De nombreux travaux en sciences sociales s’intéressent aux rapports d’affinité qui peuvent exister entre certaines connaissances et l’exercice de l’action publique. Les récents travaux sur l’enthousiasme politique autour du nudge sont à cet égard significatifs (Bergeron et al., 2018). Ils montrent comment des savoirs et méthodes venus des neurosciences sont aisément mobilisés dans l’action publique, en ce qu’ils sont porteurs d’une vision individualisante de problèmes publics. Mobiliser ces connaissances et les incarner dans des instruments permet d’éviter de s’attaquer à la racine collective de problèmes aussi divers que la malnutrition ou le réchauffement climatique. Un phénomène similaire de sélection de savoirs a eu lieu dans le cadre du plan Ecophyto : les options de l’identification de méthodes standardisées, puis celle de la substitution ont été favorisées puisqu’elles permettaient d’éviter les réflexions organisationnelles et structurelles liées à la mobilisation de connaissances systémiques.

      #agriculture #pesticides #plan-Ecophyto

  • Première version d’un texte débutant par une critique de Lordon. Commentaires bienvenus !

    Vers un socle de subsistance

    Sous le nom de « salaire à vie » ou bien de « revenu de base », des propositions politiques entendent libérer l’individu de la servitude au marché de l’emploi. Les justifications à ces propositions sont diverses mais il nous semble qu’elles conduisent toutes à des bizarreries.

    Prenons comme exemple la proposition de « garantie économique générale » de Lordon, dans l’article « La transition dans la transition » paru en 2020 (1).

    Lordon défend sous ce terme les mêmes propositions que Bernard Friot sous l’expression de « salaire à vie ».
    Passons, dans un premier temps, sur le fait que Lordon défend l’argent et le marché comme ne devant pas être abolis, au motif qu’ils seraient les seuls moyens d’organiser le minimum de division du travail encore nécessaire dans une société communiste.

    Le salaire à vie, nous dit l’auteur, « délivre de toute obligation d’aller s’insérer dans la division du travail sous l’impératif reproductif de l’emploi ». Dès lors, « la question se pose notamment de savoir comment pourvoir les places à faire tenir dont personne ne voudra ».
    Les problèmes de pénuries et de désorganisations matérielles étant les pires ennemis de la révolution, « il faudra envisager une période transitoire (...) qui « gèlera » temporairement les assignations présentes à ces segments « indispensables » de la division du travail ». Dès lors comment différencier la période de transition de la marche normale du capitalisme ?

    Cette « assignation obligatoire » et transitoire à ne pas pouvoir quitter son emploi, est faite « au nom des nécessités de la division du travail, c’est-à-dire des intérêts de tous : il doit alors y avoir une contrepartie spéciale ». A savoir, nous dit Lordon, un salaire plus élevé.

    Mais qu’est-ce que cette « garantie économique générale », qui oblige -en période de transition- certains individus à tenir certains postes, en lieu et place de « la double tyrannie de la valeur d’échange et de l’emploi capitaliste » dans un monde où il y a toujours des salaires, et donc toujours des marchandises à acheter ? Certains devront absolument garder leur emploi pour que d’autres puissent refuser le leur sans crainte (la fameuse garantie), pour que ce soit le cas pour tout le monde, mais plus tard (la fameuse transition). On n’y comprend pas grand chose, si ce n’est que cette « garantie économique générale » est avant tout du pur verbiage. Prévoir et légitimer, comme le fait Lordon, l’obligation « transitoire » des gens à travailler pour une garantie générale en dit long sur le potentiel politique d’une telle proposition.

    Les incohérences qui en découlent devraient démontrer par l’absurde que les postulats de départ sont à reconsidérer.

    Un des ces postulats est à mon avis la nécessité d’imaginer une alternative générale au capitalisme, imposant d’élaborer une proposition située à un même niveau d’abstraction. D’où les problématiques de division de travail, par exemple, comme si les révolutionnaires devaient obligatoirement prendre en charge l’intégralité de la production capitaliste. La proposition de restreindre la question à la « subsistance » est une tentative pour gagner en concrétude et ne pas prendre le problème par n’importe quel bout. La question alimentaire et agricole est en la matière centrale. Nous y reviendront plus loin.

    J’aurais plutôt envie de questionner la notion même de « garantie ». Sous prétexte que le capitalisme précarise les gens en les soumettant au règne de la valeur marchande, le communisme a-t-il pour but de délivrer l’individu de l’inquiétude de la subsistance et de lui garantir « la plus grande tranquillité matérielle sur toute la vie », comme le dit Lordon (2) ? On le voit, dans le raisonnement absurde de Lordon à propos de la « transition », cette garantie est difficile à concevoir sans de puissants mécanismes de coercition, sinon d’obligation sociale. Il est en effet difficile de vouloir ne pas s’occuper des choses importantes de la vie, sans que d’autres s’en occupent par ailleurs. Et comme il y a des chances que cela ne se fasse pas de façon spontanée, Lordon n’hésite pas à substituer au marché capitaliste de l’emploi des propositions de « transition » aussi bizarres que rédhibitoires pour boucler logiquement un système politique bancal à la base.

    En fait, le communisme ne ressemble certainement pas à une vie de retraité généralisée à tous, comme le laisse entendre Friot, mais plutôt à une vie sociale où les moyens de subsistance essentiels ne sont jamais très loin de tout un chacun. Aussi bien en tant que consommateur qu’en tant que producteur. Si garantie il y a, elle relève bien plus de l’existence de cette « proximité » matérielle et sociale d’un tel socle de subsistance, que de l’abstraction d’un salaire à vie, gros d’une logique d’irresponsabilité à tous les niveaux. Irresponsabilité du consommateur qui en veut pour son argent, irresponsabilité du producteur qui -sans la contrainte capitaliste- a intérêt à en faire le moins possible, irresponsabilité du planificateur qui dispose d’un accès privilégié aux ressources en cas de pénurie.

    En la matière, la façon de produire sa nourriture de façon non-marchande est une source d’inspiration essentielle. Dès lors que des personnes participent sans coercition, dès à présent, au fait de se nourrir et de nourrir les autres, on visualise beaucoup mieux de quoi sera faite une « garantie non-économique générale », qui se passerait du marché de l’emploi capitaliste. L’abolition complète de l’argent et du marché n’est sans doute pas un préalable à cela, mais plutôt une conséquence logique d’une organisation se concentrant sur l’accès à tous aux biens essentiels. Refuser l’économie capitaliste n’impose peut-être pas, en effet, d’abolir l’argent et le marché. Par contre, dès lors que le société s’organise autour de l’accès de tous à la subsistance et à la sa production, nous ne sommes plus dans le cadre d’une société marchande faite de producteurs séparés, et que seule la monnaie ou un autre équivalent général permet de relier. Précisément, comme l’a montré André Orléan, pour des producteurs isolés, l’accès à la monnaie est une question existentielle (3). La valeur abstraite est ce qui caractérise les relations marchandes, comme ce qui motive au plus profond les sujets économiques parce qu’il y va de leur existence même.

    Dès lors, soit on accepte la société marchande dans son principe, et il faut donc accepter que la précarité de l’existence passe par l’accès à la monnaie. Soit on refuse cette forme de précarité comme fondement sociétal, mais alors on ne peut pas rester en société marchande. Il faut inventer autre chose.

    Les propositions du salaire à vie ou de garantie économique générale sont présentées comme l’aboutissement d’une transition post-capitaliste. Au contraire, ne sont-elles pas essentiellement, de même que celles du revenu de base, des solutions précaires et transitoires, qui permettent à une partie de la population de s’extirper du marché de l’emploi, afin de transiter vers des formes de société non-marchandes ?

    Par delà l’actualité contemporaine, gros d’inquiétudes quant à la pérennité de la vie quand diverses limites planétaires physiques sont déjà dépassées, l’existence est précaire et l’a toujours été. En déléguant à un petit nombre d’acteurs la production des biens essentiels, disposant dans les étals de quantités de denrées injustement bon marché, une partie privilégiée du monde a peut-être être eu le sentiment que son existence était garantie. A l’inverse, faire pousser ses propres légumes, s’occuper concrètement de quoi l’on tire sa subsistance, que l’on soit amateur ou professionnel, en bio ou pas, c’est toujours se confronter à maints incertitudes d’un monde non-humain, qu’il s’agisse du climat, des maladies ou des ravageurs.

    Est-ce un privilège que de ne pas être relié à ce monde vivant-là, de ne pas y être un minimum immergé ? Pour la majeure partie de la population, pour qui l’accès à une alimentation saine en quantité suffisante est devenu impossible, cela pourrait bien apparaître comme la question essentielle. Notre objectif n’est plus d’obtenir de l’argent indépendamment d’un emploi, mais de mettre en place un accès inconditionnel à un socle de subsistance. En nature, et non en valeur monétaire. Et de plus, cet accès doit impérativement être couplé à un accès, tout aussi inconditionnel, à son mode de production (4).

    Dès lors, l’accès inconditionnel à un socle de subsistance et à sa production devient une revendication concrète et précise : il s’agit d’accéder aux terres agricoles autour des villes et au-delà, à des savoirs-faire, des moyens matériels, ce qui demande une autre organisation de l’espace compatible avec cet accès, soit une abolition de la distinction entre ville et campagne (5). C’est dans cette optique que le temps arraché au marché de l’emploi a un sens, et c’est dans les marges de l’emploi, et non au centre (6), que s’expérimentent les balbutiements d’un socle de subsistance. C’est d’ailleurs assez logique : comment espérer une validation marchande de pratiques non-marchandes, quand l’économie verrouille toutes les initiatives en vue de prendre soin du vivant ?

    C’est ce mouvement vers une réappropriation de la production alimentaire, par tout un chacun, qui nous paraît constituer un chemin désirable, cohérent, possible.

    Ce socle ne reposera pas uniquement sur une autarcie alimentaire locale (7). Celui-ci devant être articulé avec un fonds commun de réserves et de ressources de sécurité en cas d’urgence. C’est ce que l’on pourrait appeler une cotisation sociale en nature, pour une distribution de l’aide également en nature suivant les besoins. Les institutions existantes de sécurité sociale pourraient donc être une source d’inspiration, non pas pour en étendre le fonctionnement, mais pour le transformer sous une forme pertinente pour notre époque. Il est temps de réfléchir et débattre de la nature marchande, et pas seulement capitaliste, de notre société.

    (1) https://blog.mondediplo.net/transition-dans-la-transition

    (2) https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    (3) Monnaie, séparation marchande et rapport salarial, 2006
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    (4) C’est par exemple l’objectif des non-marchés de l’association le Jardin de Kodu, inspiré de _Bolo’bolo écrit en 1983. https://kodu.ouvaton.org/?NonMarches http://www.lyber-eclat.net/lyber/bolo/bolo.html

    (5) Pour approfondir cette question, on lira le passionnant article de Jasper Bernes, "Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie, et l’avenir du communisme – Jasper Bernes", 2020
    https://choublanceditions.noblogs.org/post/2022/01/13/le-ventre-de-la-revolution-lagriculture-lenergie-et-laven

    (6) Nous partageons ici pleinement les constats faits dans le livre Reprendre la terre aux machines de l’Atelier paysan (2021) de l’impasse de l’agriculture labellisée bio, en tant qu’alternative à l’intérieur de l’économie de marché, intrinsèquement incapable de nourrir toute la population et laissant s’installer une agriculture duale (une chimique pour la majeure partie de la population, une autre plus saine pour ceux qui un pouvoir d’achat suffisant). Pour des raisons économiques, la situation restera bloquée : il ne sera pas possible de sortir de l’agriculture industrielle et chimique dans ce monde marchand. Cependant, les auteurs n’imaginent pas d’autre porte de sortie qu’une captation de la valeur économique par les agriculteurs (au détriment des industries agro-alimentaire et de la distribution), par le biais d’une nouvelle sécurité sociale alimentaire, qui serait une nouvelle branche de la sécurité sociale, à financer par de nouvelles cotisations sociales (proposition directement inspirée de celle du salaire à vie de Friot et Lordon).

    (7) On sait que les flux, en matière alimentaire, sont actuellement totalement irrationnels quels qu’en soient les critères (ils sont rationnels d’un point de vue économique cependant, bien entendu, sans quoi ils n’existeraient pas). Même si chaque territoire a ses caractéristiques propre qui l’amène à s’orienter vers certaines cultures spécifiques, cela ne justifie aucunement le fait que, en France par exemple, n’importe quel territoire autour d’une ville donné alimente à 95 % celui des autres villes.

    #Lordon #Friot #post-capitalisme #post-monétaire #agriculture #subsistance #BoloBolo

  • Les « polluants éternels » que sont les PFAS ne sont pas les premières nuisances engendrées par l’industrie.

    Toutefois, leur ampleur a de quoi frapper l’imagination. Toute la planète, l’air, l’eau, la terre, les êtres vivants, leurs organes sont concernés.

    Dans un premier temps, c’est évidemment l’impuissance qui parle et chacun est renvoyé aux micro-décisions d’évitement de cette terrible réalité (dois-je boire cette eau ? Dois-je manger ces œufs ? Dois arroser avec cette eau ?). Puis, le quotidien reprend ses droits car on ne va pas s’arrêter de boire et de manger. Jusqu’à considérer avec détachement ce qui peut apparaître comme inévitable et dont il n’y a pas grand-chose à en dire.

    Dans un deuxième temps, c’est une tout autre démarche qui peut, on peut l’espérer, s’imposer. Comment ces pollutions scandaleuses sont-elles possibles ? Quelles en sont les causes profondes, essentielles ?

    Pourquoi y a-t-il autant de pollutions ?

    ► brochure à imprimer (PDF) :
    https://docdro.id/ifKth0Z

    #pfas #perfluorés #pollution #arkema #fluoropolymères #critique_de_la_société_marchande #post-monétaire