L’évasion perpétuelle .
Ce monde étant étouffant, et pas seulement du point de vue climatique, tout le monde a besoin d’évasion. La plupart la cherchent dans des marchandises légales ou non prévues à cet effet : films, mode, drogues, chemsex, etc. Ces « évasions » sont des enfermements et des addictions, et font circulairement partie du même monde.
Quelques uns s’évadent en imagination, c’est-à-dire s’imaginent s’évader, s’évadent imaginairement, c’est assez désespérant.
Il existe une autre voie : s’échapper des structures mentales et comportementales ; cultiver intensément l’esprit de vérité, dépolluer la sensibilité, aiguiser et affiner son attention, s’attacher à percevoir l’âme des choses et des êtres, percer et transpercer les apparences – qui sont toujours trompeuses -, développer ses antennes intuitives.
Et découvrir alors qu’il existe un autre niveau de réalité, qui n’a rien d’imaginaire, qui nous fait au contraire approcher, effleurer, entrapercevoir les reflets, les facettes, les saveurs, les contenus de ce qui se joue, se recycle, s’alchimise au-delà, au-dessus, au-dessous et à travers les apparences.
Cette alchimie du regard est alchimie de soi. Il ne s’agit pas de décoller vers un ailleurs, mais de laisser pousser ici-même de nouvelles perceptions, plus profondes, plus incisives, plus actives, plus récréatives. Être au monde autrement que le monde.
Se jouer des postures et démasquer les impostures ; esquiver, détourner, subvertir, distancer, transpercer ; se ressourcer, se renforcer, s’alléger. Mettre les pieds dans le plat comme on les pose sur un autre monde. S’acquitter des obligations de ce monde en étant quitte de l’obligation d’être de ce monde. Je suis là, mais non, mais oui, mais pas vraiment, ou plutôt vraiment-vraiment. Ce qui me nourrit, ce ne sont pas vos rituels, vos cérémonies, vos travaux, vos conventions, vos programmations, vos représentations, mais d’en saisir les mécanismes, d’en déminer les apparences, d’en déjouer les pièges, de me jouer de leurs étroitesses, de parcourir en un éclair et à l’envers le chemin qui mène de ces aliénations à ce qui s’est aliéné.
L’évasion perpétuelle peut cependant elle aussi se retourner en emprisonnement perpétuel, si elle vire à l’exercice esthétique, à la représentation, à la consommation, au temps partiel. Elle se doit d’être secrète et pourtant rayonnante, vide de toute ambition et plénitude de l’être disponible, arrachements qui s’enracinent, gouttes de jouvence à la mer enlacée.
La pierre n’est pas que ce qu’elle paraît mais aussi vibrations, fragment d’un chant, sensibilité qui rêve encore dans un sommeil profond. La prison qui limite ma liberté extérieure m’incite à ce geste intérieur libérateur : ne pas identifier ma liberté à cette extériorité. Cette liberté-là, j’en ai seul la clé, qui ouvrira la porte de la prison à la moindre occasion, mais pas pour m’enfermer dehors cette fois.
Ô Bouddha, j’ai compris ta leçon. Ô François, dépouillé comme toi, je vole à chaque pas. Ô Rûmî, le divin rayon a dispersé l’obscurité.
« Il fallait seulement savoir aimer » (Guy Debord).
Aphorisme extrait de la revue bilingue : O.S n°3 : "La subversion des consciences ."
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