• « Notre travail, c’est du bidouillage » : la #débrouille impossible pour sauver l’#école_publique | #StreetPress

    https://www.streetpress.com/sujet/1712654163-travail-bidouillage-debrouille-impossible-sauver-ecole

    #Profs absents et jamais remplacés
    « On a demandé à des #AESH de repeindre le mur du préau de l’école ! » C’était il y a longtemps, mais Florence s’en souvient très bien. « Ça m’a marquée. » Un exemple qui illustre le #bricolage permanent imposé au #personnel de l’#école. « Dans certains collèges du 93, il n’y a pas assez de #chaises pour les #élèves », lâche Yuna, professeur en école maternelle à Paris. À l’image du collège Travail Langevin à Bagnolet, dont StreetPress racontait récemment les galères. Les #murs des #locaux sont moisis et laissent passer la pluie. Il manque une #infirmière_scolaire et une #assistante_sociale.

    #lucie_inland

  • Emeutes de 2023 : le coût des dégradations estimé à 1 milliard d’euros par le Sénat
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/04/10/emeutes-de-2023-le-cout-des-degradations-estime-a-1-milliard-d-euros-par-le-

    A l’été 2023, la France avait été secouée par onze jours de violences urbaines à la suite de la mort de Nahel M., durant lesquels plus d’un millier de personnes avaient été blessées.

    #lemilliard

  • Inclusion scolaire des élèves en situation de handicap : un texte pour un meilleur accompagnement sur le « temps méridien » examiné [et adopté à l’unanimité] à l’assemblée
    https://www.lcp.fr/actualites/inclusion-scolaire-des-eleves-en-situation-de-handicap-un-texte-pour-un-meilleur

    Depuis une décision du Conseil d’Etat, datant de 20 novembre 2020, l’Education nationale est en effet dégagée de « toute responsabilité dans le financement des emplois d’AESH en dehors du temps scolaire ». Dans les faits, il revient alors aux collectivités territoriales (pour l’enseignement public) et aux établissements scolaires ou à la famille (pour l’enseignement privé) de prendre en charge le financement des #AESH sur la pause déjeuner.

    Une situation qui « induit une rupture dans la prise en charge et l’accompagnement au quotidien de ces enfants », indique l’exposé des motifs du texte, et qui nuit à leur « inclusion », voire a parfois des conséquences sur leur éducation, puisque certains élèves en situation de #handicap se sont ainsi retrouvés « déscolarisés » faute de prise en charge sur le temps du midi.

    La proposition de loi, notamment signée au Sénat par le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, vise à légiférer, suite à la décision du Conseil d’Etat, en attribuant à l’Etat la prise en charge de « l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien ». Selon le texte cette harmonisation du financement des AESH permettra de « garantir le bien-être des élèves », l’encadrement par différents intervenants étant, par ailleurs, « fortement déconseillé[e] dans le cadre de certains types de handicap » comme les troubles autistiques. Le texte considère que cela améliorera également la situation des AESH, qui auront désormais un « unique employeur », les « multiples contrats [étant] source de précarité et de distorsion en termes de droit du travail ».

    #école

  • Pour les tenants du projet de réforme, « les allocations-chômage sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/10/pour-les-tenants-du-projet-de-reforme-les-allocations-chomage-sont-les-ennem

    0n peine à comprendre le bien-fondé d’une nouvelle #réforme de l’#assurance-chômage visant à durcir les conditions d’indemnisation des #chômeurs, doctrine dont ce double mandat présidentiel se sera fait une spécialité. Les motivations pour justifier ces coups de canif portés à l’Unédic ont varié au fil du temps.

    Ce fut l’argument financier de résorption de la #dette : s’il s’agit d’en réduire le poids, il aurait été utile que l’Etat en donnât l’exemple en remboursant à l’institution paritaire ce qu’il lui doit : le financement du chômage partiel durant la crise sanitaire et l’équivalent des cotisations sociales perdues du fait de la politique d’allégement des charges sociales conduite depuis des années par ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé.

    Indemniser, placer, former

    L’autre argument avancé consiste à justifier cette réforme au nom du #travail avec le postulat implicite que les allocations-chômage, leur montant, leur durée sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs, les fameuses politiques dites « actives ».
    Et c’est sur ce point de l’argumentation que le bât blesse lourdement, et pour plusieurs raisons. Car depuis la création des premières formes d’indemnisation des chômeurs à la création de l’Unédic en 1958, puis de celle de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en 1967 (aujourd’hui France Travail), l’indemnisation des chômeurs et leur placement sur le marché du travail ne faisaient qu’un seul et même binôme.

    Ce fut tout le sens de la mise en place d’un service public de l’emploi dans ces années-là, tout ce dont le rapport Ortoli, rédigé par un certain Jacques Delors (1925-2023), appelait de ses vœux en 1963 : mettre en place une grande politique d’infrastructure publique de l’emploi au service de la mobilité professionnelle des actifs. Pour cela il fallait avant toute chose indemniser correctement les chômeurs (Unédic), les accompagner pour les placer (ANPE) avec le recours éventuel de la formation professionnelle (Association pour la formation professionnelle des adultes). L’indemnisation, au cœur des réformes aujourd’hui, constituait l’indispensable maillon et le levier principal de ces politiques actives.

    Plus récemment, un inspecteur de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), Jean-Marc Boulanger, chargé par le gouvernement en 2008 d’une mission de préfiguration pour la création de Pôle emploi, présentait l’indemnisation des chômeurs comme la rémunération du travail de recherche d’emploi des chômeurs. Il rappelait, ce que l’actuel gouvernement semble ignorer, que « l’indemnisation et le placement via une politique d’intermédiation active constituaient les deux leviers à mettre en une même main pour donner corps à la volonté de donner toute sa puissance à la stratégie de sécurité des parcours dans un marché de l’emploi souple et dynamique ».

    Perte en puissance inquiétante

    Si l’indemnisation est la condition d’une politique active de l’emploi, force est de constater que la perte en puissance de ce levier, pour soutenir le revenu de remplacement des chômeurs et l’adosser à une aide active au retour à l’emploi, est pour le moins inquiétante. En effet, au cours de l’année 2023 ce sont moins de 40 % des demandeurs d’emploi qui sont couverts par le régime d’assurance-chômage. Dans ces conditions il va devenir de plus en plus difficile d’utiliser l’indemnisation comme le support d’une politique d’accompagnement et d’activation des demandeurs d’emploi.

    Pour les 60 % de chômeurs non indemnisés le risque est d’abandonner le chemin de France Travail, de renoncer à être accompagnés par ses services pour privilégier la recherche de petits boulots, souvent précaires, et subvenir ainsi à leurs besoins.

    Pour celles et ceux des chômeurs qui choisiraient de maintenir leur inscription à France Travail, ils risquent, eux, de bénéficier d’un accompagnement bien moins intensif et soutenu que les demandeurs indemnisés puisque la doxa de l’équilibre budgétaire n’a rien à gagner financièrement de leur retour à l’emploi. Pour le dire dans le jargon des politiques de l’emploi : rien ne sert de les activer, puisqu’il n’y a aucune dépense passive (l’allocation-chômage) à récupérer.

    Ils ne sont pas rares, les demandeurs d’emploi non indemnisés, qui ont le sentiment à tort ou à raison que l’accompagnement qu’ils reçoivent de #France_Travail est plus light que pour les autres chômeurs encore indemnisés. C’est du reste une norme de comportement qu’ils ont eux-mêmes intégrée provoquant un même retrait vis-à-vis de leur investissement dans la recherche d’emploi.

    Course contre la montre

    Quant aux chômeurs indemnisés qui verraient leur période d’indemnisation ramenée à douze mois maximum si cette réforme devait être adoptée, il y a fort à parier que ce sera la course contre la montre pour parvenir à être pleinement accompagné dans un laps de temps aussi court.
    Car du côté de France Travail, il faudra, pour aligner l’accompagnement sur ce timing, revoir singulièrement le processus de prise en charge des demandeurs d’emploi. Conseillers comme demandeurs d’emploi font souvent le même constat d’un manque de réactivité de l’institution à la demande des usagers. Il y a d’abord le temps de la demande d’indemnisation, puis celui de l’entretien de situation pour orienter le chômeur vers la modalité d’accompagnement la plus adaptée à son profil, puis enfin la rencontre avec son conseiller qui va l’accompagner.

    Les délais d’entrée dans les prestations se comptent souvent en semaines pouvant entraîner le renoncement à suivre la prestation en question. Mais c’est surtout sur le volet de la formation professionnelle que les délais d’entrée dans les stages sont les plus longs même si, sous l’effet du plan d’investissement dans les compétences adopté en 2018, ces délais se sont légèrement réduits. Globalement, il faut encore attendre un bon trimestre pour pouvoir intégrer la formation voulue en espérant que l’on soit indemnisé suffisamment longtemps pour pouvoir y faire face.
    Voilà donc tout l’enjeu de la période actuelle : faire du triptyque indemnisation/formation/placement une seule et même politique pour répondre aux enjeux à venir dans le champ des multiples transitions (écologiques, numériques…) qui nous attendent. Il est temps que l’idéologie cède le pas à la raison.

    Carole Tuchszirer est chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers/Centre d’études de l’emploi et du travail (CNAM/CEET).

    • La « classe moyenne » qui s’en prend aux « chômeurs » ne s’en prend qu’à elle-même, Mathieu Grégoire, Sociologue, enseignant-chercheur à l’université Paris-Nanterre (IDHES)
      04 AVRIL 2024
      https://www.alternatives-economiques.fr/mathieu-gregoire/classe-moyenne-sen-prend-aux-chomeurs-ne-sen-prend/00110237

      Pour vous, le RSA, c’est dans douze mois ? Oui : « vous ». C’est à vous que je m’adresse. Vous qui êtes salariés dans le privé (ou allez le devenir). En CDI ou en CDD, peu importe. Vous qui êtes un homme ou une femme. Vous qui êtes ouvrier, employé, technicien, ingénieur, cadre… Vous qui avez 20, 30, 40 ou 50 ans.

      Pour la plupart d’entre vous, le revenu de solidarité active (RSA), dans douze mois, ça ne rentrait pas, objectivement, dans l’univers des possibles. Mais le Premier ministre souhaite que ça le devienne en diminuant la durée maximale des indemnités servies par l’assurance chômage à 12 mois.

  • Le recadrage de magistrats par Eric Dupond-Moretti est « de nature à porter atteinte » à la séparation des pouvoirs, selon le Conseil supérieur de la magistrature
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/04/10/le-recadrage-de-magistrats-par-eric-dupond-moretti-est-de-nature-a-porter-at

    Des magistrats (...) ont raconté au Figaro s’être « pris une soufflante » par le garde des sceaux et avoir été « en état de sidération » ; l’ancien avocat pénaliste était furieux des propos tenus durant la commission sénatoriale d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France. « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », avait affirmé Isabelle Couderc, juge d’instruction du pôle criminalité du tribunal de Marseille, le 5 mars.

    #Justice

  • Dans “l’enfer” des cours d’EPS
    https://www.frustrationmagazine.fr/eps-enfer

    A l’approche des Jeux Olympiques, certains médias s’interrogent : la France est-elle un pays sportif ? Au-delà de la question des médailles et des équipes nationales, on se hasarde à se demander si oui ou non une culture sportive innerve l’ensemble de la population. Faisons-nous suffisamment de sport ? Pas assez, nous dit-on. « Manger […]

  • L’échec des protestations de masse à l’ère de l’atomisation
    https://lvsl.fr/lechec-des-protestations-de-masse-a-lere-de-latomisation

    L’époque est marquée par une résurgence des protestations, et une radicalisation de leur mode opératoire. Paradoxalement, elles ont une prise de moins en moins forte sur la réalité politique. Que l’on pense à l’invasion du Capitole aux États-Unis à l’issue de la défaite de Donald Trump, ou aux manifestations de masse qui secouent aujourd’hui l’Europe sur la question palestinienne, un gouffre se creuse entre les moyens déployés et l’impact sur le cours des choses. Pour le comprendre, il faut appréhender les décennies d’atomisation qui ont conduit à la situation actuelle, où la politique de masse semble condamnée à l’impuissance. Par Anton Jäger, traduction Alexandra Knez.
    Cet article a été originellement publié sur Sidecar, le blog de la New Left Review, sous le titre « Political Instincts ? ».

    Deux hommes en tenue paramilitaire de piètre qualité se tiennent l’un à côté de l’autre, leurs casquettes MAGA dépassant la marée tourbillonnante de drapeaux et de mégaphones. « On peut prendre ce truc », s’exclame le premier. « Et après, on fera quoi ? », demande son compagnon. « On mettra des têtes sur des piques ». Trois ans plus tard, ces scènes rocambolesques de l’émeute du Capitole du 6 janvier, désormais bien ancrées dans l’inconscient politique, apparaissent comme un miroir grossissant de l’époque. Elles illustrent surtout une culture dans laquelle l’action politique a été découplée de ses résultats concrets.

    Ce soulèvement a incité des milliers d’Américains à envahir le siège de l’hégémonie mondiale. Pourtant, cette action n’a pas eu de conséquences institutionnelles tangibles. Le palais d’hiver américain a été pris d’assaut, mais cela n’a pas débouché sur un coup d’État révolutionnaire ni sur un affrontement entre deux pouvoirs. Au lieu de cela, la plupart des insurgés – des fantassins de la lumpenbourgeoisie américaine, des vendeurs de cosmétiques new-yorkais aux agents immobiliers floridiens – ont rapidement été arrêtés sur le chemin du retour, incriminés par leurs livestreams et leurs publications sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de cette fronde trumpienne, alors que l’ex-président se prépare à sa prochaine croisade. Un putsch similaire au Brésil n’a pas non plus abouti.

    • Le XIXè siècle a été marqué par un besoin plus pressant de garantir une passivité politique généralisée. Comme l’a fait remarquer Moses Finley, être citoyen dans l’Athènes d’Aristote c’était de facto être actif, avec peu de distinction entre les droits civiques et politiques, et des frontières rigides entre les esclaves et les non-esclaves. Dans les années 1830 et 1840, le mouvement pour le suffrage universel a rendu ces démarcations impossibles. Les prolétaires ambitionnaient de se transformer en citoyens actifs, menaçant ainsi l’ordre établi du règne de la propriété privée construit après 1789. Pour enrayer cette perspective, il fallait construire une nouvelle cité censitaire, dans laquelle les masses seraient exclues de la prise de décision, tandis que les élites pourraient continuer à mettre en œuvre la soi-disant volonté démocratique. Le régime plébiscitaire de Louis Bonaparte III, qualifié de « politique du sac de pommes de terre » dans Le 18 Brumaire de Marx, en est une manifestation. Cette « antirévolution créative », comme l’a appelée Hans Rosenberg, était une tentative de cadrer le suffrage universel en le plaçant dans des contraintes autoritaires qui permettraient la modernisation capitaliste.

      Walter Bagehot – sommité du magazine The Economist, théoricien de la Banque centrale et chantre de la Constitution anglaise – a défendu le coup d’État de Bonaparte en 1851 comme le seul moyen de concilier démocratisation et accumulation du capital. « Nous n’avons pas d’esclaves à contenir par des terreurs spéciales et une législation indépendante », écrivait-il. « Mais nous avons des classes entières incapables de comprendre l’idée d’une constitution, incapables de ressentir le moindre attachement à des lois impersonnelles. Le bonapartisme était une solution naturelle. La question a été posée au peuple français : « Voulez-vous être gouvernés par Louis Napoléon ? Serez-vous gouvernés par Louis Napoléon ou par une assemblée ? » Le peuple français répondit : « Nous serons gouvernés par le seul homme que nous pouvons imaginer, et non par le grand nombre de personnes que nous ne pouvons pas imaginer ».

      Bagehot affirmait que les socialistes et les libéraux qui se plaignaient de l’autoritarisme de Bonaparte étaient eux-mêmes coupables de trahir la démocratie. Commentant le résultat d’un plébiscite de 1870 qui a ratifié certaines des réformes de Bonaparte, il a affirmé que ces critiques « devraient apprendre […] que s’ils sont de vrais démocrates, ils ne devraient plus tenter de perturber l’ordre existant, au moins pendant la vie de l’empereur ». Pour eux, écrivait-il, « la démocratie semble consister le plus souvent à utiliser librement le nom du peuple contre la grande majorité du peuple ». Telle était la réponse capitaliste appropriée à la politique de masse : l’atomisation forcée du peuple – réprimant le syndicalisme pour garantir les intérêts du capital, avec le soutien passif d’une société démobilisée.

      Richard Tuck a décrit les nouvelles variantes de cette tradition au XXè siècle, dont témoignent les travaux de Vilfredo Pareto, Kenneth Arrow et Mancur Olson, entre autres. Pour ces personnalités, l’action collective et la mise en commun des intérêts étaient exigeantes et peu attrayantes ; le vote aux élections était généralement exercé avec réticence plutôt qu’avec conviction ; les syndicats profitaient autant aux membres qu’aux non-membres ; et les termes du contrat social devaient souvent être imposés par la force.

      Dans les années 1950, Arrow a recyclé une idée proposée à l’origine par le marquis de Condorcet, affirmant qu’il était théoriquement impossible pour trois électeurs d’assurer une harmonie parfaite entre leurs préférences (si l’électeur un préférait A à B et C, l’électeur deux B à C et A, et l’électeur trois C à A et B, la formation d’une préférence majoritaire était impossible sans une intervention dictatoriale). Le « théorème d’impossibilité » d’Arrow a été considéré comme une preuve que l’action collective elle-même était pleine de contradictions ; Olson l’a radicalisé pour promouvoir sa thèse selon laquelle le parasitisme était la règle plutôt que l’exception dans les grandes organisations. Ainsi la conclusion selon laquelle l’homme n’est pas naturellement enclin à la politique a fini par dominer ce domaine de la littérature sceptique de l’après-guerre.

      Vers la fin du vingtième siècle, avec la baisse drastique de la participation électorale, la forte baisse du nombre de jours de grève et le processus plus large de retrait de la vie politique organisée, l’apolitisme humain a semblé passer d’un discours académique à une réalité empirique. Alors que Kant parlait d’une « insociable sociabilité », on pourrait désormais parler d’une « insociabilité sociable » : une insociabilité qui renforce l’atomisation au lieu de la sublimer.

      Toutefois, comme l’a montré la décennie de contestations, la formule de Bagehot ne tient plus. Le soutien passif à l’ordre en place ne peut être assuré ; les citoyens sont prêts à se révolter en grand nombre. Pourtant, les mouvements sociaux naissants restent paralysés par l’offensive néolibérale contre la société civile. Comment conceptualiser au mieux cette nouvelle conjoncture ? Le concept d’ « hyperpolitique » – une forme de politisation sans conséquences politiques claires – peut s’avérer utile. La post-politique s’est achevée dans les années 2010. La sphère publique a été repolitisée et réenchantée, mais dans des termes plus individualistes et court-termistes, évoquant la fluidité et l’éphémérité du monde en ligne. Il s’agit d’une forme d’action politique toujours « modique » – peu coûteuse, accessible, de faible durée et, trop souvent, de faible valeur. Elle se distingue à la fois de la post-politique des années 1990, dans laquelle le public et le privé ont été radicalement séparés, et des politiques de masse traditionnelles du vingtième siècle. Ce qui nous reste, c’est un sourire sans chat (ndlr. Le chat de Cheshire d’Alice aux pays des merveilles) : une action politique sans influence sur les politiques gouvernementales ni liens institutionnels.

      Si le présent hyperpolitique semble refléter le monde en ligne – avec son curieux mélange d’activisme et d’atomisation – il peut également être comparé à une autre entité amorphe : le marché. Comme l’a noté Hayek, la psychologie de la planification et la politique de masse sont étroitement liées : les politiciens guettent leurs opportunités sur des décennies ; Les planificateurs soviétiques évaluaient les besoins humains au travers de plans quinquennaux ; Mao, très conscient de la longue durée, a hiberné en exil rural pendant plus de vingt ans ; les nazis mesuraient leur temps en millénaires. L’horizon du marché, lui, est beaucoup plus proche : les oscillations du cycle économique offrent des récompenses instantanées. Aujourd’hui, les hommes politiques se demandent s’ils peuvent lancer leur campagne en quelques semaines, les citoyens manifestent pour une journée, les influenceurs pétitionnent ou protestent avec un tweet monosyllabique.

      Il en résulte une prépondérance des « guerres de mouvement » sur les « guerres de position », les principales formes d’engagement politique étant aussi éphémères que les transactions commerciales. Il s’agit plus d’une question de nécessité que de choix : l’environnement législatif pour la mise en place d’institutions durables reste hostile, et les militants doivent faire face à un paysage social vicié et à une Kulturindustrie d’une ampleur sans précédent. Sous ces contraintes structurelles se cachent des questions de stratégie. Si l’internet a radicalement réduit les coûts de l’expression politique, il a également pulvérisé le terrain de la politique radicale, brouillant les frontières entre le parti et la société et engendrant un chaos d’acteurs en ligne. Comme le remarquait Eric Hobsbawm, la négociation collective « par l’émeute » reste préférable à l’apathie post-politique.

      La jacquerie des agriculteurs européens au cours des derniers mois indique clairement le potentiel (conservateur) de ces guerres de mouvement. Cependant, en l’absence de modèles d’adhésion formalisés, il est peu probable que la politique de protestation contemporaine nous ramène aux années « superpolitiques » de la décennie 1930. Au contraire, elle pourrait donner lieu à des reproductions postmodernes de soulèvements paysans de l’ancien régime : une oscillation entre la passivité et l’activité, mais qui réduit rarement le différentiel de pouvoir global au sein de la société. D’où la reprise en forme de K des années 2020 : une trajectoire qui n’aurait agréé ni à Bagehot, ni à Marx.

    • Texte original (EN) https://seenthis.net/messages/1049204

      Très intéressant.

      Le sujet mérite qu’on s’intéresse à ses raisons et expressions matérielles précises. Le texte en qustion ne mentionne jamais les relations entre les classes économiques et nous prive ainsi d’une compréhention effective du problème.


      Là on nous décrit des phénomènes et indique quelques penseurs non-matérialistes historiques qui ont travaillé sur la philosophie politique. Bref c’est le point de vue des puissants . Il faudra développer les idées en attaquant la réalité.

      cf. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A8ses_sur_Feuerbach

      Le titre français de l’article est intéressant parce qu’il n’a rien à faire avec le sens de l’article. « Political Instinct ? » est le titre du text anglais. On y apprend qu’il y a « atomisation » et baisse des journées de grève mais c’est tout. On le savait déjà. On peut aller plus loin en passant de la théorie à la pratique.

      Conséquence de la réflexion : il faut défendre les organisations ouvrières et travailler pour la constitution de structures acceuillantes, solidaires et solides qui seront adaptées à notre existence à l’ère de l’internet.

      #politique #philosophie #libéralisme #société #organisations #mouvement_ouvrier #activisme #individualisme

  • La conservation contre le #capitalisme
    https://laviedesidees.fr/La-conservation-contre-le-capitalisme

    Comment sauver la biodiversité de son extinction programmée sans appauvrir et exclure les populations dépendantes des écosystèmes ? En admettant la portée politique de la conservation et en l’inscrivant dans un projet anticapitaliste, répondent les sociologues Bram Büscher et Robert Fletcher.

    #Philosophie #biodiversité #révolution #vivant
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20240410_conservation.pdf

  • Témoignage d’un travailleur gazaoui détenu et torturé en Israël
    Rami Abou Jamous > 10 avril 2024 > Orient XXI
    https://orientxxi.info/dossiers-et-series/temoignage-d-un-travailleur-gazaoui-detenu-et-torture-en-israel,7227

    Ce mardi matin, il y avait une nouvelle tête parmi les voisins qui venaient aux nouvelles un jeune homme d’une trentaine d’années. Il venait d’être libéré par les Israéliens. Appelons-le Mohamed, car il ne souhaite pas être identifié. Il fait partie des quelque 16 000 Gazaouis qui étaient autorisés à travailler en Israël avant les événements du 7 octobre.

    Il m’a raconté son histoire. Quand il parlait, il s’arrêtait parfois pendant quelques secondes, les larmes aux yeux. Quand j’ai regardé ses mains, il avait aux poignets des cicatrices qui saignaient. Il m’a dit : « Ils serraient leurs menottes en plastique jusqu’à ce que le sang coule. » Il avait les mêmes cicatrices aux chevilles.

    Mohamed veut que l’on écoute son histoire. La voici, dans ses propres mots. (...)

  • Araser, creuser, terrasser : comment le béton façonne le monde, Nelo Magalhães
    https://www.terrestres.org/2024/04/05/araser-creuser-terrasser-comment-le-beton-faconne-le-monde

    Nos infrastructures pèsent un poids matériel et écologique dont nous n’avons pas idée. Ainsi, une autoroute contemporaine exige 30 tonnes de sable et gravier par mètre. Pour commencer à explorer cette histoire environnementale des grandes infrastructures, nous publions l’introduction du livre Accumuler du béton, tracer des routes.

    #livre #béton #infrastructures #autoroutes #écologie

    • Accumuler du béton, tracer des routes. Une histoire environnementale des #grandes_infrastructures

      Dans les décennies d’après-guerre, des milliers de kilomètres de routes et d’autoroutes sortent de terre pour soutenir l’intensification du trafic et relier, à travers les paysages agricoles remembrés, les métropoles aux zones industrielles, ports, aéroports, centrales électriques et complexes touristiques. C’est le début d’une « Grande accélération » qui bouleverse la production de l’espace. Sur les chantiers, le béton coule à flots tandis que le bruit des machines (qui ne font pas grève) a remplacé le tumulte des terrassiers. La chimie et l’industrialisation des techniques affranchissent la construction des contraintes du relief, du climat et de la géologie : « abstraire le sol » pour faire passer la route – et supporter le poids des camions – devient un leitmotiv de « l’aménagement du territoire » qui nécessite l’extraction et le déplacement continus de milliards de mètres cubes de terres, sable et granulat.

      Si les dégâts se font rapidement sentir dans le lit des rivières, les abords des carrières et dans l’atmosphère – sans parler de la mortalité sur les routes –, la frénésie du bitume n’a jamais faibli : il faut sans cesse réparer, épaissir, étendre cette infrastructure dévoreuse d’hectares et d’argent public. Ce livre offre une remarquable vue en coupe de cet engrenage technique, économique et politique. Alors que les luttes se multiplient contre le modèle routier et l’industrie cimentière, il identifie quelques verrous qui rendent le bâti si pesant. Un préalable pour penser des perspectives plus légères.

      https://lafabrique.fr/accumuler-du-beton-tracer-des-routes

      #sable #livre #Nelo_Magalhães #Nelo_Magalhaes

  • « Aux Etats-Unis, l’immobilier de bureau victime des vendredis »
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/04/08/aux-etats-unis-l-immobilier-de-bureau-victime-des-vendredis_6226656_3234.htm

    Même si beaucoup de salariés américains ont retrouvé le chemin de leurs bureaux après la fin du Covid, les employeurs ne parviennent pas à les faire revenir le dernier jour de la semaine. Un phénomène qui pénalise l’immobilier de bureau et qui concerne bien au-delà [sic] des frontières étasuniennes, explique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

    Le bâtiment fait tellement peur aux habitants de Brooklyn qu’ils l’ont baptisé « Sauron », comme le méchant du Seigneur des anneaux. Il faut dire que ce monolithe tout en acier noir de 325 mètres de haut et 93 étages tranche dans le paysage. La Brooklyn Tower est le seul gratte-ciel géant de New York qui ne soit pas situé sur l’île de Manhattan. Elle ne fait pas peur qu’aux habitants, mais aussi aux promoteurs. Elle devrait être mise aux enchères le 10 juin, à la suite du défaut de l’un d’eux sur sa dette.
    Ce n’est pas le seul building en difficulté depuis la sortie de la crise liée au Covid-19. L’immobilier de bureau américain est particulièrement touché. Selon le dernier rapport de l’agence de notation Moody’s, le taux de surfaces vacantes, non louées, aux Etats-Unis a atteint près de 20 % au premier trimestre 2024. Du jamais-vu depuis plus de trente ans. Etonnant dans un pays à l’économie florissante qui continue à recruter à tour de bras. Sur le seul mois de mars, près de 303 000 nouveaux emplois ont été créés dans le pays.

    « Il faut organiser ce chaos »

    La première explication rationnelle à cette panne immobilière réside dans le niveau des taux d’intérêt. Ceux-ci se répercutent sur les prêts immobiliers et sur le niveau des loyers. Mais la principale raison est ailleurs, du côté des vendredis. Ce jour-là, les bureaux sont vides. Si, poussés par leurs employeurs, beaucoup de salariés ont retrouvé le chemin des open spaces et des salles de réunion, ils désertent encore le dernier jour de la semaine. Selon le baromètre de la société Kastle, en moyenne dans les dix plus grandes villes américaines, près de 60 % des employés sont présents dans les locaux. Mais ce chiffre dégringole à 30 % les vendredis (mardi est le jour le plus chargé). L’immobilier de bureau est une victime des vendredis.

    « C’est fou, s’est exclamé l’homme d’affaires Barry Diller le 4 avril sur la chaîne CNBC, mais nous allons sensiblement vers une semaine qui ne sera pas forcément de quatre jours, mais où le vendredi sera à la maison. Il faut organiser ce chaos ». Et une manière de le faire, à profit pour les entreprises, est de réduire la taille des bureaux. Une révolution silencieuse qui doit beaucoup à l’absence de chômage, mais qui a toutes les chances de s’ancrer dans la société, et pas seulement aux Etats-Unis.

    #immobilier #travail #télétravail

  • Pourquoi « la naissance des divinités au néolithique est liée à la domestication des plantes au Proche-Orient »
    https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2024/04/07/pourquoi-la-naissance-des-divinites-au-neolithique-est-liee-a-la-domesticati

    Notre monde contemporain n’appréhende la technique qu’à l’aune de son application, d’où une approche biaisée de son origine. Or, les grandes innovations techniques sont trop complexes pour pouvoir envisager leur application dès le début.

    Les premiers développements sont en réalité le fruit d’une volonté d’explorer un phénomène fascinant, dont l’irruption interpelle les conceptions du monde et du cosmos – ainsi de la poudre à canon inventée par des alchimistes chinois fascinés par le souffle de l’explosion.

    Le concept de « technopoïèse », que j’ai récemment proposé, désigne cette phase originelle dans laquelle le processus revêt plus d’importance que le produit qui en est issu. Par la suite, dans la phase technologique qui lui succède, le produit fini se détache du processus. Devenue autonome, sa production peut se voir guidée par des critères utilitaires.

    Les trois millénaires d’extension du processus de domestication des plantes au Proche-Orient correspondent précisément à une phase de technopoïèse, dans laquelle les plantes sont mises en culture au nom de la résonance cosmique du processus, et non pas en vue de leur consommation. J’affirme donc que c’est cette dimension cosmique qui deviendra le moteur du processus de domestication.

    #agriculture #histoire #archéologie #technique #technopoïèse #spiritualité #utilitarisme #Nissim_Amzallag #livre

  • A moins de 30 ans, leur corps déjà abîmé par le travail : « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est toute cassée si jeune »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/04/09/a-moins-de-30-ans-leur-corps-est-deja-abime-par-le-travail-ca-a-quelque-chos

    Des salons de coiffure aux entrepôts de logistique, de jeunes travailleurs et travailleuses racontent les douleurs physiques qui envahissent leur quotidien.

    Par Alice Raybaud
    Publié aujourd’hui à 06h15, modifié à 17h04

    Temps de Lecture 7 min.

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    Désormais, chaque matin, Léa Ruiz revêt tout un attirail. Positionner un masque FFP2 sur le visage, enfiler une paire de gants en latex. Sur son agenda personnel, toujours avoir un rendez-vous chez le kiné programmé à court ou moyen terme. A 32 ans, elle n’a pas le choix si elle veut alléger les troubles physiques qui pèsent sur elle après neuf années en tant que coiffeuse.

    Les premières douleurs sont survenues très tôt, dès ses périodes de stage. Dans les salons de grandes chaînes où la jeune apprentie coiffeuse officiait – debout toute la journée et soumise à une « cadence effrénée » –, son dos a commencé à lui faire mal. Puis ses poignets et ses épaules, à force d’enchaîner les Brushing coudes relevés et sèche-cheveux à la main, et enfin ses jambes, en raison du piétinement continu. « Au début, ça s’en allait, avec du sport ou des séances de kiné. Et puis ça s’est installé, et c’est devenu des douleurs constantes », raconte Léa Ruiz. A l’orée de la trentaine, un eczéma envahit ses mains, abîmées par les shampooings, suivi de violents maux de tête, liés à l’inhalation quotidienne des produits de décoloration.

    Depuis 2020, elle a quitté l’industrie des salons de coiffure « à la chaîne » et a monté une coopérative avec d’autres collègues, décidés à penser une organisation du travail plus respectueuse : Frange radicale, à Paris, où les coiffeurs essaient de prendre davantage leur temps pour chaque coupe. Mais la jeune femme traîne toujours ces séquelles physiques, qui s’aggravent d’année en année. « Je ne vois pas bien combien de temps je vais pouvoir encore tenir comme ça », confie-t-elle.

    « Usure prématurée »

    Dans de nombreux secteurs, en particulier peu qualifiés, des jeunes travailleurs et travailleuses subissent, avant même la trentaine, les impacts précoces de leur activité professionnelle. Des domaines comme la logistique, le BTP, la vente, la restauration, l’esthétique – souvent essentiellement soit féminins, soit masculins – sont marqués par un même turnover, symptomatique de milieux qui essorent les corps en un temps record.

    Si les métiers en question sont caractérisés par une pénibilité intrinsèque, les jeunes entrants sont particulièrement exposés à ce que les chercheurs appellent une « usure prématurée » en raison de la nature des emplois qui leur sont attribués. Souvent en intérim ou en CDD, ils passent en coup de vent, découvrant à chaque contrat un nouvel environnement de travail, auquel ils ne peuvent s’adapter pleinement. Et où on leur confie souvent les tâches les plus harassantes, dont les manutentions les plus lourdes et contraignantes, comme le souligne un rapport du Centre d’études de l’emploi et du travail de 2023.

    Marc (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille), ajusteur-monteur de 25 ans, enchaîne depuis ses 19 ans les contrats d’intérim dans des usines d’automobile et d’aéronautique. Il a commencé par du travail de nuit, puis des horaires en trois-huit. « J’ai grandi dans une famille monoparentale, tout le temps avec des galères d’argent. Alors, quand j’ai vu qu’avec ce type d’emploi je pouvais toucher 2 000 euros plutôt que le smic, en tant que non-qualifié, j’ai dit oui direct. C’est un appât pour les jeunes comme moi qui cherchent à tout prix à sortir de la misère », raconte le jeune homme, passé auparavant par la vente et la restauration, « par défaut, après le refus de [ses] vœux d’études supérieures sur Parcoursup ».

    Mais avec ses horaires atypiques couplés au port de lourdes charges et un environnement de travail bruyant, il voit son corps – et son mental – s’écrouler. « C’est comme si j’étais constamment en retour de soirée, avec des difficultés à respirer, une arythmie cardiaque, l’impossibilité de trouver le sommeil. Ce rythme te détruit tout », explique Marc, qui souffre aujourd’hui de plus en plus d’une scoliose, et dont les bras et les poignets sont congestionnés à force des gestes répétés à l’usine.
    Douleurs et blessures

    Concernant en grande partie les plus jeunes, le travail de nuit aggrave tous les impacts physiques. « Certaines expositions, par exemple aux produits dangereux, font davantage de dégâts la nuit, car le corps ne les accueille pas de la même manière, et s’abîme plus vite et parfois de manière durable », observe le chercheur Serge Volkoff, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé.

    Plus d’un quart des 15-24 ans sont aussi contraints, à leurs débuts, à de l’emploi à temps partiel. « Or, ce recours au temps partiel les expose aux plus grandes pénibilités physiques et mentales », observe Anaïs Lehmann, doctorante en sociologie, qui rédige une thèse sur les travailleuses de la vente de prêt-à-porter. Dans ce secteur, le temps partiel est utilisé pour placer les jeunes aux moments de fortes affluences. « Des périodes où elles doivent soutenir une cadence élevée, debout, avec l’impossibilité de circuler correctement dans les rayons ou en réserve. Nombre d’entre elles se retrouvent avec des épaules bloquées, des douleurs aux pieds ou même des hernies discales », constate la chercheuse.

    Ces douleurs et blessures ont d’autant plus de probabilité de survenir que les jeunes connaissent moins, « du fait de leur inexpérience, les gestes de prudence, pour bien se positionner et éviter de se faire mal », constate Serge Volkoff. Si bien qu’ils se trouvent particulièrement exposés aux accidents graves et mortels au travail : trente-six travailleurs de moins de 25 ans n’ont pas survécu à un accident du travail en 2022, selon la Caisse nationale d’assurance-maladie.

    Leur statut précaire – de plus en plus fréquent et long en début de carrière – les installe aussi « dans une position de fragilité qui rend compliqué de s’opposer à leur employeur, ou d’user d’un droit de retrait quand ils se sentent mis en danger », ajoute Véronique Daubas-Letourneux, sociologue à l’Ecole des hautes études en santé publique. L’enjeu de s’extraire de cette précarité pousse d’ailleurs les jeunes à « mettre les bouchées doubles pour faire leurs preuves, sans pouvoir écouter les premiers signes de dégradation physique », pointe l’ergonome Jean-Michel Schweitzer.

    « Si tu ne vas pas assez vite, c’est simple, on ne te rappellera pas. Ça, tu l’as tout le temps en tête », témoigne ainsi Pierre Desprez, 26 ans, intérimaire pendant des années dans des entrepôts de logistique, où sa situation ne lui permettait pas de recourir aux gestes ou aux matériels de protection. « Quand tu as une cadence à respecter, tu ne peux pas toujours attendre ton binôme pour porter une charge lourde, alors tu t’y mets seul, quitte à t’esquinter le dos, explique le jeune homme, titulaire d’un CAP boulangerie et pâtisserie, secteur qu’il a quitté en raison d’une allergie à la farine, maladie fréquente chez les boulangers. En ouvrant des cartons, on s’entaillait aussi souvent les mains. Enfiler les gants de protection, puis les retirer, c’était prendre trop de retard. » Aujourd’hui ouvrier dans la métallurgie, Pierre connaît la même urgence, traduite désormais par des mains « pleines d’échardes de métal ».

    « Management du chiffre »

    Débuter dans ces secteurs, où la manutention est très présente, ou dans certains métiers d’artisanat signifie aussi devoir se plier à « une culture de l’effort et de la souffrance physique, raconte la coiffeuse Léa Ruiz. Plus tu vas te faire mal, plus ce sera dur, plus tu vas être valorisé ». La sociologue Diane Desprat, qui a étudié le milieu de la coiffure, a bien constaté que « toute manifestation de douleur chez l’apprentie ou la jeune salariée y est souvent pensée comme une manière d’apprendre le job, avec l’idée ancrée que le métier “rentre” par le corps ».

    Dans la restauration depuis ses 20 ans, Léa Le Chevrel se souvient, lors de ses débuts comme commis, s’être « usée le dos à porter des trucs super lourds, malgré [son] petit gabarit pour prouver qu’[elle] avai[t] [sa] place ». Aujourd’hui, le corps épuisé bien que toujours passionnée par le métier, « j’essaie de refuser de porter seule tel ou tel élément qu’on devrait soulever à deux, mais c’est mal vu. Tout comme le fait de prendre des arrêts maladie, tabou ultime de notre métier », explique la femme de 26 ans.

    Elle qui est passée par de nombreuses structures se rend compte que « bien des choses pourraient être faites de façon plus ergonomique, [s’il y] avait le matériel adapté, ou si seulement on se préoccupait de ce qui se passe dans les cuisines ». Mais « personne ne vient nous parler d’ergonomie et, quand on voit la médecine du travail, on nous rétorque que ces douleurs font partie du métier, que c’est normal », ajoute-t-elle.

    Bien souvent, ne pas être permanent dans les entreprises empêche aussi ces jeunes de bénéficier d’un suivi préventif. « Les directions se disent qu’avec le turnover élevé, ces jeunes ne restent pas longtemps, et donc qu’elles n’ont pas besoin de se préoccuper de leur ergonomie sur le long terme… sans comprendre que c’est aussi cette pénibilité qui renforce le phénomène de turnover », souligne la chercheuse Anaïs Lehmann.

    « Même en école, on n’a toujours pas beaucoup de cours [de prévention], remarque Lou-Jeanne Laffougere, apprentie paysagiste de 18 ans, qui souffre déjà du dos et des bras. On se débrouille un peu seuls pour trouver les bons gestes. » Cependant, Serge Volkoff observe que, même si la France est toujours « la mauvaise élève européenne en termes de pénibilité », le sujet de l’usure prématurée commence à être pris en compte : « Aujourd’hui, des employeurs font vraiment des efforts, des services de santé au travail arrivent à être proactifs sur ces enjeux. Ce qui n’est pas toujours simple, car économiser les plus jeunes sur les tâches les plus pénibles, par exemple, veut aussi dire moins préserver les anciens. »
    Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Face à l’intensification du travail, les jeunes plongent dans un malaise profond : « Je m’enfonçais dans le travail, je n’avais plus de distance »

    A cela s’ajoute un autre phénomène : les jeunes débutent dans un marché du travail aujourd’hui marqué par une forte intensification, guidée par un « management du chiffre », qui éreinte encore davantage les corps. A 18 ans, Cloé commence sa vie professionnelle dans des chaînes low cost d’esthétique. « Il y avait une pression du “toujours plus” : c’était du travail à la chaîne, de l’abattage, où la cliente, qui vient sans rendez-vous, est reine. Avec ce rythme, impossible de bien se positionner pour s’économiser, se souvient la Toulousaine de 26 ans. Toutes mes vacances étaient dédiées à me remettre physiquement, je ne pouvais même plus aller faire du VTT avec les copains. »
    Incidences morales

    Bien vite, les conséquences physiques envahissent le quotidien, des douleurs chroniques aux séquelles liées à des accidents du travail. Le coût n’est pas uniquement physique. Léa Le Chevrel investit une partie substantielle de son salaire dans de l’ostéopathie, des massages, du yoga, ou encore de la literie haut de gamme, « pas par confort, mais par nécessité ».

    Les incidences sont aussi morales. « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est déjà toute cassée si jeune », confie Léa Ruiz qui, comme toutes les personnes interrogées, peine à imaginer un horizon professionnel. La sociologue Anaïs Lehmann ajoute : « Les jeunes de mon enquête rapportent que cette pénibilité et ses conséquences en viennent à générer des conflits conjugaux, des tensions personnelles. Mais sans savoir comment trouver une échappatoire, en raison de leur faible niveau de diplôme. »

    Le jeune ouvrier Marc, à bout, cherche à quitter ce secteur trop pénible, bien que ce soit « difficile avec seulement un niveau bac ». Il envisage malgré tout de se lancer dans une formation certifiante pour trouver un emploi de bureau, idéalement dans l’informatique. Sans perspective pour accéder à un emploi moins éreintant, Pierre Desprez, lui, dit éviter de se projeter dans l’avenir : « Parce que, honnêtement, ça me fait trop peur. »

    Alice Raybaud

  • Un médecin à l’hôpital israélien de campagne pour les Gazaouis détenus : « nous sommes tous complices de violation de la loi »
    Posted on avril 7, 2024 | Hagar Shezaf| Michael Hauser Tov | Haaretz | Traduction CG pour l’AURDIP

    https://aurdip.org/un-medecin-a-lhopital-israelien-de-campagne-pour-les-gazaouis-detenus-nous-s

    Dans une lettre envoyée au ministre de la Défense, au ministre de la Santé et au procureur-général d’Israël, un médecin de l’hôpital de campagne installé au centre de détention Sde Teiman pour les Gazaouis arrêtés décrit les conditions dont il dit qu’elles peuvent compromettre la santé des prisonniers et qu’elles font courir au gouvernement le risque de violer la loi.

    « Rien que cette semaine, deux prisonniers ont eu leurs jambes amputées à cause de blessures causées par les entraves, ce qui est malheureusement un événement courant », a déclaré le médecin dans la lettre. Il a dit que les prisonniers étaient nourris avec des pailles, déféquaient dans des couches et étaient maintenus en contention constante, ce qui viole l’éthique médicale et la loi.

    Le centre Sde Teiman a été établi immédiatement après le déclenchement de la guerre de Gaza pour détenir les terroristes du Hamas, dont ceux qui ont pris part aux atrocités du 7 octobre, jusqu’à ce qu’ils puissent être déplacés dans une prison normale. (...)

  • L’auteur de cinéma : une construction masculine ?
    https://laviedesidees.fr/L-auteur-de-cinema-une-construction-masculine-6087

    Et si le statut d’auteur de film avait autorisé la #violence sexiste aujourd’hui dénoncée par les milieux du #cinéma ? De nombreuses #femmes ont cependant contribué à élaborer cette notion ; d’autres ont préféré défendre l’idée d’œuvre collective.

    #Arts #féminisme #sexisme
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20240409_hommecinema.pdf

  • Introduction à Shoah, par Arnaud Desplechin - Tsounami
    https://tsounami.fr/sommaire/article6

    Le 4 novembre 2023, Arnaud Desplechin présentait la 1ère époque de Shoah de Lanzmann au Centre Pompidou. l’une des plus belles interventions qu’il nous ait été donné d’entendre sur le cinéma. Voici le texte, brut, tel qu’il l’a lu ce jour-là dans les colonnes de Tsounami, jeune et bouillonnante revue de cinéma

    « Et le cinéaste nous demande de continuer à être stupéfait. À ne pas comprendre »

    Et ce film a changé ma vie.

    Le film que j’ai vu un jour de 1985 n’était pas un reportage. Le film était à peine un documentaire. Shoah ne m’expliquait rien. Et pourtant j’y apprenais mille choses.

    J’en arrive au cœur : Shoah simplement incarne, et c’est à mon sens la plus haute fonction du cinéma.

    Shoah incarne le point aveugle du 20ème siècle, la destruction des Juifs d’Europe, une destruction dont il reste si peu de traces. Sinon dans nos mémoires, dans nos vies quotidiennes.

    Ce film relève un défi cinématographique : comment donner à voir le massacre de plus de six millions d’êtres humains ?…

    Eh bien Lanzmann a trouvé la réponse. Plein de réponses. Je vais en énumérer deux ou trois autres.

  • Chômage des seniors : « en trois ans, je n’ai reçu qu’un seul appel » - Rapports de Force
    https://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/chomage-des-seniors-en-trois-ans-je-nai-recu-quun-seul-appel-0213203

    Depuis le début du mois de février, syndicats et patronat négocient sous l’égide du gouvernement pour un nouveau « pacte de vie au travail ». Comprendre : à propos du chômage des seniors. Mais, alors que les discussions commencent, les premières annonces de Bruno Le Maire ne rassurent pas les premiers concernés. Débrayage et Rapports de force leur ont donné la parole.

    • « en trois ans, je n’ai reçu qu’un seul appel ». La chance ! moi j’en reçois plein dont beaucoup de charognards de l’intérim. Je vais sur mes 59 printemps à la fin du mois et je suis réfractaire au chagrin jusqu’à la retraite.

  • n’en peut plus, là, la gueusaille ! Faut toujours que vous interprétiez tout de travers ! On ne veut pas vous retirer le droit de grève, pensez, on y tient comme à la prunelle ou la fantasio de nos yeux ! L’actuel projet de Loi des sénateurices, c’est juste pour vous le supprimer pendant les moments où les bourges partent en vacances, les moments où les bourges vont au ski, les moments où les bourges vont à la plage, les moments où les bourges vont voir des bourges taper dans une baballe, les moments où les bourges ont besoin de leur avion ou de leur automobile pour aller planquer leur pognon en Suisse, les moments où les bourges se débarrassent de leurs mioches dans les écoles, les moments où...

    Enfin bref, le trente février entre minuit et minuit une vous pouvez faire la grève comme vous voulez, mais pas plus de deux personnes à la fois, pas dans la rue, sans hurler trop fort et sans faire griller des merguez sur votre balcon parce qu’à cette heure-ci il y a des bourgeois·es qui dorment.

    Le problème, avec les pauvres, c’est qu’iels ne comprennent jamais rien à la pensée complexe.

    #MamieNicoleEnfonceDesPortesOuvertes.

  • La baignade est impossible dans la Seine depuis septembre en raison de bactéries, selon des analyses de l’ONG Surfrider Fondation.

    À 108 jours du début des Jeux olympiques de Paris, une nouvelle étude menée par l’ONG Surfrider Fondation, consultée par France Inter, révèle que la Seine n’est toujours pas adaptée à la baignade. Plusieurs prélèvements réalisés à Paris depuis septembre 2023 indiquent la présence de plusieurs bactéries à des niveaux qui dépassent les normes fixées par la Fédération internationale de natation.

    Ils ont l’air malins tous les ravis de la crèche, Hidalgo, Macron, Le Monde, Libération, Brut, qui rivalisent dans le déni à qui mieux mieux et relaient en boucle les mensonges extravagants diffusés depuis dix ans autour de ce qui demeurera comme un cas d’école de la manipulation de l’information.

    (…)

    https://www.eauxglacees.com/La-baignade-est-impossible-dans-la-Seine-depuis-septembre-en-raison-de?

  • La tour Insee à Malakoff : anachronie d’une chute - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2024/04/07/la-tour-insee-a-malakoff-anachronie-dune-chute

    Par Vanille Busin, Nicola Delon et Jérôme Denis
    Designer Ingénieure , Architecte, Sociologue
    Les auteurs de l’étude qui a conclu à la pertinence de la démolition de la célèbre tour Insee de Malakoff auraient été bien inspirés de suivre le conseil de méthode des grands statisticiens de ladite maison : la quantification du monde ne peut s’apprécier, et se discuter, qu’à condition de pouvoir interroger les opérations conventionnelles qui en sont le fondement. Et la tour serait toujours debout.

    « Mesurer pour comprendre », tel est le slogan de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) qui, entre 1975 et 2018, fut hébergé dans une tour tripode de 48 mètres de haut située au bord du périphérique parisien à Malakoff. Plusieurs générations de statisticiens et d’économistes hétérodoxes ou orthodoxes se sont succédé dans ces bureaux, et leurs régulières publications d’indicateurs ont eu des effets considérables sur les politiques publiques des 50 dernières années.

    En ce début de printemps 2024, les 32 000 m² de l’édifice dessiné par les architectes Denis Honegger et Serge Lana sont minutieusement grignotés par les machines des démolisseurs qui poursuivent leur radical effacement. En lieu et place, il est prévu d’y installer un nouvel immeuble de bureaux de 35 000 m² pour accueillir l’administration centrale des ministères du Travail, de la Santé et des Solidarités.

    Les alertes citoyennes, en premier lieu celles de l’association IN C’ Malakoff, les oppositions d’élu·es dont Jacqueline Belhomme, maire de Malakoff ou Carine Petit, maire du 14ème arrondissement limitrophe, les tribunes, pétitions, réunions publiques, la déclaration de Chaillot, et même le tout récent avis défavorable de l’enquête publique : rien ne semble pouvoir arrêter cette destruction irréversible. Celle-ci cristallise en réalité un ensemble de mécanismes et de forces à l’œuvre.

    En y regardant de plus près, il apparaît même que ce cas particulier nous raconte l’époque. Le scénario de la démolition-reconstruction qui pouvait sembler pour certains une évidence il y a dix ans à peine a été balayé par une autre évidence diamétralement opposée, celle de la conservation-réhabilitation. Que nous raconte ce renversement ? Que dit-il du processus de fabrication de l’architecture et du rôle de ses acteurs politiques et économiques ? Que dit-il des indicateurs utilisés pour prendre des décisions et de notre rapport au temps ?

    Cette situation nous confronte en effet à une complexe discordance des temps : le temps court d’une prise de décision politique obéissant à un moment particulier, le temps long de la ville qui se structure par un effet différé de ces décisions, le temps actualisé dans un nouveau contexte climatique qui nous impose, « dans l’urgence », de maintenir nos bâtiments le plus longtemps possible, et enfin le temps qu’il nous manque pour faire cesser ce projet qui ne fait plus sens.

    Pour ou contre la démolition ?
    Pour les promoteurs publics de la démolition le choix de regroupement des ministères sur un même site s’explique par plusieurs arguments : programmatique, pour « faciliter le travail en commun entre les services, qui génère aujourd’hui de nombreux déplacements sources d’émissions de gaz à effet de serre » ; écologique, « les immeubles loués actuellement n’atteignant pas totalement le niveau d’exigence en matière de consommation énergétique » ; financier, « le coût des baux locatifs des deux sites actuels étant très onéreux et difficilement acceptable dans un contexte d’économie budgétaire ». La construction d’un bâtiment neuf est justifiée par la nécessité de répondre « aux besoins fonctionnels des services administratifs, en créant des espaces adaptables et une volumétrie permettant d’améliorer la fonctionnalité et l’efficience du travail collectif ». Il permettra d’offrir des espaces de travail « modernes, accueillants et accessibles, en adéquation avec les standards d’aujourd’hui et de demain pour la qualité de vie au travail ».

    Si l’option de la réhabilitation de la tour a été étudiée dans un premier temps, cette piste n’a pas été retenue car elle ne répondait pas « aux ambitions de l’État vis-à-vis des besoins fonctionnels et des objectifs en matière d’énergie et de bilan carbone », le bilan énergétique d’exploitation de la tour INSEE étant moins performant que celui d’une construction neuve. Le nouveau bâtiment promet d’être « exemplaire en matière de respect des politiques d’économies d’énergie, de développement durable et de mobilité »[1] et répondra aux exigences du référentiel NF HQE Bâtiment Durable 2016 ainsi qu’à la Réglementation Environnementale 2023.

    Mais a-t-on vraiment pris la mesure du potentiel de la réhabilitation ? Pour les opposants à la démolition, la destruction du tripode de béton armé représente « un gigantesque gâchis environnemental, financier et patrimonial » pour un usage identique et sur une surface similaire. Ils démontrent que la transformation de la tour aurait pu répondre à moindre coût au programme et à l’ambition des ministères. D’un point de vue architectural, la typologie du tripode est reconnue pour ses grandes qualités : « son orientation multiple offre des espaces ensoleillés, car aucune façade n’est à l’ombre toute la journée » ; elle permet « l’économie des circulations verticales, concentrées en un point central » ; « la structure poteaux-poutre régulière offre un plan libre, permettant d’imaginer une diversité de configurations et d’usages ».

    Plus frappant, l’étude comparative multicritères de l’État finalement rendue publique en 2022 par Alterea, confirme la possibilité technique d’une réhabilitation et sa pertinence, tant du point de vue environnemental que financier. Ce scénario coûterait « 25 à 52 millions d’euros de moins », soit « 15% à 30% d’économie tout en émettant près de 30% de carbone en moins ». Même en prenant en compte la performance environnementale du bâtiment neuf, « les émissions de CO2 du chantier de démolition-reconstruction sont tellement importantes qu’il faudrait attendre près de 430 années d’exploitation du bâtiment pour les amortir et rentrer dans une phase plus vertueuse que si le bâtiment avait été rénové initialement »[2].

    Interroger les critères
    Pour comprendre ce qui motive les conclusions de cette dernière étude, qui confirme malgré tout la pertinence du projet de démolition-reconstruction, il faut se pencher plus précisément sur sa méthode, et le principe même de l’analyse multicritères. C’est d’ailleurs ce à quoi les grands statisticiens et économistes de l’INSEE appelaient en leur temps, d’Alain Desrosières à François Eymard-Duvernay, à propos de toute forme de mesure : la quantification du monde ne peut s’apprécier, et se discuter, qu’à condition de pouvoir interroger les opérations conventionnelles qui en sont le fondement, en particulier celles qui consistent à produire des équivalences. Autrement dit, il ne faut pas seulement se pencher sur le résultat des calculs, mais questionner en amont leurs postulats et leur périmètre. On est de ce point vue frappés de voir une série de variables très différentes compilées dans des tableaux autour de critères aux intitulés eux-mêmes discutables et rendus commensurables : « patrimonial, architectural et paysager », « fonctionnel », « organisationnel », « environnemental », et bien sûr « économique ». Critères qui, au fil du document, servent à comparer les scénarios (dont plusieurs modalités de réhabilitation), d’abord sous la forme de sous-critères chiffrés, puis de courtes phrases, de l’usage des couleurs rouge et verte, et enfin de… smileys.

    Plusieurs formes d’aplatissement se jouent dans ce dispositif. La première porte sur le sens même de la comparaison, son orientation. L’étude est en effet organisée autour de l’évidence de la démolition, et c’est à l’aune de ce scénario que les autres sont mesurés. Ce seul point de référence témoigne d’une organisation du raisonnement calculatoire qui n’a rien « d’innocent », comme le dirait la philosophe Donna Haraway[3].

    L’effet d’aplatissement se joue aussi dans l’opération technique de la comparaison, ou plutôt des comparaisons accumulées. Qu’est-ce qui est compté, exactement, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? De quel droit se permet-on par exemple d’opposer des bilans d’émissions carbone d’opérations, à propos desquelles on peut considérer qu’elles ne sont pas vraiment comparables, notamment parce que la question de la matière est occultée dans le calcul ? En particulier, la durée nécessaire à la constitution des matériaux qui entrent dans la fabrication du béton n’est pas comptée. Ainsi, une grande partie du coût des matériaux est cachée, alors même que ce coût deviendrait inestimable si l’on considérait le sable pour ce qu’il est « réellement » : une ressource non renouvelable. Ailleurs, les émissions carbone du scénario démolition-construction sont compensées uniquement si l’on compte une exploitation du bâtiment neuf sur plus de quatre siècles, alors même que nous n’avons pas 100 ans de recul sur la durée de vie du béton.

    L’aplatissement de la méthode se joue enfin dans le choix des critères et dans la distribution de l’expertise. Alors même que les membres de l’association de défense de la conservation IN C’ Malakoff font preuve d’une remarquable maîtrise du sujet, y compris sur le plan technique, leur parole est restée inaudible face à des décideurs qui font la sourde oreille. À l’heure de la crise climatique et de la défiance grandissante vis-à-vis des autorités politiques et scientifiques, cultiver les conditions d’une démocratie technique est essentiel, en particulier lorsqu’il s’agit d’architecture et d’urbanisme. Une démocratie qui ne consiste pas simplement à rendre acceptables des projets décidés à huis clos, mais au contraire à rendre discutables leurs aspects les plus techniques, qui sont toujours aussi éminemment politiques.

    C’est dans le débat collectif autour des chiffres et des critères que peut s’inventer une échappatoire à l’aplatissement indiscutable des calculs. En reconnaissant que les projets de ce genre ne sont pas seulement affaire de « coûts » et de « bénéfices » dont l’identification tiendrait d’un bon sens partagé, mais qu’ils relèvent de la décision politique. Il faudrait ainsi pouvoir accompagner une « inversion du pensable », pour reprendre la belle expression de Michel de Certeau[4], qui ferait s’imposer l’évitement de la démolition, la prise en compte des cycles longs de la matière, une véritable considération pour les sols et leurs richesses comme autant de points de départ, autant de nouvelles évidences à partir desquelles penser, aménager et ménager.

    Le fait accompli de la disparition
    C’est tout le contraire qui s’est passé à Malakoff à propos de la tour de l’INSEE. Pendant les premières années du projet, c’est la destruction qui a tenu lieu d’évidence. Comme si le bâtiment avait déjà disparu, gommé par la projection d’un futur qui tenait sa force d’une parcelle devenue page blanche. Puis tout est allé très vite. Les travaux de dépollution ont commencé et l’évidence s’est concrétisée dans les premières opérations, dont le coût a pu être comptabilisé dans l’étude multicritères, pesant ainsi en défaveur des autres scénarios, et rendant particulièrement difficile l’élaboration d’alternatives. Cette politique du fait accompli a fait de la réhabilitation une sorte d’incongruité dont la pertinence est devenue de plus en plus complexe à démontrer. Cette difficulté à vouloir arrêter le coup parti est par ailleurs renforcée par le choix de la procédure du marché public initial. En effet dans le cadre d’un « Marché Global de Performance » le commanditaire public confie à un acteur privé, ici Eiffage, la conception, la construction et la maintenance du bâtiment. Toute redirection au cours du processus est rendue quasiment impossible ou très coûteuse au regard des clauses contractuelles initiales.

    La force des évidences tient précisément à ce qu’on ne les voit plus, qu’elles se fondent dans l’arrière-plan de l’expérience. Aujourd’hui, malgré toutes les tentatives citoyennes et juridiques, la tour est en train d’être rasée. Et la manière même dont s’opère la démolition redouble la politique du fait accompli de la disparition. Depuis plusieurs semaines, étage par étage, la tour est effacée, sans fracas, presque silencieusement. Il y a quelque chose de l’anesthésie collective qui se joue dans ce démontage progressif « sans douleur », si loin des explosions spectaculaires qui avaient le mérite d’assumer la violence matérielle et symbolique de la démolition. Il faudrait rester jour et nuit sur le site pour véritablement prendre la mesure de celle-ci. Dessiner des lignes dans le ciel comme on trace un trait sur une bouteille dont on soupçonne que son contenu disparaît à notre insu. Suivre aussi la masse considérable des matériaux qui résulte de cet acte de démolition, et qu’il faut bien transporter, entreposer, retraiter dans le meilleur des cas. Documenter aussi les résidus toxiques récupérés à cette occasion, au premier rang desquels l’amiante. Accompagner, enfin, les ouvriers dont les corps portent aussi les traces de cet effacement.

    Mais déjà, la tour n’est presque plus là. Que restera-t-il dans quelques semaines, dans quelques années ? Comment son absence sera-t-elle éprouvée alors même que son existence n’a pas été jugée digne de considération et que sa démolition est passée inaperçue ?

    Le projet installe les conditions d’une grave amnésie, qui s’étend au-delà de la question strictement patrimoniale. Il perpétue un monde où le rapport aux milieux habités est marqué par l’insensibilité, voire l’insouciance. Un monde où le confort et l’innovation ont été associés à la course au remplacement et à la mise en invisibilité systématique des déchets qu’elle génère[5]. Un monde où l’inattention matérielle et l’oubli sont inscrits au cœur de l’idée de progrès, dont nous sommes de plus en plus nombreu·ses·x à savoir qu’il n’est plus tenable.

    Combien de temps nous faudra-t-il pour oublier l’existence de la tour INSEE ? Après l’amnésie de la biodiversité (s’habituer à ne plus voir d’insectes), l’amnésie du climat (considérer comme normales des températures autrefois exceptionnelles), l’amnésie patrimoniale nous guette à mesure que les bâtiments tombent ici et là.

    Penser gagner et pourtant perdre
    Tout comme la perte de ce qui nous est cher, constater la disparition matérielle provoque un mélange de tristesse et de colère. Car il s’agit ici de perdre les recours intentés pour arrêter le désastre, perdre son temps à ne pas être écouté, perdre la bataille du réel en ayant pourtant le sentiment de gagner celle des idées.

    Et pourtant, à Toulouse, Roubaix, Nantes, Besançon, Amiens, Marseille, Châtenay-Malabry, des collectifs de citoyen·nes s’organisent et appellent à un moratoire sur les démolitions prévues. Les luttes jusque-là très locales, se sont rassemblées le 7 février dernier à Pantin pour être reçues par l’ANRU (Agence Nationale du Renouvellement Urbain) et exiger un moratoire sur les démolitions à venir.

    Ces luttes, loin d’être anecdotiques, rassemblent un panel riche de profils et de compétences complémentaires (architectes à la retraite ou tout juste diplômés, juristes, ingénieurs, sociologues, historiens, travailleurs sociaux, activistes écologistes…). Au fur et à mesure qu’elles s’affutent, les expertises citoyennes se positionnent à l’avant-garde des décisions politiques. Elles détricotent les évidences de la destruction et réinvestissent le temps de l’architecture. Autour de ces concernements qui convergent naît un espoir : ce qui était possible hier ne le sera peut-être plus demain. La tour INSEE aurait pu être un magnifique symbole du passage d’une avant-garde (sa construction) à une autre (sa réhabilitation). L’inverse a eu lieu et nous sommes là, à compter chaque jour les étages qui disparaissent. Observateurs attentifs de l’évidente anachronie d’une chute.

    Vanille Busin
    Designer Ingénieure , membre de l’agence Encore Heureux

    Nicola Delon
    Architecte, Cofondateur du collectif Encore Heureux

    Jérôme Denis
    Sociologue, professeur de sociologie à Mines Paris - PSL

    qualités : « son orientation multiple offre des espaces ensoleillés, car aucune façade n’est à l’ombre toute la journée » ; elle permet « l’économie des circulations verticales, concentrées en un point central » ; « la structure poteaux-poutre régulière offre un plan libre, permettant d’imaginer une diversité de configurations et d’usages ».

    Plus frappant, l’étude comparative multicritères de l’État finalement rendue publique en 2022 par Alterea, confirme la possibilité technique d’une réhabilitation et sa pertinence, tant du point de vue environnemental que financier. Ce scénario coûterait « 25 à 52 millions d’euros de moins », soit « 15% à 30% d’économie tout en émettant près de 30% de carbone en moins ». Même en prenant en compte la performance environnementale du bâtiment neuf, « les émissions de CO2 du chantier de démolition-reconstruction sont tellement importantes qu’il faudrait attendre près de 430 années d’exploitation du bâtiment pour les amortir et rentrer dans une phase plus vertueuse que si le bâtiment avait été rénové initialement »[2].

    Interroger les critères

    Pour comprendre ce qui motive les conclusions de cette dernière étude, qui confirme malgré tout la pertinence du projet de démolition-reconstruction, il faut se pencher plus précisément sur sa méthode, et le principe même de l’analyse multicritères. C’est d’ailleurs ce à quoi les grands statisticiens et économistes de l’INSEE appelaient en leur temps, d’Alain Desrosières à François Eymard-Duvernay, à propos de toute forme de mesure : la quantification du monde ne peut s’apprécier, et se discuter, qu’à condition de pouvoir interroger les opérations conventionnelles qui en sont le fondement, en particulier celles qui consistent à produire des équivalences. Autrement dit, il ne faut pas seulement se pencher sur le résultat des calculs, mais questionner en amont leurs postulats et leur périmètre. On est de ce point vue frappés de voir une série de variables très différentes compilées dans des tableaux autour de critères aux intitulés eux-mêmes discutables et rendus commensurables : « patrimonial, architectural et paysager », « fonctionnel », « organisationnel », « environnemental », et bien sûr « économique ». Critères qui, au fil du document, servent à comparer les scénarios (dont plusieurs modalités de réhabilitation), d’abord sous la forme de sous-critères chiffrés, puis de courtes phrases, de l’usage des couleurs rouge et verte, et enfin de… smileys.

    Plusieurs formes d’aplatissement se jouent dans ce dispositif. La première porte sur le sens même de la comparaison, son orientation. L’étude est en effet organisée autour de l’évidence de la démolition, et c’est à l’aune de ce scénario que les autres sont mesurés. Ce seul point de référence témoigne d’une organisation du raisonnement calculatoire qui n’a rien « d’innocent », comme le dirait la philosophe Donna Haraway[3].

    L’effet d’aplatissement se joue aussi dans l’opération technique de la comparaison, ou plutôt des comparaisons accumulées. Qu’est-ce qui est compté, exactement, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? De quel droit se permet-on par exemple d’opposer des bilans d’émissions carbone d’opérations, à propos desquelles on peut considérer qu’elles ne sont pas vraiment comparables, notamment parce que la question de la matière est occultée dans le calcul ? En particulier, la durée nécessaire à la constitution des matériaux qui entrent dans la fabrication du béton n’est pas comptée. Ainsi, une grande partie du coût des matériaux est cachée, alors même que ce coût deviendrait inestimable si l’on considérait le sable pour ce qu’il est « réellement » : une ressource non renouvelable. Ailleurs, les émissions carbone du scénario démolition-construction sont compensées uniquement si l’on compte une exploitation du bâtiment neuf sur plus de quatre siècles, alors même que nous n’avons pas 100 ans de recul sur la durée de vie du béton.

    L’aplatissement de la méthode se joue enfin dans le choix des critères et dans la distribution de l’expertise. Alors même que les membres de l’association de défense de la conservation IN C’ Malakoff font preuve d’une remarquable maîtrise du sujet, y compris sur le plan technique, leur parole est restée inaudible face à des décideurs qui font la sourde oreille. À l’heure de la crise climatique et de la défiance grandissante vis-à-vis des autorités politiques et scientifiques, cultiver les conditions d’une démocratie technique est essentiel, en particulier lorsqu’il s’agit d’architecture et d’urbanisme. Une démocratie qui ne consiste pas simplement à rendre acceptables des projets décidés à huis clos, mais au contraire à rendre discutables leurs aspects les plus techniques, qui sont toujours aussi éminemment politiques.

    C’est dans le débat collectif autour des chiffres et des critères que peut s’inventer une échappatoire à l’aplatissement indiscutable des calculs. En reconnaissant que les projets de ce genre ne sont pas seulement affaire de « coûts » et de « bénéfices » dont l’identification tiendrait d’un bon sens partagé, mais qu’ils relèvent de la décision politique. Il faudrait ainsi pouvoir accompagner une « inversion du pensable », pour reprendre la belle expression de Michel de Certeau[4], qui ferait s’imposer l’évitement de la démolition, la prise en compte des cycles longs de la matière, une véritable considération pour les sols et leurs richesses comme autant de points de départ, autant de nouvelles évidences à partir desquelles penser, aménager et ménager.

    Le fait accompli de la disparition

    C’est tout le contraire qui s’est passé à Malakoff à propos de la tour de l’INSEE. Pendant les premières années du projet, c’est la destruction qui a tenu lieu d’évidence. Comme si le bâtiment avait déjà disparu, gommé par la projection d’un futur qui tenait sa force d’une parcelle devenue page blanche. Puis tout est allé très vite. Les travaux de dépollution ont commencé et l’évidence s’est concrétisée dans les premières opérations, dont le coût a pu être comptabilisé dans l’étude multicritères, pesant ainsi en défaveur des autres scénarios, et rendant particulièrement difficile l’élaboration d’alternatives. Cette politique du fait accompli a fait de la réhabilitation une sorte d’incongruité dont la pertinence est devenue de plus en plus complexe à démontrer. Cette difficulté à vouloir arrêter le coup parti est par ailleurs renforcée par le choix de la procédure du marché public initial. En effet dans le cadre d’un « Marché Global de Performance » le commanditaire public confie à un acteur privé, ici Eiffage, la conception, la construction et la maintenance du bâtiment. Toute redirection au cours du processus est rendue quasiment impossible ou très coûteuse au regard des clauses contractuelles initiales.

    La force des évidences tient précisément à ce qu’on ne les voit plus, qu’elles se fondent dans l’arrière-plan de l’expérience. Aujourd’hui, malgré toutes les tentatives citoyennes et juridiques, la tour est en train d’être rasée. Et la manière même dont s’opère la démolition redouble la politique du fait accompli de la disparition. Depuis plusieurs semaines, étage par étage, la tour est effacée, sans fracas, presque silencieusement. Il y a quelque chose de l’anesthésie collective qui se joue dans ce démontage progressif « sans douleur », si loin des explosions spectaculaires qui avaient le mérite d’assumer la violence matérielle et symbolique de la démolition. Il faudrait rester jour et nuit sur le site pour véritablement prendre la mesure de celle-ci. Dessiner des lignes dans le ciel comme on trace un trait sur une bouteille dont on soupçonne que son contenu disparaît à notre insu. Suivre aussi la masse considérable des matériaux qui résulte de cet acte de démolition, et qu’il faut bien transporter, entreposer, retraiter dans le meilleur des cas. Documenter aussi les résidus toxiques récupérés à cette occasion, au premier rang desquels l’amiante. Accompagner, enfin, les ouvriers dont les corps portent aussi les traces de cet effacement.

    Mais déjà, la tour n’est presque plus là. Que restera-t-il dans quelques semaines, dans quelques années ? Comment son absence sera-t-elle éprouvée alors même que son existence n’a pas été jugée digne de considération et que sa démolition est passée inaperçue ?

    Le projet installe les conditions d’une grave amnésie, qui s’étend au-delà de la question strictement patrimoniale. Il perpétue un monde où le rapport aux milieux habités est marqué par l’insensibilité, voire l’insouciance. Un monde où le confort et l’innovation ont été associés à la course au remplacement et à la mise en invisibilité systématique des déchets qu’elle génère[5]. Un monde où l’inattention matérielle et l’oubli sont inscrits au cœur de l’idée de progrès, dont nous sommes de plus en plus nombreu·ses·x à savoir qu’il n’est plus tenable.

    Combien de temps nous faudra-t-il pour oublier l’existence de la tour INSEE ? Après l’amnésie de la biodiversité (s’habituer à ne plus voir d’insectes), l’amnésie du climat (considérer comme normales des températures autrefois exceptionnelles), l’amnésie patrimoniale nous guette à mesure que les bâtiments tombent ici et là.

    Penser gagner et pourtant perdre

    Tout comme la perte de ce qui nous est cher, constater la disparition matérielle provoque un mélange de tristesse et de colère. Car il s’agit ici de perdre les recours intentés pour arrêter le désastre, perdre son temps à ne pas être écouté, perdre la bataille du réel en ayant pourtant le sentiment de gagner celle des idées.

    Et pourtant, à Toulouse, Roubaix, Nantes, Besançon, Amiens, Marseille, Châtenay-Malabry, des collectifs de citoyen·nes s’organisent et appellent à un moratoire sur les démolitions prévues. Les luttes jusque-là très locales, se sont rassemblées le 7 février dernier à Pantin pour être reçues par l’ANRU (Agence Nationnale du Renouvellement Urbain) et exiger un moratoire sur les démolitions à venir.

    Ces luttes, loin d’être anecdotiques, rassemblent un panel riche de profils et de compétences complémentaires (architectes à la retraite ou tout juste diplômés, juristes, ingénieurs, sociologues, historiens, travailleurs sociaux, activistes écologistes…). Au fur et à mesure qu’elles s’affutent, les expertises citoyennes se positionnent à l’avant-garde des décisions politiques. Elles détricotent les évidences de la destruction et réinvestissent le temps de l’architecture. Autour de ces concernements qui convergent naît un espoir : ce qui était possible hier ne le sera peut-être plus demain. La tour INSEE aurait pu être un magnifique symbole du passage d’une avant-garde (sa construction) à une autre (sa réhabilitation). L’inverse a eu lieu et nous sommes là, à compter chaque jour les étages qui disparaissent. Observateurs attentifs de l’évidente anachronie d’une chute.

    Vanille Busin
    DESIGNER INGÉNIEURE , MEMBRE DE L’AGENCE ENCORE HEUREUX

    Nicola Delon
    ARCHITECTE, COFONDATEUR DU COLLECTIF ENCORE HEUREUX

    Jérôme Denis
    SOCIOLOGUE, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À MINES PARIS - PSL

    Notes
    [1] Administration centrale des ministères sociaux.

    [2] Calculs réalisés par l’association IN C Malakoff, à partir des chiffres fournis dans l’étude multicritères.

    [3] Donna J. Haraway, « Situated Knowledges : The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », Feminist studies, 14(3), 575‐599, 1988.

    [4] Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Gallimard, 1975.

    [5] Jeanne Guien, Le consumérisme à travers ses objets, Divergences, 2021.

  • L’anthropologue palestinienne Ruba Salih qui enseigne à l’université de Bologne a accepté de confier à l’équipe visionscarto, la traduction en français et la publication de deux textes importants qui portent sur les événements du 7 octobre et de ses conséquences.

    C’est ce que nous avons lu de plus subtil et intelligent sur cet enchainement tragique. Nous avons accompagné les textes de Ruba Salih par une série de cartes contextuelles et éclairantes.

    Les Palestinien·nes peuvent-iels parler ?
    https://www.visionscarto.net/les-palestinien-nes-peuvent-iels

    Gaza entre traumatisme colonial et génocide
    https://www.visionscarto.net/gaza-entre-traumatisme-colonial-et-genocide

    « L’attaque menée par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, au cours de laquelle des milliers de personnes ont été tuées, est constamment présentée comme le début d’une violence « sans précédent », tout en effaçant doublement, physiquement et épistémiquement, les plus de 5 000 Palestinien·nes tué·es, jusqu’en 2022, dans les bombardements de Gaza. Le 7 octobre devient ainsi le point de départ d’une épistémologie israélienne d’un temps supposé universel, tout en marquant une escalade dans la criminalisation de la contextualisation et du refus de l’historicisation. »

    « Ce n’est pas avec les outils de celles et ceux qui vivent dans la « paix » que nous pouvons comprendre et analyser ce qui se passe aujourd’hui ; cela n’est envisageable (à supposer que cela soit même possible pour ceux qui ne vivent pas à Gaza ou dans les territoires palestiniens occupés) qu’à partir d’un espace défini par les effets de la violence et des traumatismes coloniaux. »

    #palestine #gaza #génocide #colonisation

  • Enquête régionale sur la mobilité des Franciliens
    https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports/deplacements/enquete-regionale-sur-la-mobilite-des-franciliens

    La voiture est le premier mode motorisé utilisé à l’échelle de la région, avec une forte prépondérance en grande couronne, en corrélation avec les modes de vie et une moindre desserte en transports collectifs dans ces territoires. On retrouve le taux d’occupation des véhicules de 1,04 personne pour le motif domicile-travail. Pour les résidents de Paris et de la petite couronne, les transports collectifs constituent en revanche le mode motorisé principal. Il est aussi le premier mode régional pour aller travailler (45 % de part modale contre 33 % en voiture) et pour aller étudier (67 %). Ensuite, le vélo s’est clairement imposé à Paris (30 % des déplacements à vélo en Île-de-France sont effectués par les Parisiens). Les Parisiens utilisent plus le #vélo que la #voiture.

    La marche est le premier mode de déplacement pour les motifs non contraints (achat, loisirs, affaires personnelles). C’est aussi le premier mode pour les Parisiens (44 %) et pour les habitants de la petite couronne (33 %).

    #Paris #Ile-de-France #transports